Résumé de cours : Art et Engagement
Résumé de cours : Art et Engagement.
Introduction : L'art et ses vertus pédagogiques.
L'art doit-il élever le spectateur vers plus de vertu et de connaissance ou peut-il se suffire à lui-même, détaché de toute utilité morale ou sociale ? L’art doit-il avoir des vertus pédagogiques, voire politiques ?
I. La Théorie de l'Art pour l'Art (Thèse).
Kant et la "Finalité sans fin".
Emmanuel Kant, dans sa « Critique de la faculté de juger », affirme que « la beauté est la forme de la finalité de l’objet mais en dehors de toute représentation d’une fin ». Cela signifie que l'œuvre d'art a une finalité en soi, une harmonie interne qui ne sert aucune autre fin extérieure. Par exemple, une église romane peut être appréciée pour sa beauté indépendamment de sa signification religieuse. La beauté, selon Kant, est une satisfaction désintéressée : « Le jugement de goût est donc tout à fait impartial, car il ne repose sur aucun intérêt, ni sensible, ni intellectuel » (Kant). Je peux juger beau un tableau qui représente une femme que je ne désire pas ou qui exprime une religion ou une idée politique que je ne partage pas…
A un objet beau, on ne peut lui assigner aucune fonction. Si la satisfaction esthétique que nous procure l’art est « sans fin », elle est gratuite, donc libre de tout intérêt. On ne demande à l’oeuvre que d’être belle et rien d’autre. On n’embellit pas la beauté, on ne la surcharge pas. Le beau se suffit à lui-même. La rose est sans pourquoi.
Théophile Gautier et l'Art pour l'Art.
Théophile Gautier, dans la « Préface de Mademoiselle de Maupin » (1835), plaide pour l'autonomie de l'art et le culte de l'esthétique pure : « Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid ». Gautier soutient que l'art n'a d'autre fin que lui-même. Selon lui, la beauté apparaît lorsque l'utilité disparaît. L'industrie, bien que nécessaire, est laide. En contraste, l'art doit triompher de l'utilitarisme et être créé pour le seul plaisir esthétique.
Le courant artistique du Parnasse privilégiera un travail de mise en forme de l’oeuvre plutôt que sur son sens social, moral, politique ou historique.
Oscar Wilde et l'Esthétique pure.
Oscar Wilde dissocie systématiquement l'esthétique de l'éthique. Dans la « Préface du Portrait de Dorian Gray », il écrit : « Il n'existe pas de livre moral ou de livre immoral. Un livre est bien écrit ou mal écrit un point c'est tout ». Wilde rejette l'idée que l'art doit être un miroir de la réalité ou un outil didactique. Il affirme que l'art doit être jugé sur ses qualités esthétiques, non sur sa fidélité à la réalité ou ses implications morales. Wilde précise : « Tout art est tout à fait inutile » (Préface du Portrait de Dorian Gray), soulignant que l'art n'a pas à être utile pour être précieux. L'art n'est pas un miroir, d’où le rejet par Wilde du réalisme et plus encore du naturalisme. Il écrit, par exemple, dans « Le déclin du mensonge » : « M. Guy de Maupassant [...] dépouille la vie des quelques haillons qui la couvre encore pour nous montrer le pus d'horribles plaies béantes ». Cette idée occupe une place importante dans « Le Déclin du mensonge » qui affirme par conséquent que le but de l'art n'est pas de tendre à miroir à la nature, mais de créer de belles formes.
II. L'Art Engagé (Antithèse).
a) L'engagement nécessaire selon Sartre.
Jean-Paul Sartre affirme que l'artiste ne peut échapper à l'engagement. Pour Sartre, l'écrivain est toujours en situation dans son époque et ses œuvres reflètent nécessairement cette condition. Il soutient que l'écrivain doit prendre ses responsabilités et s'engager activement dans les affaires de son temps : « L’écrivain est en situation dans son époque » (Sartre, Les Temps modernes). Sartre a été un militant actif, s'opposant à la guerre d'Algérie, à la guerre du Vietnam et soutenant diverses causes sociales et politiques. Pour Sartre, l'artiste doit se confronter aux réalités de son époque et prendre parti.
L’école poétique du Parnasse, avec Leconte de Lisle, incarne parfaitement cet art au service prétendument des seuls objectifs esthétiques. Contre cette théorie de l’art pour l’art, Sartre va jusqu’à affirmer : « Je tiens Flaubert et Goncourt pour responsables de la répression qui suivit la Commune parce qu'ils n'ont pas écrit une ligne pour l'empêcher. »
b) Voltaire et Zola comme modèles d'engagement.
Sartre s'inscrit dans la lignée de Voltaire et Zola, qui ont pris parti dans les affaires de leur temps. Voltaire a défendu les victimes de l'injustice comme Jean Calas et le chevalier de La Barre, tandis que Zola a écrit son célèbre « J'accuse… ! » en faveur d'Alfred Dreyfus. Voltaire a dénoncé l'intolérance et le fanatisme religieux, et Zola a combattu l'injustice et l'antisémitisme. Pour Sartre, cet engagement est une nécessité morale et politique.
c) L'art comme outil de propagande.
Les régimes dictatoriaux et totalitaires utilisent l'art pour servir leur idéologie. Par exemple, le « réalisme socialiste » en Union soviétique et l'art national-socialiste du IIIe Reich ont été des instruments de propagande. Ces régimes ont utilisé l'art pour renforcer leur image et imposer leur idéologie au peuple. L'art devient ainsi un outil de contrôle et de manipulation. La poésie et la littérature étaient employées pour glorifier les leaders et les idéologies dominantes, comme Staline en URSS ou Auguste dans la Rome antique.
III. La Beauté est Apolitique et Amoral.
a) L'autonomie de la beauté.
Contrairement à une opinion répandue, l'art engagé n'est pas nécessairement médiocre art comme l’art religieux de Bach. Toutefois, on peut se demander si c'est l'engagement qui fait la valeur de l'œuvre ou si celle-ci peut susciter une émotion esthétique indépendamment des thèses qu'elle expose. Par exemple, on peut admirer une œuvre de Céline, Heidegger ou Aragon pour ses qualités esthétiques sans adhérer à leurs opinions politiques ou idéologiques. Certes une satisfaction peut être morale ou politique et esthétique, les deux ne s’excluent pas mais en tant qu’esthétique, elle n’est pas morale.
Le beau n’est pas le bien. Pas moral, l'art est axiologiquement neutre, il peut représenter le vice ou la vertu ; cela n'enlève, ni n'ajoute rien à sa beauté. Il est au-delà du bien et du mal. Comme le dit la célèbre thèse de Kant: « L’art est la belle représentation d’une chose et non la représentation d’une belle chose. » (in Critique du Jugement, § 48.). Kant distingue clairement entre la beauté et la morale. Cela signifie que l'art peut être apprécié pour sa beauté formelle indépendamment de son contenu moral ou idéologique. La beauté, pour Kant, est une fin en soi.
b) Nietzsche et le grand stimulant de la vie (Synthèse 1).
Nietzsche soutient que l'art est « par-delà Bien et Mal ». Il voit l’art comme un puissant stimulant de la vie, non pas une simple distraction, mais une force qui intensifie l’existence en sublimant la souffrance et en exaltant la vitalité. Il rejette toute subordination de l’art à une morale ou à un idéal transcendant, critiquant aussi bien l’art décadent qui s’épuise dans la virtuosité que la doctrine de l’art pour l’art, qu’il juge insuffisante. Pour lui, l’artiste véritable, le sur-homme, est un créateur libre qui ouvre de nouveaux horizons, incarnant une volonté de puissance et d’affirmation de l’existence, notamment à travers la tragédie, qui révèle la vie dans toute son intensité. L’art n’est donc pas une fuite, mais un moyen d’accepter et d’aimer le devenir, une transmutation des valeurs qui fait de la création une exaltation du désir de vivre.
Dans La Naissance de la tragédie, Nietzsche célèbre Wagner comme un héritier de la musique dionysiaque, capable d’éveiller les forces vitales, de susciter une ivresse, rapprochant l’homme de ses instincts les plus profonds. Nietzsche finit par lui opposer la musique de Bizet, notamment Carmen, qu’il considère plus légère, plus solaire, et plus proche d’une affirmation joyeuse de la vie.
IV. L'Art est Cathartique (Synthèse 2).
a) L'effet cathartique selon Aristote.
Aristote parle de l’effet cathartique de l’œuvre d’art, qui purifie les sentiments en les exprimant. L'art n'a pas pour but direct de moraliser, mais il peut fortifier les caractères et détourner des bassesses en inspirant de nobles actions. Un exemple classique de l’effet cathartique selon Aristote est la tragédie "Antigone" de Sophocle. Dans cette pièce, le spectateur est confronté au conflit tragique entre Antigone, qui suit la loi divine en enterrant son frère, et Créon, qui impose la loi de la cité. Cette tension provoque chez le spectateur des émotions intenses de peur et de pitié, le plongeant dans une réflexion sur la justice, le devoir et le destin.
Selon Aristote, cette intensité émotionnelle conduit à une catharsis, c’est-à-dire une purification des passions par leur expression. En vivant ces émotions à travers le drame, le spectateur apprend à mieux les comprendre et à les maîtriser, ce qui peut le fortifier et l’élever moralement, sans que l’œuvre ait un but moralisateur explicite.
b) L'art comme inspiration morale.
Mme de Staël soutient : « Un livre n'est pas bon ou mauvais par ce qu'il enseigne mais par ce qu'il inspire ». L'artiste n'a pas besoin de se poser en professeur de morale pour avoir un impact moral. En faisant briller la beauté, l'œuvre d'art peut inspirer l'enthousiasme et les sentiments généreux. La contemplation de l'art peut ainsi contribuer indirectement à l'amélioration des mœurs.