réjection

 La réjection est une figure macrostructurale de second niveau, c’est-à-dire un lieu. C’est un mouvement psychologique et argumentatif qui entraîne à faire faire momentanément abstraction d’un point pourtant très avéré, dans une discussion ou dans une situation, de telle manière qu’est créée ainsi, à un certain niveau d’appréhension des circonstances, une atmosphère particulière, lourde d’implicites ou d’arrière-fonds.

Voici une scène de Madame Bovary :

Pour se faire valoir, ou par une imitation naïve de cette mélancolie qui provoquait la sienne, le jeune homme déclara s’être ennuyé prodigieusement tout le temps de ses études. La procédure l’irritait, d’autres vocations l’attiraient et sa mère ne cessait, dans chaque lettre, de le tourmenter. Car ils précisaient de plus en plus les motifs de leur douleur, chacun, à mesure qu’il parlait, s’exaltant un peu dans cette confidence progressive. Mais ils s’arrêtaient quelquefois devant l’exposition complète de leur idée, et cherchaient alors à imaginer une phrase qui pût la traduire cependant. Elle ne confessa point sa passion pour un autre; il ne dit pas qu’il l’avait oubliée. Peut-être ne se rappelait-il plus ses soupers après le bal avec des débardeuses ; et elle ne se souvenait pas sans doute des rendez-vous d’autrefois, quand elle courait le matin dans les herbes vers le château de son amant.

Le lieu est ici mis en œuvre moyennant une certaine distanciation, bien caractéristique de Flaubert, qui en fait nettement apparaître le mécanisme. D’abord, le narrateur expose une scène d’ouverture, voire de pléthore, du dire et de la déclaration ; mais lorsque le lecteur a l’impression que ce mouvement va s’amplifiant, il est prévenu qu’il y a une sorte de barrière, une interruption devant l’expression totale, devant l’exposition complète de leur idée; qui se trouve ainsi filtrée. Fortement présente pour chacun des personnages, mais refoulée. Le même mouvement se poursuit et se déploie avec les phrases : Elle ne confessa point... - il ne dit pas qu’il... - Peut-être ne se rappelait-il plus. ..- et elle ne se souvenait pas... Ici, on a un décalage énonciatif plus marqué, par l’intervention massive du narrateur, accentuée en outre par l’insertion des modalisateurs dans les phrases 3 et 4 (peut-être - sans douté), qui repousse tout le système à un niveau plus profond d’articulation. Il n’empêche que c’est le dynamisme psycho-argumentatif du lieu de la réjection qui commande tout le développement de ce passage : d’abord, le rejet d’expression des deux événements ou comportements sentimentaux ou sexuels qui oblitéreraient absolument l’intimité doucereuse de la scène, mais que le lecteur au moins se voit ainsi diaboliquement rappeler; ensuite, sous le prétexte apparent d’incertitudes mémorielles (à l’intérieur de la fiction), l’effacement du détail de ce passé refoulé, par là-même pittoresquement évoqué, au moins encore dans l’esprit du lecteur. Est créé ainsi un effet d’atmosphère singulièrement lourd, oppressant et délétère, qui subvertit le niais romantisme de la scène. La complexité et le flou des niveaux auxquels est mise verbalement en œuvre la figure renforcent son efficacité et augmentent l’ampleur de son jeu, en même temps qu’ils le révèlent.

=> Figure, macrostructurale, lieu, niveau.