QUENEAU Raymond
QUENEAU Raymond 1903-1976
Il est né au Havre, ville qui sert de cadre à l’un de ses romans, Un Rude Hiver. Après des études de philosophie menées à Paris, il prend part au mouvement surréaliste (il rompra avec Breton en 1929), se préoccupe de psychanalyse et publie en 1934 son premier ouvrage, Gueulé de Pierre, qui inclut des poèmes. En 1937 il donne Chênes et Chiens, qui est son premier recueil poétique au sens strict. Vont suivre les Ziaux (1943), Bucoliques (1947), L’Instant fatal (1948), Petite Cosmogonie portative (1950), Si tu t’imagines (1952), Sonnets (1958), Le Chien à la Mandoline (1965), Courir les Rues Battre la Campagne (1968), Fendre les Flots (1969). Son œuvre en prose est également abondante, avec notamment les Exercices de Style et Zazie dans le Métro, qui lui valent d’être connu par le grand public, avec aussi quelques chansons, dans le style germano-pratin. Co-fondateur et directeur de l’encyclopédie de la Pléiade, académicien Concourt, Queneau est mort à Neuilly-sur-Seine, après avoir publié Cent Mille Milliards de Poèmes (1960) et avant que ne paraisse Morale Elémentaire (1975), son dernier recueil. Curieux zoziau, comme dirait Zazie, que ce Queneau ! Il a été des Surréalistes et se réclame de Boileau, son premier recueil est sous-titré: roman en vers. De fait, cet inventeur de langage dans la lignée de Jarry et du Max Jacob des malices, qui pourrait bien passer aux yeux du lecteur inattentif pour un auteur facile ou nonchalant est un homme sérieux et un travailleur acharné, un passionné de science à la curiosité insatiable et féru de mathématiques. Lui qui refuse modes et systèmes, a fondé (1960) avec François Le Lionnais l’Ouvroir de Littérature Potentielle (OULIPO), qui se propose d’inventer des structures poétiques et romanesques (en fixant au préalable des contraintes appelées à jouer le même rôle que, par exemple, pour la tragédie classique, la règle des trois unités; temps, lieu, action). Drôle de zoziau, vraiment!
QUENEAU Raymond. Poète, romancier et essayiste français. Né au Havre le 21 février 1903, mort à Paris le 25 octobre 1976. Cet écrivain a facilité la tâche de ses biographes : « Je naquis au Havre un vingt et un février / en mil neuf cent et trois/. Ma mère était mercière et mon père mercier / ils trépignaient de joie. » Faisons la part des façons e dire : le magasin était assez spacieux, plusieurs demoiselles y travaillaient. La mère était : « Fille de capitaine et fille de Havrais ». Le père avait vécu en Extrême-Orient, il est désigné comme « comptable colonial » sur le livret de famille. Le fils unique fera ses études au Lycée de la ville. Parcourir la liste de ses prix, c’est découvrir qu’il brille en toutes matières — à l’exception de l’instruction religieuse, où il ne décrochera qu’un accessit. A la fin de ses études secondaires : le prix d’excellence en philosophie, ainsi que, hors palmarès, le prix des Antiquaires de Normandie. Vers la fin de l’année 1920, il habite avec son père place de la gare à Epinay-sur-Orge, petite localité de la banlieue de Paris dont il se souviendra quand il écrira son premier livre. Il poursuit ses études en Sorbonne et sera licencié en philosophie, mais est séduit tout autant par les mathématiques (il ne parvient cependant pas à passer le certificat de mécanique). En outre : cinéma, billard, et la passion du jeu d’échecs. En 1924, Queneau adhère au mouvement surréaliste. L’année suivante, celle de la guerre du Rif, il accomplit son service militaire dans les zouaves, en Algérie puis au Maroc (octobre 1925-février 1927). Libéré, il entre au Comptoir National d'Escompte. Chez les surréalistes, il fréquente surtout le groupe dit de la rue du Château : le poète Jacques Prévert, le peintre Yves Tanguy, Marcel Duhamel qui créera la « Série Noire », et le futur historien du cinéma Georges Sadoul. Il assure le secrétariat d’une enquête par correspondance destinée à fixer les points de vue des sympathisants et à recenser les bonnes dispositions à l’égard du mouvement surréaliste. En 1928, il épouse Janine Kahn. En 1929, il rompt avec André Breton — pour des raisons, affirmera-t-il, strictement personnelles. En 1930, Queneau fréquente assidûment la Bibliothèque Nationale. C’est le commencement de ses recherches sur les « fous littéraires », qu’il rebaptisera plus tard les « hétéroclites ». (Il en résultera une Encyclopédie des Sciences inexactes que tous les éditeurs pressentis repousseront.) De 1931 à 1933, il collabore avec Georges Bataille à la Critique sociale de Boris Souvarine. De juillet à novembre 1932, il effectue un voyage en Grèce. Il en rapporte son premier roman, Le Chiendent (1933) : un livre entièrement préconstruit (selon une démarche de mathématicien) et qui reflète les idées de divers philosophes : Platon, Descartes, le néo-cartésien Husserl, etc. En outre, Le Chiendent peut être considéré comme une tentative d’écrire « comme on parle ». Le roman, publié en 1933, obtient le Prix des Deux-Magots, fondé en son honneur. La même année, Queneau suit à l’Ecole des Hautes Etudes les cours d’Henri-Charles Puech et d’Arthur Kojève. Ce dernier l’initie aux énigmes hégéliennes. En 1934, année qui voit la naissance de son fils, Jean-Marie, paraît un second roman, Gueule de Pierre, qui se prolongera dans Les Temps mêlés (1941), puis s’accomplira tout à fait, par l’adjonction d’une troisième partie, dans Saint Glinglin (1948). L’ensemble, assez énigmatique, évoque la Ville Natale (dans une tonalité mythique qui efface Le Havre), introduit des éléments de psychanalyse, rend hommage aux « solutions imaginaires » de la pataphysique et se divertit à des farces de maths élém. (combien de coquetiers dans un parallélépipède ?). Apparent paradoxe chez un auteur discret et qui réprouve l’impudeur des confessions, les trois romans qui suivent ont un caractère autobiographique. Le premier, Les Derniers Jours (1906), narre la découverte du Paris des études, met en scène des professeurs que connut l’écrivain et se souvient du Havre. En 1937, dans Chêne et chien — le « roman en vers » dont le quatrain cité en tête de cet article est extrait —, Queneau raconte son enfance, son adolescence, sa psychanalyse. La même année voit paraître un autre récit autobiographique, bien que les sources en soient camouflées : Odile. Pour une bonne part, c’est l’histoire de l'auteur se détachant du surréalisme par porte-parole interposé : « On peut difficilement tenir pour inspirés ceux qui dévident des rouleaux de métaphores et débobinent des pelotes de calembours. Ils se traînent dans le noirâtre, espérant y déterrer les marteaux et les faucilles qui briseront les chaînes et sectionneront les liens de l’humanité. Mais ils ont perdu toute liberté. Devenus esclaves des tics et des automatismes, ils se félicitent de leur transformation en machine à écrire. (...) J’imagine au contraire que le vrai poète n’est jamais « inspiré » :il se situe précisément au-dessus de ce plus et de ce moins, identiques pour lui, que sont la technique et l’inspiration. (...) Le véritable inspiré n’est jamais inspiré : il l’est toujours ; il ne cherche pas l’inspiration et ne s’irrite contre aucune technique. » En 1936, R. Queneau devient, en tant que lecteur d’anglais, membre du Comité de lecture des Editions Gallimard. Il va contribuer notamment à diffuser la littérature américaine contemporaine. Il adaptera un roman de Sinclair Lewis, et a traduit ou traduira, entre autres, Peter Ibbetson de Georges du Maurier et L’Ivrogne dans la brousse de l’Africain Amos Tutuola. C’est également en 1938 qu'intervient la publication des Enfants du limon, c’est-à-dire de L’Encyclopédie des Sciences inexactes, rafistolée et masquée en roman. En 1939, paraît Un rude hiver, roman havrais situé en 14-18, dans lequel on a pu discerner une transposition réconciliatrice des relations de l’écrivain avec son père. La guerre survient alors. R. Queneau est mobilisé dans un régiment colonial et expédié vers Sedan, pour se retrouver quelques mois plus tard à Fontenay-le-Comte, en Vendée. De là, il gagne Saint-Léonard-de-Noblat (Haute-Vienne), où il retrouve son épouse. Tous deux vivent alors chez le peintre Elie Lascaux. Jusqu’à la Libération, Queneau fera l’aller-et-retour entre le Limousin et Paris. En 1941, il devient secrétaire général des Editions Gallimard. En octobre 1943, Gaston Gallimard, en raison des circonstances, lui remet un certificat de mission commerciale en Haute-Vienne. Pierrot mon ami, publié en 1943, sera le premier de trois romans allègres, « pris dans le même système » (les deux autres étant Loin de Rueil et Le Dimanche de la vie — publiés l’un en 1944 et l’autre en 1952). L’auteur y montre des personnages d’une bonne humeur imposante. 1943... 1944... : on croirait à un contretemps dans l’histoire. La solution de l’énigme apparaîtra quand on saura exactement à quel moment furent écrits ces romans. En tout cas on sait que dès 1942 R. Queneau travaillait à l’essai Une histoire modèle, qui ne fut édité qu’en 1966 : rare exemple de non-concordance entre écriture et publication ! Quant aux grands livres de fiction publiés après guerre — Zazie dans le métro (1959), Les Fleurs bleues (1965), Le Vol d’Icare et, dans sa catégorie particulière, les Œuvres complètes de Sally Mara (1962) —, leur démarche et leur point de vue les rattachent à leurs devanciers, tant cette œuvre, dès l’abord surprenante, est une. Elle se moule dans des formes voulues neuves, bien loin des à-peu-près triviaux, sur lesquelles l’essentiel nous est dit dans Bâtons, chiffres et lettres, recueil d’essais paru en 1950 : « N’importe qui peut pousser devant lui comme un troupeau d’oies un nombre indéterminé de personnages apparemment réels à travers une lande longue d’un nombre indéterminé de pages ou de chapitres. » De cette proposition un mot doit être détaché : nombre. Il faut savoir, de ce point de vue, que l’auteur de Zazie, parfois considéré comme un plaisantin, a fait une communication de mathématiques à l’Académie des Sciences, savoir aussi qu’il a très activement parrainé le groupe de recherche de l’« Ouvroir de Littérature potentielle » fondé par François Le Lionnais en 1960. La voie est ouverte désormais avec la publication des Cent mille milliards de poèmes (1961), recueil composé d’alexandrins permutants, qui, comparé aux Exercices de style (1947), représente une escalade dans la hiérarchie des difficultés. Janine Queneau s’éteint le 18 juillet 1972. L’écrivain en est si affecté que, des mois durant, il ne vient plus à son bureau des Editions Gallimard. Le 25 octobre 1976, il mourra à son tour, dans un hôpital parisien. Bien que membre de l’Académie Goncourt depuis 1951 (la même année il avait adhéré au Collège de Pataphysique), il avait vécu assez loin des querelles mesquines de son siècle. Il avait édité en 1956 le premier volume de l’Encyclopédie de la Pléiade : ce n’était pas un hasard puisque autant qu’on puisse dire «savoir tout», il « savait tout » quoique le laissant ignorer ou s’en moquant. On se fera quelques idées sur les points de vue et méthodes de cet encyclopédiste en lisant Bords (1963). R. Queneau a peint quelques tableaux et beaucoup écrit pour le cinéma (scénarios, dialogues, commentaires, chansons). Disons enfin que R. Queneau laisse une œuvre poétique très considérable, nourrie à toutes les sources et époques de la langue française. Entre Chêne et chien (1937) et Morale élémentaire (1976) parurent : Les Ziaux (1948) dont une édition augmentée figurera dans Si tu t’imagines, recueil général de 1952, Bucoliques, incorporant Pour un art poétique (1947) (même remarque que pour Les Ziaux), L’Instant fatal (1948), Petite Cosmogonie portative, récit scientifique de 1950, Le Chien à la mandoline (1958), Sonnets (même année), Cent mille milliards de poèmes (1961), puis trois œuvres « prises dans le même système », tout comme trois romans l’avaient été déjà : Courir les rues (1967), Battre la campagne (1968), Fendre les flots (1969). Raymond Queneau est également l’auteur d’un journal inédit qui s’étend sur plus d’un demi-siècle. ♦ Ce ne serait pas si drôle si ce n'était pas sérieux. » Claude Simon. ♦ « Raymond Queneau est poète autant que mathématicien. » François Le Lionnais. ♦ « Cette tendresse déchirante et si discrète envers la vie précaire, unique. » Henri Thomas.