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RAMEAU Jean-Philippe

RAMEAU Jean-Philippe. Musicien français. Né à Dijon, le 25 septembre 1683; mort à Paris, le 12 septembre 1764. Jean-Philippe Rameau est le maître de la dernière période glorieuse de la musique classique française. Il avait pour père l’honnête organiste de la cathédrale Saint-Bénigne à Dijon. Par tradition familiale sa carrière était tracée. Aussi bien n’attendit-il pas d’avoir terminé ses études chez les Jésuites pour embrasser le métier de musicien. Comme presque tous les artistes de son époque, il passe les Alpes pour visiter l’Italie. Il a dix-sept ans. A vrai dire ce voyage ne paraît pas l’avoir mené bien loin puisque à Milan il entre comme violoniste dans une troupe de théâtre qui le conduira bientôt en Provence. En 1702, il se montre déjà si excellent musicien que lui seront confiées les orgues de Notre-Dame-des-Doms, en Avignon. Pendant longtemps il mènera une vie fort instable, toujours préoccupé de trouver une position ou un milieu qu’il croit plus favorable sans parvenir à se fixer. Nous le trouvons à Clermont-Ferrand, où il rompt son contrat d’organiste pour se rendre à Paris. Pendant quelque temps il y tient l’orgue des Jésuites de la rue Saint-Jacques et des Pères de la Merci; puis il revient dans son pays natal à la mort de son père dont il prend pendant quatre ans la succession. En 1712, il est nommé à Lyon, passe à Saint-Etienne, avant d’aller retrouver son ancien clavier de Clermont-Ferrand. Cette vie ambulante et agitée de paroisse en paroisse ne semble pas nuire à son activité créatrice. Comme tous les organistes d’autrefois, Rameau était claveciniste. Il devint professeur fort apprécié. Son premier livre de clavecin — v. Pièces de Clavecin — paraît en 1706; mais il faudra attendre près de vingt ans avant de voir paraître le deuxième livre qui sera suivi sept ans plus tard d’un troisième livre. A côté de son métier d’exécutant et de compositeur, sa grande préoccupation, celle qui restera l’impérieuse passion de toute sa vie, sera d’établir les fondements de la science de l’harmonie. Depuis que les vieux modes avaient été remplacés par l’écriture verticale, on pouvait sentir le besoin d’en analyser les principes acoustiques, d’en fixer les règles, de codifier les éléments de la tonalité moderne. Rameau attendit l’âge de quarante ans (1722) avant de présenter les fruits de ses études et de son expérience, et de publier son Traité de l'harmonie, livre fondamental qui restera pendant deux siècles la référence supérieure des musiciens. Cet ouvrage fait grand bruit. Ecrit avec une admirable lucidité et avec une compréhension sans égale des problèmes de la musique, il suscite l’intérêt, les passions, les controverses. Rameau vient alors se fixer à Paris. Il y essuie d’abord un échec : au concours pour l’obtention de l’orgue de Saint-Paul, c’est Daquin qui l’emporte sur lui. Agé de quarante-quatre ans, Rameau se marie avec Mlle Mangot qui en a dix-huit. Il poursuit son œuvre de théoricien qui agite le monde de la musique. Le théâtre l’intéresse aussi : il compose pour le théâtre de la Foire Saint-Laurent et de la Foire Saint-Germain. Parallèlement, il écrit des cantates, des motets et tient l’orgue de Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie. Un homme de très grand goût, le fermier général La Popelinière, l’attire dans sa maison richement décorée d’œuvres d’art et lui demande d’y organiser des concerts. Il y rencontre les écrivains et les artistes les plus éminents, dont Voltaire qui lui ressemble d’étrange façon et qui sera toujours son fervent admirateur. C’est alors que l’abbé Pellegrin écrit pour lui, extrait de Phèdre, le livret d'Hippolyte et Aride, qui sera créé à l’Opéra en 1733. Grand événement parisien ! Le public, dans son ensemble, est déconcerté par une musique trop savante. Le clan des lullistes stigmatise l’agressivité des accords, une écriture de théoricien qui, soi-disant, perd tout pouvoir mélodique. Les épigrammes pleuvent : « Distillateurs d’accords baroques,/ Dont tant d’idiots sont férus / Chez les Thraces et les Iroques / Portez vos opéras bourrus. » Pourquoi Rameau ne s’inspire-t-il pas plus simplement de la nature ? « Si le difficile est beau / C’est un grand homme que Rameau. / Mais si le beau par aventure / N’était que la simple nature / Quel petit homme que Rameau ! » L’auteur, dont l’entêtement et le caractère irascible étaient bien connus, s’il savait répondre avec une véhémence lucide aux attaques de ses adversaires dirigées contre ses écrits, se trouvait désempare devant cet accueil fait à sa musique. Il ne reniait rien, bien au contraire, mais irrité et découragé, il déclarait : « J’ai cru que mes goûts réussiraient; je n’en ai point d’autres; je ne ferai plus d’opéras. » A vrai dire, il avait aussi de grands admirateurs et le vieux Campra, après la première représentation, déclarait en bon prophète : « Voilà un homme qui nous dépassera tous. » Par bonheur non seulement Rameau ne renonça point à l’opéra, mais, dès lors, il en fit représenter un presque chaque année. Dans les dernières années de sa vie — il devait mourir âgé de quatre-vingts ans — l’ardeur des polémiques suscitées par ses doctrines ne fit que s’accuser. Il s’acharnait avec une opiniâtreté hautaine et farouche à la défense de ses idées et répondait à ses détracteurs par des coups de boutoir. Il représentait avec force un art spécifiquement français, notamment dans ses polémiques contre Jean-Jacques Rousseau après que celui-ci eut fait paraître sa ridicule Lettre sur la musique française, et contre l’Allemand Grimm qui jouissait du plus haut crédit dans la société parisienne. En dehors de d’Alembert, qui fut l’un de ses plus pénétrants commentateurs — Discours préliminaires de l'Encyclopédie, Eléments de musique théorique et pratique — il ne trouvait chez les philosophes de l'Encyclopédie qui régnaient sur les idées du jour que des contempteurs généralement ignorants de ce dont ils parlaient avec outrecuidance. Les querelles s’éternisaient, de plus en plus véhémentes. Quelles étaient les théories défendues par Rameau avec tant d’âpreté ? Notons d’abord que le musicien accordait une extrême importance à son œuvre pédagogique — au point qu’il considérait que le temps donné à la composition était du temps perdu qui le détournait de ses recherches. Il apportait à ses spéculations un esprit scientifique qui le fit nommer le « Newton des sons » tandis que Voltaire l’appelait « notre Euclide-Orphée » du Traité et pour le poète de Castor et Pollux. « C’est l’harmonie qui nous guide et non la mélodie », écrit Rameau. Cette donnée primordiale renversait les données acquises. Le musicien démontrait que l’accord n’était pas seulement destiné à fournir un agréable support à la mélodie, mais que celle-ci devait faire partie intégrante de l’ensemble et même en être une conséquence. Tout se trouve donc ramené à une théorie qui a pour base l’accord parfait, et ses différents renversements, les dissonances venant colorer diversement la suite ou la superposition des accords. Pour son analyse du « corps sonore », il distingue le « son principal » du « petit son », et c’est l’origine du principe de la « base fondamentale ». Tout cela qui paraît évident aujourd’hui paraissait alors presque invraisemblable et l’on ne peut s’étonner que ces conclusions révolutionnaires aient soulevé de telles polémiques. Malgré son esprit mathématique, Rameau était homme d’imagination. Compositeur de génie, ses découvertes de l’ossature du langage sonore n’ont jamais contraint le libre cours de son inspiration. Dès ses premières pièces pour clavecin, et même dans celles ou il semble ne nous proposer que de pittoresques tableautins : Les Tourbillons, Les Cyclopes, La Poule, Le Rappel des oiseaux — v. Pièces de clavecin —, il fait preuve d’une telle vigueur, d’une telle fermeté de composition, d’une telle autorité d’écriture qu’il dépasse le cadre habituel de la musique écrite pour cet instrument. S'il ne possède pas toujours les ombres mystérieuses et les troubles délicieux de Couperin, il se montre symphoniste accompli, ainsi qu’en témoignent ses Concerts en sextuor directement issus de sa musique de clavecin. Mais c’est dans son œuvre dramatique que Rameau devait donner toute sa mesure. Il aborde tous les genres avec un égal bonheur malgré la médiocrité habituelle de ses librettistes : la tragédie-ballet, héritée de Lulli : Hippolyte et Aride, Castor et Pollux, Dardanus, Zoroastre, la pastorale héroïque : Zaïs, Acante et Céphise, la comédie-ballet : Platée, Les Paladins, la petite comédie galante : Pygmalion, et enfin ces suites de tableaux composites prétextes à spectacles merveilleux où se succèdent les ouvertures, les soli, les chœurs, les danses : Les Indes galantes, Les Fêtes d’Hébé. Le Temple de la gloire. En toute occasion il se révèle homme de théâtre et propose au public un spectacle complet, varié, passant avec aisance de la grave solennité dramatique aux plus joyeux divertissements. Son orchestre sonne clair, sur des rythmes serrés, et les parties vocales sont traitées avec la même force que les parties instrumentales. Elles s’appuient l’une l’autre et se fondent. Ses plus grands triomphes, Rameau les a toujours obtenus avec sa musique de danse. La danse ne s’introduit pas dans son œuvre par jeu gratuit, elle s’incorpore naturellement dans le cours de l’action. Le compositeur possède un sens chorégraphique qui lui permet, en des pages colorées de façon éclatante, de donner au ballet sa signification; la musique commande les pas des danseurs. L’œuvre de Rameau se distingue par sa haute tenue, son élégance polie, son caractère aristocratique. Ses récitatifs échappent, pour une part, à l’habituelle monotonie par leur souplesse et leur pouvoir expressif. L’expression, il n’en abuse point, il ne la force jamais et il arrive au pathétique et à la magnificence par les procédés les plus simples. Il emploie des moyens volontairement restreints pour atteindre la grandeur; son vocabulaire musical lui permet d’exprimer l’intensité des sentiments dans une sorte de synthèse intellectuelle et de réserve qui est le propre de l’art classique. Mais cet épanouissement magistral de l’esprit classique arrivait à un moment et dans un milieu déjà touché par les premières efflorescences du romantisme, et ce fut redoutable à l’œuvre de Rameau. Elle dut céder le pas aux niaiseries sentimentales et aux insipides bluettes de l’opéra-comique prônées par les amis de la Nature. La mode ayant changé, elle tomba rapidement dans l’oubli. Ce n’est qu’à une époque relativement récente que sa réhabilitation fut consacrée. Grâce aux efforts de Charles Borde, de Vincent d’Indy, de Saint-Saëns, qui dirigea l’édition des œuvres complètes, grâce à la sympathie de musiciens qui l’admiraient, comme Ravel ou Debussy, grâce à des musicologues avertis, grâce à quelques représentations prestigieuses, Rameau a conquis sa place et siège désormais au premier rang des maîtres de la musique.

♦ « Je cherche à cacher l'art par l'art même. » J.-Ph. Rameau. ♦ « Rameau était d'un naturel dur et sauvage; il était étranger à tout sentiment d'humanité. Sa passion dominante était l'avarice. Il était insensible à la réputation, aux distinctions, à la gloire. Il voulait de l'argent et il est mort fort riche. » Grimm. ♦ « Il faut reconnaître dans M. Rameau un très grand talent, beaucoup de feu, une tête bien sonnante, un grand connaisseur des renversements harmoniques et de toutes les choses d'effet; beaucoup d'art pour s'approprier, dénaturer, orner, embellir les idées d'autrui et retourner les siennes; assez peu de facilité pour en inventer de nouvelles; plus d'habileté que de fécondité; plus de savoir que de génie, ou du moins un génie étouffé par trop de savoir; mais toujours de la force et de l'élégance et très souvent du beau chant. » J.-J. Rousseau. ♦ « ...une des plus sublimes conceptions de la musique dramatique. » Berlioz. ♦ « Vive Rameau ! A bas Gluck qui a barré la route au grand maître français. » Debussy. ♦ «Au fond, Rameau a tout dit. » Paul Dukas.


RAMEAU, Jean-Philippe (Dijon, 1683-Paris, 1764). Compositeur français contemporain de Jean-Sébastien Bach. Éminent théoricien de l'harmonie, il fut aussi le plus grand compositeur français du xvme siècle. Organiste dans différentes villes de France, Rameau composa très peu jusqu'à l'âge de 40 ans, se consacrant presque exclusivement à l'étude scientifique de l'harmonie d'où découle toute l'harmonie moderne {Traité de l'harmonie, 1722). À Paris, sa rencontre avec le fermier général Riche de La Pouplinière (vers 1730), mécène clairvoyant, décida de son destin, en lui ouvrant les portes de l'opéra. Son Hippolyte et Aride (1733) et plus encore Les Indes galantes (1735), Castor et Pollux ( 1737) et Dardanus ( 1739) reçurent du public un accueil triomphal. Les Pièces de clavecin en concerts appartinrent aussi à cette époque créatrice et furent son chef-d'oeuvre de musique de chambre. Cependant, l'opposition de ses anciens amis dorénavant partisans de la musique italienne (comme Jean-Jacques Rousseau) et l'évolution du goût du public porté vers une musique plus facile et sentimentale assombrirent ses dernières années. Sa gloire ne lui survécut pas et quinze ans après sa mort, aucun de ses opéras ne figurait plus au répertoire. Voir Lully (Jean-Baptiste).

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