Résumé de cours : SCIENCE ET RAISON
COURS DE TERMINALE 2023/2024
SCIENCE ET RAISON : RÉSUMÉ DÉTAILLÉ DU COURS
Introduction : La question de la méthode scientifique
Auguste Comte, avec sa loi des trois états, explique que l’évolution intellectuelle de l’humanité passe par trois stades :
Le stade théologique :
- L’homme explique les phénomènes naturels par des causes surnaturelles, des dieux ou des esprits.
- Exemples :
- Les Grecs anciens croyaient que les éclairs étaient envoyés par Zeus.
- Les catastrophes naturelles étaient souvent interprétées comme des punitions divines.
- Ce stade correspond aux sociétés dominées par la religion et le mythe.
Le stade métaphysique :
- L’homme remplace les dieux par des concepts abstraits et des entités invisibles pour expliquer le monde.
- Exemples :
- On parle d’« essences » ou de « forces vitales » pour expliquer certains phénomènes sans les démontrer scientifiquement. On explique le monde avec des idées générales et abstraites (comme « la nature des choses ») plutôt que par des lois scientifiques précises et mesurables.
- Ce stade marque une transition vers une pensée plus rationnelle, mais encore imprégnée d’abstractions.
Le stade positif (scientifique) :
- L’homme abandonne les explications surnaturelles ou métaphysiques pour s’appuyer sur l’observation, l’expérience et la raison.
- Exemples :
- La loi de la gravitation de Newton remplace les explications mystiques sur le mouvement des planètes.
- Ce stade correspond à l’ère de la science moderne, où seules les lois vérifiables et expérimentales sont acceptées.
👉 Comte considère que seule la science positive permet un véritable progrès, en s’appuyant sur des faits et non sur des croyances ou des spéculations.
👉 La science n’est donc pas spontanée, elle est un produit tardif de l’histoire humaine. L’homme commence par l’erreur avant de parvenir progressivement à la vérité.
Problématique:
- Peut-on identifier une méthode universelle applicable à toutes les sciences expérimentales ?
- Comment distinguer une science authentique d’une pseudo-science ?
- La science donne-t-elle une vérité absolue ou une approximation de la réalité ?
I. La démarche expérimentale : l’empirisme scientifique.
La science expérimentale repose sur une démarche empirique, c'est-à-dire une approche fondée sur l'observation, l'expérience et la confrontation avec la réalité.
1. L’observation des faits.
Les sciences de la nature (physique, chimie, biologie) s’appuient sur des observations rigoureuses. Ce sont des « sciences d'observation » : elles portent sur les « faits » ou phénomènes. Dans ce type de sciences, le savant doit se soumettre au verdict de l'expérience.
📌 Mais les faits qui font progresser la science ne sont pas des faits quelconques : ce sont des faits-problèmes, ce que Bachelard appelle des « faits polémiques » (ou anomalies), à savoir des faits nouvellement découverts qui entrent en contradiction avec les théories admises.
Exemples historiques :
· Expérience de Torricelli (1643) : En 1643, les fontainiers de Florence, tirant l'eau d'une citerne avec une pompe aspirante, constatent qu'au-delà de 10,33 m, l'eau ne monte plus dans la pompe vide, à une époque où tout le monde pense que « la nature a horreur du vide » (Aristote).
- Lavoisier et la combustion (1772) : Lavoisier, père de la chimie moderne, ayant fait brûler un morceau de plomb, constate, en 1772, que le plomb calciné, que l'on nommait alors la « chaux de plomb », a augmenté de poids, à une époque où l'on croit que tout métal est composé d'une chaux et de « phlogistique » (du grec phlogiston = brûlé) et que la combustion libère le phlogistique. Comment se fait-il que cette chaux résiduelle soit plus lourde que le morceau de plomb initial
👉 Ces faits problématiques montrent que la science ne progresse pas par simple accumulation de connaissances, mais par remise en question des savoirs établis.
2. La formulation d’une hypothèse
Une hypothèse est une explication rationnelle proposée pour rendre compte d’un phénomène observé. Elle relie différents faits entre eux et permet de formuler des lois générales.
📌 L'hypothèse est une construction intellectuelle : ce n'est pas une simple description des faits, mais une tentative de les organiser et de les comprendre.
Exemples :
- Pascal et la pression atmosphérique : Blaise Pascal demandera à son beau-frère Florin Périer d'organiser l'expérience du Puy-de-Dôme (1465 m). Celle-ci montrera que la hauteur du mercure dans un tuyau est moindre en haut qu'en bas de la montagne. Il s'ensuit nécessairement que la pesanteur ou pression de l'air est la seule cause de cette suspension du mercure, et non pas l'horreur du vide.
- Lavoisier et l’oxydation : l'augmentation de poids du métal calciné devient intelligible dans l'hypothèse de Lavoisier: brûler, ce n'est plus perdre du phlogistique, mais tout au contraire fixer de l'oxygène. Lavoisier découvre le phénomène de l'oxydation des métaux.
3. La vérification expérimentale
L'expérimentation consiste à mettre à l’épreuve une hypothèse pour voir si elle tient face à la réalité.
📌 Une hypothèse est validée si elle permet de faire des prédictions vérifiables.
Exemples :
- Le Verrier et la découverte de Neptune : En observant des irrégularités dans l’orbite d’Uranus, il prédit l’existence d’une planète inconnue qui sera observée quelques années plus tard.
- L’expérience d’Eddington (1919) : Lors d’une éclipse solaire, on observe la déviation des rayons lumineux des étoiles par la gravité du Soleil, confirmant ainsi la théorie de la relativité générale d’Einstein selon laquelle les astres provoquent la courbure de l’espace-temps. La lumière des étoiles, elle aussi soumise à cette courbure, doit être déviée si le Soleil est sur cette trajectoire ou non.
👉 Claude Bernard (1865), dans son « Introduction à l’étude de la médecine expérimentale », résume la méthode scientifique en trois étapes :
- Observation des faits sans idées préconçues.
- Formulation d’une hypothèse rationnelle.
- Expérimentation pour tester l’hypothèse.
• Note : Le passage de (1) à (2) est inductif – Induction = L'induction part d'un certain nombre de cas observés pour en tirer une hypothèse générale, une loi (qu'il restera à vérifier). Raisonner par induction, c'est aller souvent du particulier vers le général.
• Note : Le passage de (2) à (3) est déductif – Déduction = En logique, opération de l'esprit par laquelle on tire une conclusion, une conséquence nécessaire, à partir d'une proposition, d'un principe préalablement posé (ou de plusieurs propositions). Par exemple, si je pose que « tous les hommes sont mortels » et que je constate que je suis un homme, j'en déduis que je suis mortel. Du général vers le particulier.
II. Les limites de la science : la critique de l’inductivisme.
La méthode expérimentale repose souvent sur l’induction (tirer une loi générale d’un ensemble de cas particuliers). Mais peut-on garantir qu’une loi est universelle à partir d’observations limitées ?
1. Le problème de l’induction.
L’induction souffre d’un problème fondamental : on ne peut jamais être sûr qu’une universalisation sera toujours valable.
📌 Exemple de Bertrand Russell : Supposons avec Bertrand Russell (mathématicien, logicien, épistémologue anglais, mort en 1970) une dinde - consciencieusement inductiviste, empiriste - amenée un beau jour dans une ferme d'élevage. Le premier jour, on la nourrit à 9 heures du matin. Rigoureuse, elle note l'énoncé d'observation : « Tel jour X, j'ai été nourrie à 9 heures ». Le second, idem ... Comme elle est scrupuleuse, elle fait varier les conditions expérimentales : qu'il neige ou qu'il fasse beau, que ce soit un homme ou une femme, on lui donne toujours à manger à 9 heures. Elle se croit donc autorisée pour finir à énoncer le principe général : « On me donnera toujours à manger à 9 heures du matin ». Le lendemain est le jour de Noël, et à 8 heures on lui coupe la tête !
Logiquement, tous nos raisonnements inductifs sont exposés au même risque que celui de la pauvre dinde. Rien ne me garantit que le prochain corbeau sera noir, que mon eau bouillira demain à 100° ou que le soleil se lèvera à nouveau demain.
Les énoncés scientifiques sont universels (tous… sont). Or, les observations susceptibles de les vérifier se décrivent sous forme d’énoncés particuliers (il s’est produit tel phénomène dans telles circonstances). Or, aucun énoncé particulier ne peut logiquement établir la vérité d’un énoncé universel.
Autre exemple :
- La loi « Tous les cygnes sont blancs » a été invalidée par la découverte de cygnes noirs en Australie.
👉 Nos certitudes, dit Popper dans « Conjectures et réfutations », ne portent que sur ce qui est faux. Impossible de prouver que l'affirmation « tous les cygnes sont blancs » est vraie. Par contre, un seul cygne noir suffit à le réfuter. On peut prouver qu'une théorie est fausse, mais jamais qu'elle est vraie. Les théories réputées vraies sont des conjectures. La science avance en émettant des conjectures qu'elle tente de réfuter ou falsifier.
2. Karl Popper et la falsifiabilité
Popper propose un nouveau critère de scientificité : une théorie est scientifique si elle est falsifiable, c’est-à-dire testable et réfutable. Même l’hypothèse scientifique la mieux établie dans la communauté scientifique, n'est à l'abri d'une éventuelle réfutation ultérieure. Aussi faut-il considérer toutes les lois ou théories scientifiques comme provisoires, hypothétiques ou conjecturales — les nouvelles théories ne s'imposant que comme des approximations meilleures que celles qui les ont précédées. Tout se passe en somme comme si la nature pouvait clairement répondre : « non » à l'expérimentateur (lorsque l'hypothèse est réfutée, « falsifiée »), mais ne pouvait jamais lui répondre « oui » de façon définitive.
📌 Les théories qui ne prennent jamais le risque d’être infirmées ne sont pas scientifiques.
- La psychanalyse et le marxisme expliquent tout… et ne peuvent être contredits.
- La relativité d’Einstein est scientifique car elle propose des prédictions précises pouvant être testées.
👉 Les théories scientifiques ne sont jamais définitives : elles restent des conjectures provisoires.
3. Toute science créé une nouvelle ignorance.
Chaque nouvelle science « crée une nouvelle ignorance », puisque chaque nouvelle théorie débouchera à la fois sur une remise en question du modèle scientifique jusqu'alors dominant.
Une théorie scientifique n'est pas toujours vraie au sens absolu c'est-à-dire définitive. Elle est toujours relative, approximative, la science est inachevée, inachevable, en évolution, en construction. Le scientisme, théorie qui affirme que tout s'explique scientifiquement est dangereux et dogmatique. Il reste encore beaucoup d'interrogations. Plus on trouve de réponses, plus les problèmes nouveaux surgissent.
Aucune théorie scientifique n'est vraie définitivement. La science ne serait pas « La » vérité, elle ne prétend pas à une certitude totale, mais elle vise une « approximation de la vérité» par une «élimination indéfinie de l'erreur» dit Popper (in «Logique de la découverte scientifique»).
III. Science et déterminisme : le problème du hasard
1. La loi scientifique et le déterminisme
Une loi scientifique exprime un rapport constant entre les phénomènes sous forme d’équation mathématique. Elle s'énonce sous forme d'un rapport mathématiques (fonctions, courbes…). Elle enchaîne les phénomènes dans une formule simple, concise. Elle simplifie, elle rend intelligibles et universels les rapports.
Exemples :
- Galilée et la chute des corps : H = 1/2 g t²
- Einstein et la relativité : E = MC²
👉 Le déterminisme implique que tout phénomène a une cause. Spinoza disait : « Rien n’arrive par hasard, tout est déterminé. »
2. Trois conceptions du hasard
- Henri Poincaré : Le hasard est une illusion due à notre ignorance des causes. La notion de "hasard" ne traduirait que notre ignorance des causes multiples, par exemple dans ce que nous appelons "jeu de hasard". Exemple du tirage du Loto. On réserve le nom de « hasard » aux faits et aux événements dont les causes sont non pas mystérieuses, mais en nombre indéfini, ce qui les rend incalculables. Le savant LAPLACE pensait qu'une intelligence suffisamment vaste, « le démon de Laplace », qui pourrait contenir en elle toute la connaissance des séries de tous les déterminismes, serait en mesure de prévoir, à chaque instant, tous les phénomènes du monde.
- Cournot : Le hasard est l’intersection de deux séries causales indépendantes (ex. : une tuile tombe sur un passant). Le hasard serait d'après Cournot le point de rencontre de deux séries de phénomènes dont chacune est déterminée mais qui sont indépendantes l'une de l'autre.
- Bergson : Le hasard est l'importance que prennent, pour un homme, des phénomènes en eux-mêmes parfaitement réguliers. « Une énorme tuile, arrachée par le vent, tombe et assomme un passant ; nous disons que c'est un hasard ». Si la tuile était tombée sur le sol en l'absence de toute possibilité pour quelqu'un d'être là, nous dirions que c'est un effet régulier des lois de la nature. « Il n'y a de hasard que parce qu'un intérêt humain est en jeu, parce que les choses se sont passées comme si l'homme avait été pris en considération. » (Bergson, « Les deux sources de la morale et de la religion »). Le hasard serait donc une intention prêtée au mécanisme, et, ce titre, fait partie des survivances de la mentalité primitive chez le civilisé. Le hasard relève plus de la psychologie que de la science, de la logique. Le hasard est dans nos têtes : on « croit » au hasard.
👉 Einstein rejetait le hasard et était déterministe (« Dieu ne joue pas aux dés »), mais la physique quantique montre des phénomènes réellement aléatoires.
Conclusion : La science, un savoir en perpétuelle évolution
📌 La science repose sur trois critères fondamentaux :
- Un langage mathématique : « La nature est un livre écrit en langage mathématique » disait Galilée.
- Une méthode falsifiable (Popper).
- Des lois déterministes permettant la prévision.
👉 Pour conclure, l'esprit scientifique est tout le contraire de l’esprit dogmatique. L’histoire des sciences est celle d’une révolution permanente. Le progrès scientifique n’est pas linéaire, ni continu. Il se fait par remaniement, par rupture, par crise. Le savoir rationnel est un savoir polémique, une incessante rectification. Il est de l'essence de la science de n'être jamais achevée. Il n’y a pas de système définitif d’explication parce que l’univers des faits connus ne cesse de s’élargir avec le progrès des techniques. Plus la sphère du connu se gonfle, et plus le domaine de l’inconnu s’élargit. « La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres. » (Gaston Bachelard / La Formation de l'esprit scientifique, 1938). L’achèvement du savoir est seulement un idéal, une exigence. Les contemporains d'un certain état de la science ont toujours l'illusion d'être particulièrement près de la vérité ; mais la vérité n'est pas la science, elle est l'idéal de la science.