RAISON
RAISON
(Du latin ratio, calcul, compte.) Signe distinctif de l’humanité (Aristote définit l’homme comme un animal raisonnable), la raison est d’abord l’aptitude à calculer et à présenter des justifications relatives à l’exactitude de ce qui est calculé.
♦ Faculté de bien juger, « de discerner le bien et le mal, le vrai et le faux », la raison est chez Descartes - qui la nomme aussi bon sens - « naturellement égale en tous les hommes » ; menacée par ses ennemies naturelles que sont la passion et la folie, elle doit se méfier des pièges que lui tend l’affectivité confortée par l’imagination.
♦ Faculté de raisonner, c’est-à-dire de se développer discursivement en combinant les concepts et les propositions selon les règles logiques du raisonnement, elle peut devenir aussi un instrument de justification quand elle se dégrade et repose sur des bases incertaines.
♦ Faculté des principes, la raison se réfère aux structures de la pensée en tant que celle-ci s’appuie sur des principes directeurs qui permettent une mise en ordre du donné de l’expérience. Kant la définit comme « l’ensemble des principes qui président à la connaissance dont la vérité ne dépend pas de l’expérience ». Les expressions « raison constituante » et « raison constituée » (Lalande) se rapportent aux exigences permanentes d’un esprit rationnel engendrant un corps de principes qui, bien qu’opérationnels à une époque donnée, ne sont pas pour autant intangibles.
♦ Le devenir de la science prouve l’historicité de la raison, avec l’apparition, au XXe siècle, d’un « nouvel esprit scientifique » (Bachelard*) en réaction contre les principes qui fondent la géométrie d’Euclide et la physique de Newton.
À ces motifs relevant de l’épistémologie, il est habituel d’en ajouter d’autres, fournis par l’anthropologie, qui montrent la coexistence, à un moment de l’histoire, de mentalités différentes selon les cultures - ou même à l’intérieur d’une même culture, sinon d’un même individu : on en vient ainsi à penser la raison, non plus en terme d’universalité selon une conception statique, mais d’un point de vue dynamique, comme l’ensemble des règles qui assurent, dans un ensemble culturel donné (historique ou géographique), la compréhension commune et l’intercommunicabilité.
- raison, faculté de comprendre, de saisir les rapports intellectuels. — En ce sens, elle s'identifie à l'entendement. On oppose souvent, à la suite de Pascal, la raison et le cœur, qui est la faculté du sentiment; mais il faut noter que Rousseau et Kant, à sa suite, ont identifié la raison avec le sentiment moral : manifestation pratique de la raison, ou raison pratique. D'une façon générale, la raison se définit comme une faculté de comprendre, d'ordre non seulement théorique, mais aussi pratique et affectif (Max Scheler) : l'esprit de finesse, qui nous permet de saisir « par sympathie » à l'égard d'autrui la nature de ses sentiments, est une manifestation de la raison. (Syn. esprit en général.)
- RAISON, n. f. (du latin ratio, rationis, «calcul; faculté de calculer, de raisonner»). 1° Capacité propre à l’être humain de raisonner, de réfléchir selon les lois de la logique, d’établir des rapports entre les choses, de comprendre les phénomènes de l’univers en usant d’analyse et de synthèse, en distinguant les enchaînements, les causes et les conséquences, en ordonnant les observations et en en déduisant des lois. Il s’agit de l’activité intellectuelle la plus rigoureuse de l’esprit, la faculté de penser et de connaître. Dans ce sens, on peut opposer la raison au sentiment, à l’intuition, à l’imagination. L’adjectif qui correspond à ce sens du mot raison est le mot rationnel. La connaissance rationnelle s’oppose aux autres formes de la connaissance — intuitive chez l’artiste, «révélée» chez le croyant —, jugées «irrationnelles». Voir Rationalisme. 2° Faculté de bien juger, de distinguer le bien du mal, le beau du laid, l’essentiel de l’accessoire, etc., et de se conduire selon ce bon jugement. Ce sens du mot raison (appelé aussi bon sens ou jugement à l’époque classique) n’exclut pas les aptitudes au raisonnement définies précédemment, mais les intègre au service de la vie morale et de la vie sociale : la raison devient une capacité globale de discernement et de maîtrise de soi, dans laquelle l’intuition, la compréhension au sens large, le sens de l’ensemble et le souci de la mesure viennent compléter la pure rigueur logique du sens n° 1. L’adjectif correspondant à ce second sens du mot raison est le mot raisonnable (à prendre au sens fort). C’est de cette raison que parle Molière lorsqu’il fait dire à Philinte : «La parfaite raison fuit toute extrémité / Et veut que l’on soit sage avec sobriété»; c’est elle qui s’oppose fondamentalement aux excès de la passion. Ces deux sens du mot raison, la «raison rationnelle» et la «raison raisonnable», sont complémentaires. L’esprit scientifique se constitue évidemment davantage de la «raison rationnelle»; mais l’homme de science sait que celle-ci ne suffit pas à la saisie totale de la vérité, et qu’il y a d’autres voies de la connaissance (ce qui fait écrire à Pascal : «Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas»}. L’esprit philosophique (y compris chez les philosophes cartésiens) associe les deux formes de raison. La «sagesse» vers laquelle il tend se fonde d’abord sur la rigueur rationnelle, mais sait la dépasser pour parvenir au discernement, à la connaissance supérieure, à l’art de se conduire avec justice. Voir Lumières. 3° Le contenu auquel aboutit l’exercice de la raison. Un argument que l’on formule (la raison du plus fort), un principe d’explication que l’on donne (la raison d’un phénomène), un but que l’on poursuit (la raison qu’on a d’agir) : tout ce qui justifie, légitime ou explique une réalité, une conduite, peut être appelé «raison». Il y a naturellement de «bonnes» raisons et de «mauvaises» raisons : la véritable Raison (aux sens 1 et 2) doit toujours rester en éveil...
- Raison Jean de Meun lui donne la parole (Le Roman de la Rose, 2e partie). Montaigne met sa valeur en doute (Essais, II, 12), mais surtout affirme le droit d’en user (cf. Esprit critique). Les libertins, au XVIIe siècle, l’opposent à la religion : Molière, Dom Juan. Descartes fonde la philosophie et la connaissance scientifique sur le bon usage de la raison : Discours de la méthode. Désormais, «la raison est à l’égard du philosophe ce que la grâce est à l’égard du chrétien» (Encyclopédie, article Philosophe) : Bayle, Pensées sur la comète; Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes; Montesquieu, Lettres persanes (lettres XCVII), De l’esprit des lois; Voltaire, Lettres philosophiques, Essai sur les mœurs, Dictionnaire philosophique (réédité en 1769 sous le titre La Raison par alphabet); Diderot, Encyclopédie; Rousseau, Émile ou De l’éducation. Le rationalisme est, pour l’avenir, solidement établi malgré l’hostilité de la tradition religieuse (cf. Science, 3 ; Libre pensée).
- RAISON (n. f.) 1. — Faculté de connaître directement l’essence de la réalité (cf. nous). 2. — Faculté de raisonner, c.-à-d. de former des concepts abstraits, de les combiner (cf. grec logos). 3. — Faculté de bien juger (Descartes), c.-à-d. de discerner le vrai du faux, le bien du mal, etc. ; Syn. bon sens ; opposé à folie, passion. 4. — Type part, de la connaissance propre à l’homme, et ayant pour objet les phénomènes naturels : « La raison est l'enchaînement des vérités ; mais particulièrement lorsqu’elle est comparée avec la foi, de celles où l’esprit humain peut atteindre naturellement, sans être aidé des lumières de la foi » (Leibniz) ; opposée à révélation, foi. 5. — Ensemble des principes qui président à la connaissance, dont la vérité ne dépend pas de l’expérience, et qui sont inhérents au sujet (cf. Kant) : « La connaissance des vérités nécessaires et éternelles est ce qui nous distingue des simples animaux et nous fait avoir la Raison et les sciences » (Leibniz). 6. — (Auj.) Ensemble des normes et des principes généraux qui guident certaines activités (en part, la science) à une époque donnée. Rem. : pour de nombreux auteurs, ce sens, qui suppose l’historicité de la raison, est un non sens. 7. — Raison pure : pour Kant, tout ce qui, dans la pensée, est a priori et ne vient pas de l’expérience (cf. sens 5). 8. — Raison pratique : pour Kant, la raison pure en tant qu’elle contient les principes pratiques a priori. 9. — Syn. rapport (cf. le latin ratio) : la raison d’une progression. 10. — Principe d’explication raison d’être : ce qui rend compte d’un effet ; raison suffisante (principe de —) : « Jamais rien n ’arrive sans qu ’il y ait une cause ou du moins une raison déterminante, c. -à-d. qui puisse servir à rendre raison a priori pourquoi cela est existant et pourquoi cela est ainsi plutôt que de toute autre façon » (Leibniz). 11. — Cause ou motif légitime, justification : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas » (Pascal). 12. — Raisonnable : a) Se dit de celui qui possède la raison aux sens 1, 2, 3, 4 ou 5. b) Qui est conforme à la raison aux sens 3, 4, 5, ou 6. c) Justifié, légitime ; opposé à déraisonnable, d) Dont la conduite est conforme à la raison ; Syn. prudent ; opposé à déraisonnable. 13. — Raisonnement : opération consistant à produire un jugement à partir de plusieurs autres, que ce soit logiquement en vertu d’une analogie, ou par une argumentation quelconque ; (en part.) déduction logique. 14. — Rationalisme : a) Toute doctrine selon laquelle la connaissance dépend d’une raison au sens 5 ; opposé à empirisme. b) Toute doctrine selon laquelle les seules connaissances valables proviennent de la raison aux sens 4 ou 6 ; opposé à irrationalisme. c) Rationalisme appliqué : expression due à Bachelard et par laquelle il désigne le rationalisme scientifique (« Il ne s’agit plus pour juger la pensée scientifique de s’appuyer sur un rationalisme formel, abstrait, universel. Il faut atteindre un rationalisme concret, solidaire d’expériences toujours particulières et précises »). d) Rationalisme critique : nom donné à la doctrine de la connaissance scientifique est un ensemble d’hypothèses que l’on doit chercher à falsifier (procédure logiquement sastifaisante) ou à corroborer (procédure logiquement non concluante). Il n’a pas de théorie définitive, toutes sont faillibles. 15. — Rationalité : a) Caractère de ce qui est rationnel. b) (Souv. auj.) Ensemble des principes et des normes en vigueur dans une science donnée (en sous-entendant qu’il s’agit d’une façon part, de voir les choses) : la rationalité économique. 16. — Rationnel : a) Qui appartient à la raison conçue comme faculté, b) Qui est conforme à la raison ; opposé à irrationnel, c) Qui ne relève que de la raison au sens 5 ; opposé à empirique (la mécanique rationnelle est la partie purement déductive de la mécanique), d) Nombre rationnel : nombre qui peut être mis sous forme d’un rapport entre deux nombres entiers (cf. sens 9).
Raison
Du latin ratio, « calcul », « faculté de calculer, de raisonner » (traduit le grec logos/ - Au sens subjectif : mode de penser propre à l’homme (lui-même défini comme « animal raisonnable »). - Par opposition à Vintuition : faculté de raisonner, c’est-à-dire de combiner des concepts et des jugements, de déduire des conséquences. - Par opposition à la passion ou à la folie : pouvoir de bien juger, de distinguer le vrai du faux, le bien du mal. - Par opposition à la foi : la « lumière naturelle », naturellement présente en tout homme. - Par opposition à l'expérience : faculté de fournir des principes a priori (c’est-à-dire indépendants de l’expérience). - Au sens objectif : principe d’explication, cause (exemple : les raisons d’une crise). - Argument destiné à légitimer un jugement ou une décision (exemple : donner ses raisons). - Chez Hegel, l’Esprit conscient de soi, en tant qu’il gouverne le monde et s’identifie avec le réel.
• Formulé par Leibniz, le principe de raison suffisante affirme que rien ne se produit dans le monde sans qu'existe une « raison suffisante » pour qu'il en soit ainsi, et non autrement. • Kant distingue la raison pure (théorique), c’est-à-dire la raison en tant qu'elle « contient les principes permettant de connaître quelque chose absolument a priori », et la raison (pure) pratique, c'est-à-dire la raison en tant qu'elle détermine la volonté et les actions au moyen de règles universellement valides. Mais raison théorique et raison pratique ne sont pour lui « qu’une seule et même raison », considérée simplement dans ses différentes applications.
RAISON (Culte de la)
. Nom donné, sous la Révolution française, au culte organisé sous l'impulsion des ultra-révolutionnaires (les hébertistes) à la tête du mouvement de déchristianisation (1793-1794). Le calendrier traditionnel fut supprimé et remplacé par le calendrier révolutionnaire. Le 10 novembre 1793, la Commune insurrectionnelle fit célébrer dans la cathédrale Notre-Dame à Paris une « fête de la liberté et de la Raison », décidant peu après la fermeture des « églises ou temples de toutes religions et de tous cultes ». Après la condamnation des hébertistes, Robespierre, hostile à l'athéisme, supprima le culte de la Raison, remplacé par le culte de l'Être suprême (mai 1794).
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