QUESTION KURDE
QUESTION KURDE
Partagés entre quatre États - Syrie (un million), Irak (quatre millions), Iran (huit millions), Turquie (plus de douze millions) -, les Kurdes se composent de plusieurs groupes linguistiques (soran, zaza et kurmandj) et confessionnels (sunnites, chiites et alévis). De ce fait, la question kurde qui émerge des décombres de l’Empire ottoman devient une source d’instabilité régionale.
La fin de l’empire a en effet deux conséquences pour les Kurdes. En premier lieu, aux marches impériales poreuses elle substitue des frontières étatiques étanches, interdisant le fonctionnement du groupe comme entité. Dotés auparavant de privilèges au titre de gardiens des confins de l’empire, les Kurdes sont désormais perçus comme un obstacle à l’homogénéisation des territoires « nationaux ». En second lieu, alors qu’ils faisaient partie de la « majorité » religieuse musulmane, ils deviennent une « minorité » sans disposer pour autant d’une protection juridique.
La période des révoltes.
Le nationalisme kurde, culturel à ses débuts, se politise progressivement pour constituer l’un des facteurs des révoltes des années 1919-1923 (celles de Simko en Iran, de Berzenci en Irak et de Koçgiri en Turquie). En ce début de décennie, il est cependant marginal. Ainsi, le traité de Sèvres (1920), qui préconise la constitution, à terme, d’une entité kurde, ne trouve-t-il pas d’accueil favorable auprès des dirigeants kurdes : se sentant solidaires des Turcs sur le plan religieux et craignant la création d’un État arménien en même temps que celle d’un État kurde, ils soutiennent Mustafa Kemal (Atatürk) qui leur promet la fraternité dans l’égalité. La période qui suit la signature du traité de Lausanne de 1923 - qui fixe le statut de la Turquie -, et de celui de 1926 - qui entérine le statut de l’Irak - est en revanche marquée par des révoltes incessantes en Irak et en Turquie. Dans ce dernier pays, les révoltes de Cheikh Said (1925), d’Ararat (1927-1930) et de Dersim (1936-1938) obligent chaque fois Ankara à mobiliser plus de 50 000 soldats. Ces révoltes sont le fruit d’une double contestation : celle des tribus et des confréries qui rejettent l’État parce qu’il est centralisateur et celle de l’intelligentsia nationaliste pour qui il symbolise la domination de l’« autre », turc, persan ou irakien.
La proclamation en 1946 d’une république autonome kurde en Iran - la « république de Mahabad » - est le dernier sursaut du mouvement kurde de cette époque. La répression qui s’abat sur les dirigeants kurdes de Turquie, l’exécution de Qadi Muhammad, chef de l’autonomie kurde en Iran et l’exil de Mustafa Barzani en URSS sont autant de signes annonçant une nouvelle période, celle du silence.
Le renouveau du nationalisme kurde.
Ce n’est qu’à la fin des années 1950 que le nationalisme kurde émerge à nouveau de ses cendres sous l’impulsion de nouvelles générations urbaines. Influencées par les contestations sociales et politiques des années 1950 et 1960 et les idées de gauche, elles vont dominer l’espace politique kurde des décennies suivantes.
En Irak, après la chute de la monarchie (1958), M. Barzani rentre d’exil et réactive le PDK (Parti démocratique du Kurdistan). La révolte qu’il fomente en 1961 aboutit à la signature d’un accord d’autonomie (mars 1970). La non-application de cet accord par Bagdad et l’aide irano-américaine le poussent à reprendre les armes en 1974. Mais le retrait de cette aide en 1975 marque aussi la fin de la révolte. Dès cette année, cependant, une nouvelle guérilla débute, menée par le PDK et l’UPK (Union patriotique du Kurdistan). Ponctuée de guerres fratricides, elle s’amplifie durant la guerre Iran-Irak (1980-1988) avec l’aide de Téhéran, pour s’interrompre après le recours de Bagdad aux armes chimiques (1987-1988). Celles-ci ont fait de Halabdja une ville martyre.
En Turquie, les échos de la révolte de M. Barzani et l’impact des mouvements sociaux permettent le renouveau du nationalisme kurde, qui se cantonne, dans les années 1960, à des revendications culturelles et économiques. Il se radicalise cependant à mesure qu’Ankara lui oppose une fin de non-recevoir, et surtout avec la répression qui suit le coup d’État de 1971. Dans les années 1970, plusieurs mouvements prônant la lutte armée, dont le PKK (Parti ouvrier du Kurdistan) d’Abdullah Öcalan, voient le jour. La répression mise en œuvre par le régime militaire instauré en Turquie le 12 septembre 1980 dote cette organisation d’une large audience. De plus, les soutiens logistiques trouvés en Syrie et au Liban se révèlent précieux dans la lutte armée qui commence en août 1984. En réponse à la guérilla, Ankara militarise la région kurde, administrée désormais par un préfet général, constitue des milices tribales kurdes (« protecteurs de village », au nombre de 75 000 à la fin des années 1990), et met graduellement en place une doctrine de guerre de basse intensité.
En Iran, enfin, dans le sillage de la révolution de 1979, presque toutes les villes kurdes tombent aux mains des nationalistes kurdes. Le PDK-I (Parti démocratique du Kurdistan-Iran) d’Abdul Rahman Ghassemlou tente de négocier avec le nouveau pouvoir. Aux pourparlers qui achoppent sur le statut de la langue et de la région kurdes ainsi que sur la démocratie, succèdent des affrontements meurtriers, contraignant les combattants kurdes à abandonner les villes. La guérilla, soutenue par l’Irak, se poursuit tout au long de la guerre Iran-Irak. La fin de la guerre et la mort de l’ayatollah Khomeyni encouragent A. R. Ghassemlou à entreprendre de nouvelles négociations avec le pouvoir, interrompues par son assassinat par des « émissaires » iraniens, à Vienne en 1989. Son successeur, Said Sharafkendi est à son tour assassiné, ainsi que trois de ses collaborateurs, à Berlin en 1992. Ensuite, la guérilla repliée pour l’essentiel au Kurdistan d’Irak s’essouffle, la priorité dans l’Iran du président Muhammad Khatami (au pouvoir à partir de 1997) étant par ailleurs donnée aux activités culturelles et à la résistance civile.
La situation après la seconde guerre du Golfe.
Si une certaine accalmie se fait jour en Iran, le Kurdistan d’Irak apparaît radicalement transformé par les conséquences de la guerre du Golfe de 1991. Au lendemain du conflit, la population civile se soulève massivement contre le régime baassiste qu’elle croit perdant. L’écrasement sanglant de la révolte par les Gardes républicains (mars 1991) provoque la fuite de deux millions de personnes. Face à l’ampleur de la tragédie, et, pressée par la Turquie et la France, la Maison-Blanche accepte de décréter le nord du 36e parallèle « zone de protection » interdite à l’armée irakienne. La résolution 688 du Conseil de sécurité de l’ONU (5 avril 1991) met en place une opération humanitaire (Provide Confort), protégée par une force militaire.
Le retour des exilés est suivi du retrait des autorités irakiennes et de l’instauration d’une administration kurde. Les élections, organisées en mai 1992 dans une atmosphère d’euphorie, sont destinées à combler le vide de pouvoir. Leurs résultats « réajustés » aboutissent à un partage du pouvoir entre le PDK de Massoud Barzani et l’UPK de Jalal Talabani. L’apparente concorde intra-kurde est cependant restée minée par des tensions internes (partage des ressources économiques, rivalités personnelles et partisanes) qui ont provoqué une nouvelle guerre fratricide (1994-1998). Le bilan humain et économique de cette guerre et ses conséquences morales - comme l’alliance ponctuelle de M. Barzani avec Bagdad en 1996 -, ainsi que les pressions américaines ont cependant contraint les deux partis à signer les accords dits de Washington en 1998. S’ils ont apporté la paix et une amélioration économique, ils n’en ont pas moins entériné le partage de la zone kurde entre le PDK (au nord) et l’UPK (au sud). Lors de la guerre d’Irak de 2003, les organisations kurdes ont soutenu l’intervention anglo-américaine et participé au pouvoir intérimaire, espérant que les nouvelles institutions donneraient à leurs représentants des postes importants.
L’impact de la guerre du Golfe de 1991 se fait également sentir au Kurdistan de Turquie. L’instabilité du Kurdistan d’Irak permet en effet au PKK de se doter d’une nouvelle base arrière, prétexte à des sorties militaires turques dans cette zone. Mais c’est surtout sur le plan intérieur que la situation se dégrade : la répression de la guérilla s’intensifie (30 000 morts entre 1991 et 1999), provoquant la destruction de 3 000 villages et le déplacement d’environ trois millions de personnes. Plus de 2 000 personnes, pour l’essentiel des intellectuels, sont assassinées par des escadrons de la mort recrutés dans les rangs de la droite radicale. Le PKK à son tour se rend responsable de nombreuses violations des droits de l’homme.
Les tentatives menées au cours des années 1990 pour sortir de cette impasse sont restées vaines. La plus audacieuse, prônée par le président Turgut Özal (1989-1993), prévoyait l’amnistie des membres du PKK et une autonomie régionale obtenue grâce à la décentralisation administrative du pays. Mais la mort du chef de l’État (avril 1993) et la rupture du cessez-le-feu unilatéralement décrété par le PKK sur l’ordre de l’un de ses chefs militaires l’ont vouée à l’échec. Quant aux initiatives politiques kurdes de l’« intérieur » exprimées par la voix des partis politiques, elles étaient parvenues à se constituer en une force électorale, mais ne semblaient pas porteuses de solution politique : cible des tribunaux et des escadrons de la mort, elles ne parvenaient pas à s’ériger en interlocuteurs crédibles.
Le vrai tournant dans l’évolution de la question en Turquie est venu avec l’expulsion, sous la pression militaire turque, d’A. Öcalan par la Syrie (novembre 1998). Le chef du PKK avait cherché en vain à obtenir l’asile politique en Italie, avant d’être livré à la Turquie par le Kénya où il avait trouvé refuge à l’ambassade grecque. Son arrestation a suscité une vague de violence sans précédent en Turquie et au cœur de la diaspora en Europe, qui s’est toutefois estompée après son appel à la cessation de la lutte armée. Malgré cet appel, la Cour de sûreté de l’État l’a condamné à mort (sentence confirmée en appel en novembre 1999, mais non exécutée). En vue de se rapprocher des exigences posées par l’Union européenne àla candidature d’Ankara, le Parlement turc a voté en 2002, entre autres lois, la reconnaissance de certains droits culturels de la population kurde.
La question kurde gardait toute son actualité en Turquie au tournant du siècle.
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