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RIMBAUD Arthur

RIMBAUD Arthur 1854-1891
Il naît à Charleville, dans les Ardennes, du capitaine d’infanterie Frédéric Rimbaud et de son épouse Vitalie Cuif. Il a un frère d’un an son aîné, Frédéric, il aura une sœur, Vitalie (1858), puis une autre, Isabelle (1860). Entre 1865 et 1869, il fait de brillantes études au Lycée de Charleville — il excelle en vers latins. En 1870 il est en première et publie ses premiers poèmes dans de petites revues; son professeur de lettres, Izambard, l’encourage. Pendant les vacances il fait une première fugue qui le mène à Paris, puis, en octobre, une deuxième. Il remet à un de ses amis de Douai le manuscrit de vingt-deux poèmes. En février 1871, troisième fugue: il assiste au défilé des troupes prussiennes dans Paris. En mai il écrit à Izambard: il travaille, dit-il, à se rendre «voyant» et déclare : «Je est un autre». A la fin septembre, il débarque à Paris, invité par Verlaine que les poèmes du jeune Arthur ont beaucoup impressionné. Au dîner des «Vilains bonshommes», qui rassemble une fois par mois les Parnassiens, Rimbaud lit Le Bateau ivre qu’il vient de terminer. Admiration, gêne, stupeur chez les Banville, les Mendès, les Valade. On emmène le petit génie (le petit monstre pensent déjà certains) chez Carjat qui fait la belle photo que l’on connaît de lui. Très vite, tant par Mathilde Verlaine et ses parents que par les amis de Verlaine, Rimbaud se fait mal voir. On lui reproche ses très mauvaises manières, son manque total d’égards envers les autres. Lui n'en a cure, il veut être poète, mieux, il sait que c'est là son devoir, et le sens du devoir il l'a, solidement ancré, inculqué par sa mère, femme de devoir s'il en fut. Suit une période de vie de bohème sur fond d'alcool, de poésie et de haschich; il loge un temps dans l'atelier de Charles Cros, vit un moment dans la rue, avec les clochards, puis couche sur un divan au cercle zutiste, un groupe nouvellement créé par Cros, avant de retourner à Charleville, au printemps 1872. Entre-temps, Mathilde Verlaine lasse des violences de son mari de poète a déserté le domicile conjugal avec son enfant et a fait du renvoi de Rimbaud la condition à son retour. Quand il revient à Paris, peu après, les parnassiens l'ont mis en quarantaine à la suite de quelques excès qu'il a commis à leur endroit. Rimbaud vit dans des mansardes, assez misérablement, fréquente assidûment «L'Académie d'absinthe», continue d'écrire des poèmes qu'il offre à ses amis: Richepin, Forain, Verlaine. En juillet, Verlaine et lui mettent le cap sur l'Angleterre. Ils y resteront, jusqu'en juillet 1873. A ce moment-là, ils sont à Bruxelles —un coup de pistolet que tire sur lui Verlaine conduit ce dernier en prison. En octobre, il fait imprimer Une Saison en Enfer (un recueil de poèmes en prose) qu'il a commencé à rédiger au mois d'avril. Il passe l'année 1874 en Angleterre, avec Germain Nouveau, puis rentre en France à la fin de l'année. En 1875 Rimbaud demande à Nouveau de récupérer auprès de Verlaine — il l'a vu une dernière fois, en février — les autographes que ce dernier peut détenir; il envisage en effet de publier les poèmes qu'il a écrits après ceux d'Une saison en enfer. (En fait, ce seront les Illuminations, qui paraîtront en 1886 seulement). Puis il sort de l'histoire littéraire: il voyage. En 1880, il est contremaître dans une carrière à Chypre, puis, jusqu'en 1884, employé d'une maison de commerce, à Aden et ensuite à Harrar, en Ethiopie. Il s'essaie ensuite, sans grand succès, au négoce jusqu'en 1891. Cette année-là, malade, il rentre en France. Hospitalisé à Marseille, il est amputé de la jambe au mois de mai. Le 10 novembre, il meurt, sans doute d'un cancer des os, auprès d'Isabelle qui l'a veillé. Depuis 1875, il n'a écrit que des lettres d’une banalité parfaite. Unique destin que celui de Rimbaud: à vingt ans il a tout dit. Mieux même, l’adulte — un peu à la manière d’un Germain Nouveau mais dans un autre contexte — n’aura que mépris pour cette œuvre précoce: «Des rinçures, ce n’étaient que des rinçures». On a beaucoup écrit sur Rimbaud, et chacun à cherché à l’expliquer et à le tirer à soi; on en a fait un chrétien (sans Dieu), un surréaliste, tant il est vrai que c’est un phénomène assez unique dans notre histoire littéraire: une telle maîtrise dans l’invention, un renouvellement si total, si délibéré... si jeune. Mais il ne faut pas s’y tromper, on aurait tort de voir dans la poésie de Rimbaud seulement le résultat d’un génie spontané, de l’inspiration, ou, là ce serait encore plus bête, celui des psychotropes ou autres alcools. Rimbaud nous étonne parce qu’il a voulu nous étonner, parce qu’il savait que l’étonnement était l’un des moteurs les plus puissants de la poésie, parce qu’il s’est donné les moyens stylistiques de produire cet étonnement. Le plus surprenant dans l’œuvre de Rimbaud, c’est peut-être sa maturité poétique.
RIMBAUD Jean Nicolas Arthur. Né à Charleville (Ardennes) le 20 octobre 1854, mort à Marseille le 10 novembre 1891. Une ville grise tout entière adonnée au négoce et à l’idéal bourgeois, une mère à l’image de cette ville mais, en plus, strictement chrétienne et maigre, âpre, pareille aux horizons mornes, c’est a l’ombre de cette femme et de cet ensemble de rues tristes que devait grandir le poète. Nulle échappée sinon au cœur de lui et dans cette part de soleil que lui avait léguée son père, officier d’origine provençale, plus préoccupé de voyages et d’aventures que de confort et de stabilité. Le père était parti en Crimée peu après la naissance d’Arthur, il s’accommodait mal de l’orgueil intraitable de la mère, de son entêtement de fille de gros propriétaires, de sa respectabilité; en 1860, la mère rompit définitivement avec lui et s’installa tout aussi définitivement à Charleville. Le manque de ressources l’obligea à se contenter de la rue Bourbon, une rue populacière où n’habitait aucune famille fréquentable. Arthur devait jouer avec ses frère et sœurs, gentiment, sans jouets, et les enfants des voisins ne pouvaient sous aucun prétexte pénétrer dans l’appartement. Le dimanche, Vitalie et Isabelle, Frédéric et Arthur, deux par deux, suivis par leur mère vêtue de noir, se rendaient à l’église. Les jours de marché, même cérémonial pour se rendre sur la place, rang par deux et toujours derrière eux la mère droite et noire. En 1862, la famille déménagea Cours d’Orléans, quartier bourgeois, et les garçons entrèrent a l’institution Rossat où ils commencèrent leur latin. A dix ans, Arthur fut admis en septième au collège de Charleville. On a retrouvé l’une de ses narrations : « Que m’importe à moi que je sois reçu ? A quoi cela sert-il d’être reçu ? A rien, n’est-ce pas ? Si, pourtant; on dit qu’on n’a une place que lorsqu’on est reçu. Moi, je ne veux pas de place ; je serai rentier. Quand même on en voudrait une, pourquoi apprendre le latin ? Personne ne parle cette langue. Quelquefois j’en vois, du latin, sur les journaux; mais, Dieu merci, je ne serai pas journaliste... Ah ! saperlipote de saperlipopette ! sapristi ! moi, je serai rentier... » Arthur sauta la sixième et, quant au latin, il se passionna si bien pour Virgile que la prosodie latine n’eut bientôt plus aucun secret pour lui. En 1868, il adressa une lettre en vers latins au prince impérial à l’occasion de sa première communion, et le précepteur du prince l’en fit remercier publiquement par le directeur du collège. Dès lors, il ne cessa d’étonner ses professeurs et Le Moniteur de l'enseignement secondaire publia trois de ses compositions en vers latins au cours de l’année 1869 dont une, Jugurtha, lui valut le premier prix au concours académique. Ses premiers vers français, Les Etrennes des orphelins, datent aussi de cette année-là; ils parurent, le 2 janvier 1870, dans La Revue pour tous. Travailleur, têtu, de caractère difficile, Arthur est alors l’honneur et le souci du collège. La plupart de ses professeurs se méfient de lui, pensent que son intelligence « tournera mal ». A la maison, l’intolérance de la mère ne cesse d’entraîner des heurts, c’est l’école de la révolte. Les livres s’accumulent : Juvénal, Lucrèce, Rabelais, Villon, Baudelaire, Banville, Hugo, Saint-Simon, Proudhon, Thiers, Michelet et Louis Blanc. Dans ses compositions, Arthur écrit de véritables appels à l’émeute, invoque Saint-Just et maudit Napoléon qui a retardé l’avènement du socialisme qu’il aurait pu imposer. En 1870, année de sa rhétorique, Arthur a la chance d’avoir un jeune professeur aux idées révolutionnaires, Georges Izambard, avec lequel il se lie d’amitié et qui lui révèle la littérature contemporaine. Jusqu’alors travail et révolte avaient suffi à tramer les jours, maintenant « le grand jeu » vient les bousculer et l’écriture cesse d’être ce plaisir de virtuose pour devenir l’instant où conception et réalité, être et vie coïncident brusquement. Rimbaud naît et se voit naître. Les vitres et les glaces derrière lesquelles la femme noire, malgré lui, le tenait prisonnier volent en éclat. L’eau de la Meuse apporte le pressentiment de la mer. Un à un les poèmes surgissent : Sensation, Ophélie, Credo in unam (tous trois expédiés à Banville) tandis qu’au milieu de l’été la guerre éclate. Le 29 août Rimbaud vend ses livres de prix, prend un billet pour Mohon et reste dans le train jusqu’à Paris, mais la société veille; Rimbaud redevable de treize francs est incarcéré à Mazas où viennent le libérer une lettre et un mandat d’Izambard. Il rentre à Charleville, s’en échappe au bout de dix jours et gagne à pied la Belgique où il espère pouvoir faire du journalisme à Charleroi. Son projet échoue ; il va alors à Bruxelles où un ami d’Izambard le recueille et lui paie son voyage jusqu’à Douai où il retrouve son professeur. Sa mère le fait rentrer à Charleville. Au cours de ce voyage, il a écrit une dizaine de poèmes dont : Au Cabaret-Vert, Buffet, Rêvé pour l’hiver, Le Mal et Le Dormeur du Val. Il faut encore attendre. Seul. La bibliothèque de Charleville est assez bien fournie; Rimbaud s’y rend chaque jour pour lire les socialistes français, les auteurs du XVIIIe siècle et des ouvrages sur l’occultisme. Les mois passent, les connaissances assimilées nourrissent la révolte et l’ouvrent à la fascination de la Connaissance; soudain il devient temps de remettre la réalité au défi pour la forcer. Le 25 février 1871, Rimbaud vend sa montre et prend le train pour Paris. La ville, en proie à la guerre et à l’hiver, n’offre au poète qui erre dans ses rues qu’une multiplication de sa solitude. Au bout de quinze jours, il rentre à pied à Charleville et traverse les lignes allemandes en se faisant passer pour un franc-tireur auprès des paysans qui l’hébergent. Dès son retour, Rimbaud écrit un Projet de constitution communiste qu’il lit à son ami Delahaye mais qui ne nous est pas parvenu. Le 13 mai 1871, une lettre à Izambard expose son attitude vis-à-vis de la poésie, attitude qu’il précise le 15 mai dans une lettre à Demeny connue sous le nom de Lettre du voyant. La voie est maintenant consciemment ouverte, car Rimbaud sait que « Je est un autre » et que « la première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ». Voir et se voir en train de voir, sommet du regard et de la conscience qui a conscience d’être. « Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant », et il ajoute : « Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. » Toute vision est solitaire et chaque voyant valorise pour soi le vocabulaire; quelle technique sous ce « dérèglement » ? Peut-être celle de la fatigue, agissant sur le corps comme une érosion capable de mettre à nu la pierre essentielle de l’être ? Le Bateau ivre a descendu le fleuve et pris la mer. Le poète devenu lui-même n’a plus besoin de Dieu; il peut insulter tous les prêtres et écrire sur les murs des églises : Mort à Dieu. Charleville n’est plus qu’un lieu de passage, un port au bord du monde où Rimbaud échoue d’un livre à l’autre, d’un cabaret à l’autre. Il se lie avec un petit employé, Bretagne, qui a connu Verlaine. Bretagne s’offre à les mettre en rapport. Rimbaud envoie des poèmes et Verlaine répond : « Venez, chère grande âme, on vous attend, on vous désire. » A la fin de septembre 1871, Rimbaud arrive à Paris et loge chez les beaux-parents de Verlaine avec ce dernier et sa femme. Rimbaud est intraitable, insupportable. Il mange et se tait. Pas de merci dans sa main ni dans sa bouche, il est venu chez les poètes prendre sa place et son dû mais les poètes dînent en ville, respectent les bonnes manières, se paient de mots et aiment recevoir de leurs pareils semblable monnaie de mots. Valade, Mérat, Gill, Pelletan, Bonnier, Aicard ont accueilli « l’enfant-poète », posé avec lui pour le « Coin de table » de Fantin-Latour mais maintenant qu’il s’agit d’autre chose que de plaire ou de chahuter gentiment, ils ne comprennent pas et « l’enfant-poète » devient Rimhaud-le-voyou; un voyou qu’ils se hâtent d’expulser, faute de l’avoir mis à la raison. Verlaine, lui, demeure fasciné. Il erre de café en café avec Rimbaud. Il a quitté sa femme, il aime Rimbaud. Couple étrange et lamentable où l’un aiguise ses visions en forçant son corps à toucher l’extrême de la misère et de la fatigue tandis que l’autre traîne sa « poétique veulerie ». En mars 1872, Rimbaud rentre dans les Ardennes pour que Verlaine tente de se réconcilier avec sa femme. Il écrit .La Comédie de la soif, Larme, Chanson de la plus haute tour et six autres poèmes. Verlaine réclame sans cesse son retour. Rimbaud regagne Paris en mai, puis, le 7 juillet, décide de partir pour la Belgique. Verlaine abandonne sa femme pour le suivre. Ensemble, les deux poètes quittent bientôt la Belgique pour l’Angleterre. Rimbaud écrit ses derniers poèmes en vers et, lassé de Verlaine oui souffre de l’absence de sa femme, l’abandonne et regagne Charleville. La mère de Verlaine se laisse attendrir par les plaintes de son fils qui se dit très malade et va le voir à Londres; elle envoie même à Rimbaud l’argent nécessaire pour qu’il puisse venir voir son ami. Rimbaud vient (janvier 1873) mais repart dès que Verlaine est guéri et, en avril, rejoint sa famille à Roche, près de Vouziers, où il commence Une saison en enfer. Le 24 mai 1873, Rimbaud revoit Verlaine à Bouillon et accepte de repartir pour l’Angleterre avec lui. A Londres, où ils habitent ensemble, ils se querellent et Verlaine part brusquement en laissant son ami sans le sou. Arrivé à Bruxelles, Verlaine supplie sa femme de venir le rejoindre, mais en vain. Il écrit alors à Rimbaud qui vient aussitôt; c’est uniquement pour lui annoncer qu’il est décidé à rompre définitivement et à rentrer à Charleville. Verlaine désemparé tire un coup de revolver sur Rimbaud et le blesse au poignet; la justice belge le condamne a deux ans de prison ferme. Rimbaud regagne Roche, s’enferme et termine Une saison en enfer, qu’il fait par la suite imprimer à Bruxelles. A part quelques exemplaires envoyés à ses amis, Rimbaud abandonne toute l’édition chez son imprimeur où elle sera retrouvée par hasard un demi-siècle plus tard. On a longtemps cru que Une saison en enfer était la dernière œuvre de Rimbaud, son adieu définitif à la littérature; H. Bouillane de Lacoste a démontré (?) que les Illuminations, ébauchées lors du premier séjour à Londres, étaient postérieures. Mais il est assez probable que les deux œuvres furent composées simultanément, en tout cas dans le flux d’une même durée. La Saison forme un tout organique et sa version définitive a dû être rédigée d’une traite; les Illuminations se composent de textes dont chacun pourrait être considéré comme l’« instantané » d’une vision. Rien ne s’oppose à l’idée que ces instantanés aient pu être à la fois antérieurs et postérieurs à la Saison, mais il nous semble impossible de les en séparer, car leur conjonction exprime la totalité d’une expérience vertigineuse de soi-même. Une initiation au sens le plus large du terme. Considérer l’une ou l’autre de ces œuvres comme un adieu, c’est sacrifier à un romantisme facile et rassurant. II y a eu cette aspiration vers la lumière, puis le silence est tombé. La vie a continué et le silence est devenu perceptible. On a eu, alors, besoin d’expliquer le silence. Si tard ! Au début de 1874, Rimbaud de passage à Paris y fait la connaissance de Germain Nouveau et part avec lui en Angleterre. Il y reste un an, vivant de leçons et décidé à apprendre parfaitement l’anglais afin de pouvoir entreprendre de longs voyages. Fin décembre, il passe à Charleville et, en janvier 1875, gagne l’Allemagne avec l’intention d’y apprendre la langue, fi est alors précepteur à Stuttgart et c’est là que Verlaine, converti maintenant au catholicisme, vient le relancer pour lui faire partager sa foi. Rimbaud, après l’avoir assez malmené, lui fait reprendre le train pour Paris dans les quarante-huit heures. En mai, Rimbaud traverse à pied le Wurtemberg, la Suisse et passe en Italie où il tombe malade à Milan; une fois rétabli, il reprend son voyage en direction de Brindisi mais, frappé d’insolation au bord de la route, il est rapatrié par les soins du consul de France à Livourne. Rentré à Charleville en octobre, il y passe l’hiver à étudier l’espagnol, l’arabe, l’italien et le hollandais. Le 19 mai 1876, il signe un engagement de six ans dans l’armée coloniale hollandaise contré une prime de trois cents florins; il est débarqué le 23 juillet à Batavia, déserte et s’embauche sur un voilier anglais qui le ramène à Bordeaux d’où il rentre a pied à Charleville (31 décembre 1876). Sa mère lui ayant avancé de l’argent, il part pour Vienne en avril 1877, mais s’étant fait dévaliser, il est expulsé par la police autrichienne et retourne à pied à Charleville d’où il se rend à Hambourg. Engagé là comme interprète par le cirque Loisset, il parcourt le Danemark et la Suède et se fait finalement rapatrier par le consul de France à Stockholm. En septembre, il est débardeur à Marseille avant de s’embarquer pour Alexandrie mais, tombé malade à bord, on le laisse à Civita-Vecchia. Il visite ensuite Rome et va de nouveau passer l’hiver à Charleville. Au printemps 1878, il va à Hambourg dans l’espoir de trouver à s’embarquer pour l’Orient mais son projet échoue; en octobre, il traverse à pied les Vosges, la Suisse et les Alpes, prend le train de Lugano à Gênes et trouve là un bateau qui l’amène à Alexandrie d’où il gagne Chypre. Il y travaille comme chef de chantier, tombe encore malade et rentre en France en juin 1879. Il se rétablit mais contracte une typhoïde et passe l’hiver à Charleville. Il retourne ensuite a Chypre et faute de pouvoir supporter le climat s’embarque pour l’Égypte d’où, le 7 août 1880, il part pour Aden. La maison Viannay, Mazeran, Bardey et Cie, commerce de peaux et de café, l’engage et lui confie la succursale qui vient d’être ouverte à Harrar où Rimbaud arrive le 23 décembre 1880. On dirait maintenant que l’esprit de la mère a gagné; à cette dernière, Rimbaud fait verser tous ses appointements en recommandant de les placer avec soin; il accumule des ouvrages techniques du genre : « Parfait manuel de l’explorateur » et se donne à son travail avec ridée d’amasser le plus d’argent possible. Seule échappée, l’exploration de régions encore inconnues de l’Ogadine sur lesquelles il rédige un rapport publié par la Société de géographie. Il est possible, mais non absolument prouvé, que Rimbaud ait participé à la traite des nègres couramment pratiquée à cette époque en Abyssinie. En 1887, il tente, pour son compte, une grosse affaire de trafic d’armes, fait venir quelques milliers de fusils d’Europe et forme une caravane pour aller les livrer au roi Ménélik; ce dernier, cependant, refuse de payer le prix convenu et l’affaire couvre tout juste ses frais. De 1888 à 1891, Rimbaud dirige une factorerie à Harrar et tente encore de profiter du trafic d’armes très actif sur la côte. En février 1891, il est atteint d’une tumeur au genou droit et, à partir du 15 mars, ne peut plus se lever. Rapatrié le 9 mai, il est hospitalisé à Marseille où on doit l’amputer d’une jambe. Dès que son état le permet, il rejoint sa famille à Roche mais la maladie continue à progresser et Rimbaud, dans l’espoir d’une amelioration sous le climat méditerranéen, reprend le train pour Marseille, en compagnie de sa sœur Isabelle. Son état va en empirant, sa sœur le convainc de recevoir un prêtre et ce dernier, paraît-il, s’écrie après avoir vu le poète : « Votre frère a la foi, mon enfant, que nous disiez-vous donc ? Il a la foi, et je n’ai même jamais vu de foi de cette qualité. » C’est la fin. Changer la vie, disait Rimbaud le poète, et il est certain que par « l’alchimie du verbe » il réussit à changer la vie à l’intérieur de lui, mais à l’extérieur l’autre vie continuait sans que la vie nouvelle trouvât à s’y insérer. Les poètes n’étaient d’aucun secours puisqu’ils n’avaient pas compris son visage d’après la foudre, — que leur dire ? Et a plus forte raison, que dire aux autres ? Peut-être d’ailleurs n’y avait-il plus rien à dire hors ces quelques pages où la vie est tout entière ramassée. A quoi bon alors se répéter, être poète ? A moins que le silence soit naturel après l’illumination, naturel sans plus ? Nerval s’est suicidé, Lautréamont est mort à vingt ans, Hölderlin, Nietzsche et Artaud ont été visités par la folie : Rimbaud-le-négociant fut peut-être le fou de Rimbaud-le-poète, quand « l’intérieur » eut été consumé. ♦ « Rimbaud, malgré qu'il se soit aventuré aux sphères interdites, malgré qu'il ait mangé le fruit défendu, ne s'est pas damné. Il a toujours su fuir à temps le grand péril. Je dirai même que d'avoir violé les cimes l'a confirmé dans sa mission providentielle, laquelle fut, comme cela éclate aujourd'hui, de pousser les âmes d’élite vers Dieu. Et j'ai la conviction absolue quïl entrait aussi dans les desseins d'En-Haut que cet élu se vêtît sur terre des oripeaux de l'incroyance, afin de mieux prouver aux hommes l’inanité de leurs révoltes contre la puissance éternelle. » Isabelle Rimbaud. ♦ « Estimez son plus magique effet produit par l'opposition d'un monde antérieur au Parnasse, même au Romantisme, ou très classique, avec le désordre somptueux d’une passion on ne saurait dire rien que spirituellement exotique. Eclat, lui, d'un météore, allumé sans motif autre que sa présence, issu seul et s’éteignant. Tout, certes, aurait existé depuis, sans ce passant considérable, comme aucune circonstance littéraire vraiment n y prépare : le cas personnel demeure, avec force. » Mallarmé. ♦ « Il est souvent obscur, bizarre et absurde. De sincérité nulle, caractère de femme, de fille, nativement méchant et même féroce, Rimbaud a cette sorte de talent qui intéresse sans plaire... C’était quelqu'un, malgré tout... son œuvre demeurera, tout au moins à titre de phénomène. » R. de Gourmont. ♦ « Arthur Rimbaud fut un mystique à l’état sauvage, une source perdue qui ressort d'un sol saturé. Sa vie, un malentendu, la tentative en vain par la fuite d'échapper à cette voix qui le sollicite et le relance, et qu’il ne veut pas reconnaître : jusqu’à ce qu’enfin, réduit, la jambe tranchée, sur ce lit d’hôpital à Marseille, il sache ! » P. Claudel. ♦ « Rimbaud à résolu le problème en possédant la vérité dans son corps et ne voyant de réel que ce qui coïncidait avec les sensations, avec les plaisirs, avec les peines, les jouissances et les tristesses de ce corps individuel. Le rêve, ce qui n’était pas senti immédiatement, cela ne comptait plus pour lui. La poésie, c'était simplement la parole, le bruit, la gloire, c’était le néant. Ce qui existait, c'était un corps. » A. Thibaudet. ♦ « Il ne fut pas seulement ce mystique à l'état sauvage dont parle Claudel, ni le voyou génial dont se réclament les mauvais garçons d ’aujourd 'hui. Il fut le crucifié malgré lui, qui hait sa croix et que sa croix harcèle; — et il agonise pour qu'elle vienne à bout de lui. » F. Mauriac. ♦ « ... La Lettre du voyant est tout entière sous le signe de la grande tradition orientale, qui parvint, à travers les mystères orphiques, jusqu'à la Grèce ancienne. Cette philosophie constitue la trame sur laquelle Rimbaud a tendu ses phrases... Il ne s'agit point là d'une vision littéraire de la vie comme ont semblé le comprendre jusqu'ici les commentateurs de Rimbaud, mais d'une contemplation métaphysique de l’absolu. » R. de René-ville. ♦ « Inutile de discuter encore sur Rimbaud : Rimbaud s'est trompé, Rimbaud a voulu nous tromper. Il est coupable devant nous d'avoir permis, de ne pas avoir rendu tout à fait impossibles certaines interprétations déshonorantes de sa pensée, genre Claudel. » A. Breton (1930). ♦ «Rimbaud est l’enfance qui s'est exprimée par des moyens transgressant sa condition. L'enfance virile, la liberté sans poids et sans mesure, l'enfance voisine de la mort dans son origine et sa fin, le risque à tous les échelons, l'enfance près des choses, la surprise, l'enfance délimitant les choses, juste dans son émerveillement devant elles. Mais aussi l’enfance où fermente le levain de son propre et graduel évanouissement. Et la crainte incrustée de sa fin organique dont on se moque et qu'on veut ignorer. » T. Tzara. ♦ « Rimbaud n ’a été le poète de la révolte que dans son œuvre. Sa vie, loin de légitimer le mythe qu’elle a suscité, illustre seulement - une lecture objective des lettres du Harrar suffit à le montrer — un consentement au pire nihilisme qui soit... » A. Camus.


Fils d'un capitaine de l'armée du général Bugeaud qui déserte le domicile conjugal, Arthur Rimbaud, né en 1854, étonne le collège de Charleville par la précocité de ses dons. Mais déjà, à l'étude, il préfère l'école buissonnière, fait ses premières fugues pendant la guerre de 1870. Sur les murs de Charleville, il écrit « Mort à Dieu », s'enivre dans les cabarets... Cette même année 1870, son professeur de rhétorique et ami Georges Izambard encourage ses dons poétiques. Parti pour Paris avec des poèmes plein les poches, il s'y conduit en voyou dans les cercles littéraires, porte des toasts à la gloire de la Commune dans les cafés, brise le ménage de Verlaine puis s'enfuit avec lui pour la Belgique, l'Angleterre... ’ Ruptures, réconciliations... En mai 1873 Verlaine, ivre, dans une crise de jalousie, le blesse au bras d'un coup de revolver. Tandis que Verlaine purge une peine de prison, Rimbaud rédige Une saison en enfer. L'accueil est si glacial qu'il décide, après avoir encore composé les Illuminations, de ne plus écrire, l'inspiration l'ayant définitivement abandonné. Il vagabonde à travers l'Europe, s'engage dans l'armée hollandaise, déserte... À 25 ans, il fait ses adieux à ses amis de Charleville et disparaît en Orient. Contremaître à Chypre, gérant de comptoirs commerciaux, marchand d'armes en Éthiopie... Il est devenu un « ascète », qui rêve néanmoins de faire fortune et de mener une vie confortable. Une tumeur au genou l'oblige à revenir en France. Amputé, il veut retourner en Éthiopie mais ne l'atteindra jamais. Son billet en poche, il meurt de gangrène dans les bras de sa sœur, après une atroce agonie, longue de trois mois, à l'hôpital de Marseille, le 9 novembre 1891, reconverti au catholicisme. L'œuvre qu'il a laissée (Poésie, Une saison en enfer, Illuminations et quelques fragments) reste unique par sa violence et la quête d'un absolu qu'il a cherché plus tard dans l'aventure ; elle a profondément marqué le mouvement surréaliste et est à l'origine de la mutation poétique moderne.

RIMBAUD, Arthur (Charleville, 1854-Marseille 1891)0. Poète français. Nourrie de révolte, auréolée de légendes, objet d'innombrables interprétations, l'oeuvre de Rimbaud, brève mais éblouissante, fut l'une des sources les plus fécondes de la poésie au XXe siècle. Brillant élève du collège de Charleville, précocement révolté par l'intransigeance d'une mère catholique, Rimbaud fut éveillé à la littérature par l'un de ses professeurs et composa vers 1870 ses premiers poèmes. Bouleversé par la déclaration de guerre en 1870 puis par l'échec de la Commune de Paris, il tenta plusieurs fugues vers Paris et composa des textes révoltés contre Napoléon III {Rages de César), contre la guerre {Le Dormeur du val) et la religion chrétienne {Les Premières Communions). Renonçant à passer son baccalauréat, Rimbaud décida de se consacrer à la littérature et formula le projet d'explorer l'univers par un « long et raisonné dérèglement de tous les sens », tentant par l'alchimie du vers d'acquérir des pouvoirs surnaturels. L'aventure de cet « encrapulement » fut évoquée dès la Lettre dite du voyant (mai 1871 ) et mieux encore dans Le Bateau ivre (septembre 1871) qui valut à l'auteur l'admiration de Paul Verlaine. Invité par ce dernier à Paris, il se noua entre les deux poètes une relation passionnée et orageuse que Rimbaud évoqua dans Une saison en enfer (1873). Installé à Londres en 1874, il acheva son dernier recueil de prose poétique rassemblé dans Illuminations (publiées en 1886). A 20 ans, l'oeuvre de Rimbaud était achevée sur le constat que la poésie était impuissante à changer la vie. A partir de 1876, il s'engagea dans l'armée coloniale hollandaise, déserta, voyagea en Europe avec un cirque, travailla à Chypre comme conducteur de travaux, se fit explorateur en Éthiopie et en Somalie et enfin trafiquant d'armes au Harar (Éthiopie). Atteint d'une tumeur à la jambe droite, hospitalisé à Marseille (1891), il fut amputé et mourut quelques mois plus tard.