Rachid Boudjedra
Né en 1941 à Aïn Beïda (Algérie). Professeur de philosophie jusqu ’en 1972. Prix des Enfants terribles pour son premier roman la Répudiation en 1970. A écrit le scénario de Chronique des années de braise, le film de Mohammed Lakhdar Amina, palme d’or du Festival de Cannes, 1975.
Rachid Boudjedra est l’un des écrivains algériens les plus marquants de la jeune génération, celle qui s’est trouvée confrontée aux problèmes de l’Algérie indépendante, de l’immigration, et de la Palestine. Ses trois romans, remarquables tant par les thèmes que l’écriture, ont une résonance politique que son Journal palestinien explicite sans ambages. Mais au-delà de ce champ idéologique qui donne aux textes de Boudjedra un cadre « historique » particulier, on reste frappé par la puissance d’une écriture lyrique, heurtée et cependant mouvante, toute de larges arabesques traversées par une multitude d’incises, d’éclats et courbes serpentines chargés d’images violentes, sauvages, protéiformes. Boudjedra, qui semble au premier abord subir l’influence « topographique » du Nouveau Roman, plonge jusqu’aux racines profondes du cri et du chant intérieurs, revenant ainsi aux sources d’un lyrisme authentiquement populaire, ou tout simplement d’un langage viscéral, calqué sur les mouvements de la perception et qui fait appel à tous les sens. Dans la Répudiation, par exemple, le lecteur se trouve assiégé par un foisonnement de signes, où mythes alternent avec sensations. Rachid, le héros, arrêté, torturé, « répudié », après la prise de pouvoir de Boumedienne, est enfermé dans un hôpital psychiatrique d’où il laisse échapper son délire d’excommunié. Et naturellement, comme chez Shakespeare, le fou parle la voix de la raison, dit la Vérité. Vérité d’une Algérie recomposée à travers ses archétypes ancestraux : sang, femme, religion, féodalité, répression et obsession du père. Rachid, parce qu’il veut s’en défaire, est d’autant plus prisonnier de ces structures sociales et mentales du passé. Faute de trouver une issue, il ne peut, dit-il, que « trébucher sur (ses) contradictions », « les malmener jusqu'à l’évocation d’un monde » déjà perçu. La Répudiation, roman lyrique, est aussi une œuvre de combat, un pamphlet politique. L’Algérie indépendante est loin d’avoir vaincu ses antécédents contre-révolutionnaires. Boudjedra stigmatise, notamment, la « terreur dirigée contre le peuple », « trait dominant d’une politique hautement démagogique ». Dans Topographie idéale pour une agression caractérisée, l’attaque ne porte plus contre l’Algérie, mais contre l’ex-métropole qui accueille aujourd’hui des travailleurs immigrés pour les perdre dans un labyrinthe d’agressions au bout duquel ils ne trouvent souvent que la mort. En contrepoint aux divers assassinats d’ouvriers algériens dont il donne les références journalistiques, Boudjedra évoque le périple ulysséen d’un pauvre porteur de valises qui arrive dans le métro parisien, dédale au milieu duquel il errera durant quinze heures, pour finalement se faire tuer par une bande de voyous. On retrouve sur ce thème le lyrisme tourbillonnant, l’écriture éclatée et néanmoins concertée de la Répudiation. La phrase s’étire au fil des pérégrinations de l’immigré, semble mimer l’espace courbe qu’il parcourt à la recherche d’une issue — encore — introuvable. Dans ces couloirs interminables, qui paraissent identiques les uns aux autres, tout n’est qu’agression : lumières, senteurs, présences indifférentes ou ironiques, affiches publicitaires, réseau de signes, «fantasmagorie spatio-linéaire », « topographie » cauchemardesque. « Il reprend sa marche et subit l’agression de centaines d’espaces giclant de partout, à droite, à gauche, arc-boutant et décapant les surfaces exsangues ou peinturlurées, toujours sous forme de dédales, de couloirs, d’escaliers, de niveaux, de carrefours hostiles et venteux... » Cet univers « affolant » est une constante des textes de Boudjedra comme en témoignent les pages publiées dans la revue Exit (numéro 8/9, été 1976) sous le titre : Improvisation dans l’art de siroter le café. Au sein d’une ville à nouveau « explosée », la poésie déroule sa longue coulée de lave brûlante où se mêlent notations quotidiennes et didactisme politique. « Il n’y a pas de fin à l’écoulement même lorsque les mots se stabilisent et qu’ils assument la lutte de classe où qu ‘ils écorchent la langue de Dieu. » Voilà une phrase qui résume bien l’art et la manière de Rachid Boudjedra, avec pour finir cependant un mot, entre autres, qui n’a « ni queue ni tête : Palestine ». Un mot à partir duquel tout recommence... Bourdjedra, dont il faut beaucoup attendre, ne cessera pas de nous le rappeler. ► Bibliographie
La Répudiation, Denoël, les Lettres nouvelles, 1969; l'insolation, Denoël, les Lettres nouvelles, 1972 ; Journal palestinien, Hachette, 1972 ; Topographie idéale pour une agression caractérisée, Denoël, 1975 ; l'Escargotentêté, Denoël, 1977.