RACINE Jean 1639-1699
RACINE Jean 1639-1699
1. Enfance et débuts au théâtre. - 2. Les premiers chefs-d'œuvre. - 3. «Phèdre». - 4. Les dernières œuvres. - 5. Racine et le théâtre classique. - 6. Racine et le théâtre, moderne.
Poète dramatique, né à La Ferté-Milon, dans le Valois.
Enfance et débuts au théâtre
Sa mère, puis son père, meurent avant qu’il n’ait quatre ans. Il est confié à son grand-père Racine, et à sa grand-mère (qui, gagnée aux idées jansénistes, entrera bientôt à l’abbaye de Port-Royal-des-Champs ; quant à la tante de Racine, elle sera abbesse de Port-Royal sous le nom d’Agnès de Sainte-Thècle). La petite ville de La Ferté-Milon est d’ailleurs gagnée peu à peu au jansénisme, depuis qu’en 1638 quelques « solitaires » s’y sont installés, après avoir fui l’abbaye du Vallon ; sans cesse troublés par les tracasseries de la police, ils sont logés en ville, parfois, « chez l’habitant » ; par exemple chez un parent du jeune Racine, Vitart. Dans cette atmosphère de piété au sens fort du mot (c’est-à-dire plus rigoureuse que douillette), Racine va donc vivre ses premières années. Puis il est envoyé (en 1651) au collège de Beauvais, autre fief janséniste, d’où il ne sort que pour être dirigé sur les « Petites Écoles » de Port-Royal (1655). Il y reste jusqu’en 1658 - de seize à dix-neuf ans ; ses maîtres le tiennent pour leur fils spirituel et sa tante Agnès de Sainte-Thècle le suit de très près. Lancelot lui apprend le grec, si bien que le jeune homme entre de plain-pied dans la culture de l’Antiquité païenne : Homère, Sophocle, Euripide, Platon ; mais, aussi, Héliodore, dont le célèbre roman (Les Amours de Théagène et Chariclée) l’enthousiasme. Il le relit sans cesse ; et, nous disent les manuels, « en cachette » : bien à tort, car les maîtres jansénistes, et Lancelot surtout, étaient aussi ardemment humanistes que sincèrement pieux. Ce qui faisait le renom de l’enseignement dispensé par les « Petites Écoles » de Port-Royal, n’était-ce pas précisément cette sereine et universelle compréhension, cette ouverture d’esprit de leurs maîtres? Et c’est en pleine connaissance de cause qu’ils avaient dans leurs bibliothèques les classiques de l’Antiquité (Héliodore inclus). Racine, pour sa part, hésitera toujours entre ces deux sollicitations : l’esprit au sens chrétien du terme et l’esprit au sens grec, l’atticisme (Mon Dieu, quelle guerre cruelle!/Je trouve deux hommes en moi, s’écriera-t-il dans le troisième de ses Cantiques spirituels).
En 1658, il sort de Port-Royal pour aller faire sa philosophie au collège d’Harcourt. Le voilà donc à Paris, où ses parents l’ont confié à un tuteur un peu trop jeune (son cousin Vitart, intendant du duc de Luynes) qui s’empresse de lui faire connaître la vie de plaisirs, auprès de quelques nobles désœuvrés, de quelques beaux esprits de la capitale et aussi de quelques comédiennes (Mlle Roste, Mlle de Beauchâteau). Racine écrit une tragédie galante, Amasie (inachevée), se lie avec La Fontaine. Il compose un poème en l’honneur de Mazarin, puis, à l’occasion du mariage du roi, La Nymphe de la Seine (1660), qui lui vaut cent écus. Les sages de Port-Royal veillent de loin sur leur « fils » et l’encouragent à se rendre chez un oncle, vicaire à Uzès près de Nîmes, qui compte lui laisser plus tard son bénéfice ecclésiastique (fin 1661). Mais le jeune homme, après s’être laissé tenter par la perspective d’un solide « établissement », trouve le temps un peu long; et il décidera bientôt (début 1663) d’abandonner la place. En attendant, depuis cette douce et jolie retraite d’Uzès, il expédie à ses amis parisiens de nombreuses lettres dont certaines, mêlées de vers, constituent une sorte de gazette personnelle rimée. Détachons-en ce vers - un « vers divin », dit François Mauriac - : Et nous avons des nuits plus belles que vos jours. (Notons au passage que le romantique Vigny s’en souviendra lorsque, dans Éloa, Satan s’écrie en parlant des premiers hommes: «Je leur donne des nuits plus belles que les jours. ») L’Ode sur la convalescence du roi (1663) va être la première œuvre parisienne importante de Racine ; il y gagne une gratification. D’où à son tour, en guise de remerciement, La Renommée aux muses ; qui lui vaut, cette fois, l’enthousiasme de Boileau. Enfin, en 1664, il compose La Thébaïde ou les Frères ennemis, sa première tragédie, qui sera représentée avec un vif succès chez Molière, ainsi que, l’année suivante, Alexandre. À cette date, 1665, il va rompre, d’une part, avec Molière, son nouvel ami ; d’autre part - et surtout - avec Port-Royal.
À Molière, il retire l'Alexandre (d’ailleurs assez mal parti) pour confier l’œuvre à la troupe de l’hôtel de Bourgogne, qui la conduit au triomphe. Il est de fait que cette compagnie rivale excellait dans le tragique, et Molière le savait de reste. Il en fut d’autant plus affecté. Ajoutons que Racine lui enlevait du même coup sa plus grande et belle actrice, la Du Parc, dite « Marquise », dont il était quelque peu épris. Ne quittons pas si vite « Marquise » et relevons au passage qu’outre Molière qui la courtisa sans succès (il l’avait achetée à une compagnie rivale en raison de ses talents de danseuse), et outre Racine qui en fit quelque temps sa maîtresse, cette belle comédienne a encore sa place dans l’histoire de nos lettres pour avoir été convoitée, mélancoliquement, par Corneille (« Marquise, si mon visage / A quelques traits un peu vieux... »). Notons aussi que la célèbre équipe des quatre « grands classiques »,' ou encore des « quatre amis » dont nous ont parlé naguère nos manuels - Boileau, La Fontaine, Molière et Racine -, n’a guère eu d’existence que symbolique. Ces quatre « chefs de l’école classique » ont été promus tels dans nos livres de classe au siècle dernier ; mais non pas par leurs contemporains. En ce début des années 1660, Desmarets de Saint-Sorlin, Chapelain, Benserade et Quinault - les quatre « grands », aux yeux de la plupart des officiels de l’époque - touchaient une bien plus large pension que Molière, Boileau, La Fontaine ou Racine. Aussi l'Alexandre, œuvre du débutant Racine, vise-t-elle d’abord à plaire à un public friand de Quinault (lequel sera de nouveau le « rival heureux » dans la troisième et dernière partie de sa carrière) et ses héros - Porus, Alexandre - n’entendent se battre ou conquérir le monde que pour un sourire ou, si possible, un soupir, d’Axiane ou de Cléofile. Quand les jansénistes, par la bouche de Nicole en cette même année 1665, attaquent les gens de lettres, ce n'est pas à Racine qu’ils en ont, mais à Desmarets de Saint-Sorlin, célèbre auteur de tragédies, de récits ou d’essais, tant en vers qu’en prose, et de plus premier chancelier de l’Académie française : « Un faiseur de romans et un poète de théâtre, s’écrie Nicole, est un empoisonneur public, non des corps mais des âmes des fidèles, qui se doit regarder comme coupable d’une infinité d’homicides spirituels, ou qu’il a causés en effet, ou qu’il a pu causer par ses esprits pernicieux. » Or, ce n'est pas Desmarets de Saint-Sorlin mais Racine qui, se sentant visé personnellement par ses anciens maîtres, répondra. Cette Réponse à Nicole (janvier 1666), qui est sans doute la première œuvre véritablement réussie du jeune poète, emprunte son style aux récentes Lettres provinciales de Pascal...