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RESTIF (ou RÉTIF) DE LA BRETONNE Nicolas-Edme 1734-1806

RESTIF (ou RÉTIF) DE LA BRETONNE Nicolas-Edme 1734-1806

Romancier, né à Sacy, dans l’Yonne. Fils d’un laboureur, il est apprenti chez un imprimeur d’Auxerre, puis bientôt maître imprimeur lui-même à Paris. Aussi dès ses premiers romans, et encore sur le tard de sa vie, s’amusera-t-il assez souvent à composer lui-même « à la casse » ses histoires ; soit à partir d’un brouillon, soit, encore, à mesure qu’il les imagine. Il se livrera d’ailleurs à quelques fantaisies typographiques, comme dans Monsieur Nicolas, où les caractères d’imprimerie changent de corps selon l’importance du personnage dans l’esprit de l’auteur, ou même s’inclinent - en italique - selon que Restif éprouve pour eux plus ou moins de tendresse. Ses oeuvres obtiennent un succès rapide. Mais Restif fréquente les bouges « nocturnes », ou les rues mal famées de la capitale, davantage que les salons. De plus, il ne sait ni respecter un engagement, ni se faire payer ; Beaumarchais qui l’admire et songe un instant à lui confier l’édition dite « de Kehl » des Œuvres complètes de Voltaire, doit/y renoncer très vite. N’importe : l’amitié de Beaumarchais,' très introduit à la cour et dans les beaux quartiers, va entraîner pour Restif, toujours friand de nouvelles expériences, la découverte des « femmes du monde ».
Au demeurant, la renommée de cet auteur est communément associée à l’évocation de femmes - si ce n’est de « filles », dans le plus mauvais des sens anciens du terme - ; femmes et filles aux prénoms mélodieux, qu’il a libéralement chantées dans ses livres. Citons, entre tant, Nanette, Jeannette, Adélaïde, Sara, et, surtout, selon notre auteur, ces trois images inséparables de ma pensée : Mme Parangon (la femme de son premier patron; d’où son surnom, emprunté au vocabulaire typographique), Zéphire (une jeune prostituée) et Zoé. Il est vrai que tout un versant de l’œuvre - et c’est le plus assidûment prospecté de nos jours - est consacré à l’histoire de ces adorables personnages, ou plutôt (pour employer sa propre expression) de ces créatures féïques. On lui a longtemps tenu rigueur de son enthousiasme perpétuel et exclusif pour la femme. En particulier, tout au long du XIXe siècle (qui fut selon Stendhal « le siècle de l’hypocrisie »), son nom n’était pas même prononcé. Seul Gérard de Nerval ose faire son éloge ; mais en 1895 encore, le critique Brunetière pourra le définir, sans plus de façon, « ce pourceau de Restif ». Pour Lanson, ses œuvres sont si « vulgaires » qu’au total « il n’appartient presque plus à la littérature ». Mais on édite aujourd’hui Sara, ou la Dernière Aventure d'un homme de quarante-cinq ans (1793), Les Nuits de Paris, ou le Spectateur nocturne (1788), et même, « in extenso », Monsieur Nicolas, ou le Cœur humain dévoilé (1794-97), autobiographie imaginaire qui, en dépit de ses longueurs, reste sans aucun doute son chef-d’œuvre. À quoi l’on devrait ajouter sur ce premier versant (« lubrique », selon certains) de son œuvre : Le Pied de Fanchette, Les Contemporaines, Les Parisiennes, etc. Dans ce genre léger son œuvre est immense.

Mais il serait injuste de ne considérer que l’aspect « immoral » de l’œuvre. Pour ses contemporains, Restif fut aussi l’auteur de La Famille vertueuse, son premier livre (1766), de La Fille naturelle (1767) et, en particulier, de La Vie de mon père (1779), un de ses meilleurs ouvrages : récit émouvant, et ému, de son enfance à la campagne. Restif se présente ici à nous, selon son exégète Marc Chadourne, « comme s’il voulait se délivrer du mal ». À vrai dire, il songe moins à se délivrer de quoi que ce soit qu’à se sentir vertueux. Et il y parvient sans effort. Tout le siècle, et surtout vers sa fin, se sent venir des larmes à l’idée seule d’être bon, naïf, innocent, sensible ; et cette propension à pleurer ne laisse pas d’être sincère. Mais elle est, en quelque sorte, une tendance apprise. Ou, si l’on veut, davantage l’effet d’un mouvement collectif des esprits, en ce point du siècle, que propre à chaque « pleureur » pris à part. Surtout s’il s’agit d’un homme profondément original comme Restif. Aussi bien l’assimilation fréquente de notre auteur à Rousseau se justifie-t-elle sans doute en grande partie, mais on pourrait lui trouver des affinités plus évidentes encore avec un autre grand homme de l’époque : Diderot. Et déjà dans certains titres : La Famille vertueuse, La Malédiction paternelle, La Fille naturelle. Mais surtout, chez Diderot comme chez Restif, la morale et l’érotisme font - et nous voilà tout à l’opposé de Rousseau - très bon ménage. Dans ce domaine, d’ailleurs, Restif était même en avance, philosophiquement parlant, sur Diderot ; le plaisir, dit-il, c'est la vertu sous un nom plus gai. Les deux œuvres les plus typiques de cette ambiguïté morale de Restif sont sans contredit le couple célèbre de romans, Le Paysan perverti en 1775, et en 1784, La Paysanne pervertie, qui tous deux narrent, avec quelque complaisance, la lente chute de deux jeunes paysans de Sacy dans les mauvais lieux de la capitale, corrompue et « énervée de vices ». Notons le sous-titre du premier : ou les Dangers de la ville. Toute la morale très personnelle de Restif tient en cette formule, et du même coup la justification à ses propres yeux de son œuvre entière, Le Pied de Fanchette inclus, et les quarante-deux volumes des Contemporaines (sous-titrées : ou les Aventures des plus jolies femmes de l'âge présent). C’est son triste exemple et les abus dont il a été le témoin (comme il dit dans Les Nuits de Paris) qu’expose à nos yeux ce paysan perverti de Restif pour mieux nous prémunir contre semblable péril. Le raisonnement fera fortune, un peu plus tard. Il est évident que Restif y croyait. Comme toute l’époque, notre homme rêve d’un retour à la vie simple et naïve. Parfois même, à la pureté originelle.

Mais pour sa part il va bien au-delà. Réaliste quant au détail de la vie quotidienne, il est en revanche, pour tout ce qui concerne l’amour -qui est pourtant son thème principal -,. le plus incompétent, le plus chimérique des hommes. Dans Monsieur Nicolas, il avoue avoir été toute sa vie un incurable timide en cette matière. Plus loin, il nous met en garde contre ses souvenirs galants : J’ai mis les choses comme j’aurais désiré qu’elles arrivassent. Et encore : Je sais bien que le bonheur en songe est infiniment plus doux, plus féïque, que le bonheur réel. Notons d’autre part que son type féminin est une pure et simple vue de l’esprit. Il choisit un illustrateur à gages, Binet, qu’il oblige à répéter sans relâche, selon ses implacables instructions, ces femmes-sylphides à taille de guêpe, décorporées et flexibles comme le roseau (joncées, dit-il encore), évoluant dans une sorte de perpétuel état d’apesanteur sur des jambes sans chevilles, que terminent des pieds minuscules. À la vérité, Restif n’a jamais aimé à travers toutes ces femmes-fées qu’une seule femme - il nous l’a dit -, celle de ses trop chastes amours de la première enfance. C’est par là que ce « pourceau de Restif » rejoint le candide républicain qui dans ses Idées singulières (1770-1790) rêve d’une société idyllique, introuvable d’innocence et de justice, vouée au « bonheur par l’amour ». Gérard de Nerval, qui fait à notre auteur une place de choix dans son livre sur Les Illuminés, a dit de lui ; « Restif manifeste pour la vertu et la pureté des moeurs les regrets que l’ange déchu put concevoir du paradis. »