rhodien
Le style rhodien s’appréhende en termes de niveau ou de genre de style. Commentant les deux styles opposés que constituent en somme l'attique et l’asian, Cicéron ajoute : entre ceux-là, vient s’intercaler le style d’un orateur moyen et tempéré, n ’ayant ni la finesse des uns ni l’ampleur des autres, participant des deux ou d’aucun des deux; les paroles s’écoulent d’un seul cours, avec facilité et uniformité, sauf à y ajouter, comme dans une couronne, quelques ornements mesurés dans l’expression ou dans la pensée. Il y aurait comme une assimilation entre style rhodien et style moyen. Quintilien est plus explicite sur la formation de ce concept. Ensuite, dit-il après avoir présenté la classification binaire attique-asian, ceux qui ont voulu comprendre les différents styles sous une même division, y ont ajouté le rhodien, qui est un genre mêlé des deux autres. Car ce style n ’est ni si resserré que le style attique, ni si abondant ni si diffus que l’asian; il semble ainsi tenir quelque chose de son pays, et aussi de l’auteur qui l’illustra. En effet, Eschine, qui avait choisi Rhodes pour séjour de son exil, y porta les sciences qui étaient en honneur à Athènes; et comme les plantes dégénèrent quand elles changent de terroir et de climat, de même ces sciences mêlèrent leur goût particulier avec le goût du pays, où elles furent transplantées. C’est pourquoi ce dernier genre est un peu lâche et mou, mais il ne manque pas de poids; il ne coule ni comme une fontaine pure et claire ni comme un torrent bourbeux : il est assez semblable à l’eau dormante d’un étang.
Le texte de Quintilien est particulièrement clair. La pensée du style rhodien reste un moyen d’interpréter les diverses réalisations oratoires de l’éloquence grecque ; c’est aussi un moyen de ne pas préjuger dans le délicat problème de l’appréciation, par les contemporains, de la place sui generis, et de la suprématie inavouée, par rapport à toute la tradition gréco-latine, du génie propre de Cicéron ; c’est donc finalement, aussi, un moyen de transcender l’inextricable tension de la problématique des niveaux et de celle des genres. On remarquera la prudence du jugement : l’explication anecdotique, à propos de l’installation de l’orateur athénien Eschine à Rhodes, est seule marquée d’un relatif nuancement péjoratif ; mais la caractérisation du style rhodien lui-même est plutôt emblématiquement balancée. Les termes employés, toujours métaphoriques - lâche, mou, eau stagnante - apparemment dépréciatifs, sont équilibrés par les négations ne manque pas de poids, pas comme un torrent bourbeux, plutôt mélioratives. D’autre part, l’idée d’un style ni attique ni asian constitue, de soi, le signe d’un besoin de subversion de la pensée binaire qui catégorisait une pure paire en opposition, catégorisation vite sentie comme insuffisante et inadéquate à la description de la réalité, mais pourtant combien plus satisfaisante pour l’esprit d’abstraction : la suite séculaire des réflexions rhétoriques aura du mal à se dégager de cette ambiguïté. Indépendamment des problèmes d’histoire du goût que l’on a évoqués, on notera deux axes d’appréciation de ce style rhodien. Par rapport à la composition, ce style est plutôt appréhendé défavorablement, comme tendant vers un vice : c’est la mollesse, la lâcheté, le manque de fermeté et de précision dans l’arrangement et la liaison syntaxiques ; par rapport à un autre élément de l’élocution, la composante des ornements et des figures, l’évaluation est plutôt positive : c’est la mesure, la modération de la vigueur et de l’embellissement que l’on souligne alors.
=> Éloquence, oratoire, orateur; style, niveau, genre; élocution, composition; qualités, vices; moyen, fleuri ; élevé, humble; ornements, figure; attique, asian.