Quelles sont les conditions d’une vie bonne pour un mortel ? Comment rendre notre existence plus intense (joyeuse) et plus libre ?
Résumons les conditions de cette « joie de vivre » : Quelles sont les conditions d’une vie bonne pour un mortel ? Comment rendre notre existence plus intense (joyeuse) et plus libre ?
1) Se déprendre de la nostalgie et de l’espérance (ou « inespoir »):
* Contre l’espérance. Exemple = désirer la santé (lorsque l’on est malade), c’est désirer qqc sans en jouir (malheur), désirer sans savoir, je ne sais pas lorsque je guérirai (sans savoir, ignorance) mais je suis aussi dans l’impuissance (sans pouvoir).
Espérer, c’est désirer sans jouir, sans savoir et sans pouvoir. Triple négativité, triple impuissance.
L’espoir est une vertu d’esclave (on subordonne son bonheur à autre chose que soi). C’est l’absence d’espoir qui peut faire surgir le bonheur. L’absence est découverte d’une plénitude. Si je n’ai plus d’espoir alors mon bonheur dépend de moi. L’espoir est source de tristesse et de souffrance.
// « L’espérance n’est qu’un charlatan qui nous trompe sans cesse; et pour moi, le bonheur n’a commencé que lorsque je l’aie perdue. Je mettrais volontiers sur la porte du Paradis, le vers que Dante a mis sur celle de l’enfer = vous qui entrez ici, laissez toute espérance. » (Chamfort, moraliste du XVIIe).
* Contre la nostalgie. « Algos » (douleur), « Nostos » (retour) = Mal du pays. Désir douloureux de rentrer chez soi/auprès de soi. Être nostalgique, c’est désirer (le retour du passé) sans en jouir, sans savoir, sans pouvoir. Exemple d'Ulysse.
Espérer le bonheur ou être dans sa nostalgie est peut-être le plus sûr moyen d’être malheureux. Chercher le bonheur, c’est se condamner à ne pas le trouver. Le bonheur arriverait peut-être que par sérendipité.
Dès lors que je n'attends rien des autres et que je n'ai mis aucun espoir dans les choses, j'accueille la vie telle qu'elle se présente, et la joie de vivre est là, elle qui n'est rien d'autre que l'aptitude à jouir du présent.
=> Qu’est-ce que le bonheur ? Regretter un peu moins. Regretter, c’est se plaindre deux fois. Espérer un peu moins. Aimer/Désirer un peu plus.
2) Pratiquer le non-attachement :
Ne pas s’attacher ni aux êtres, ni aux choses. Tout passe (« pànta rheî » Héraclite). Le monde est en devenir permanent. Tout coule, tout est en devenir. Être héraclitéen plutôt que parménidien. Irréversibilité du temps. La réalité du monde c’est l’impermanence de toutes choses. Tout est mortel. S’attacher est une folie, parce que cet attachement me fera un jour ou l’autre souffrir. Cela ne veut pas dire être indifférent ou insensible. « Ne nous attachons pas » ≠ « Soyons indifférent ». Aimer sans être attaché: l’attachement c’est la pesanteur, la mentalité du propriétaire. Le non-attachement, c’est la « grâce », la légèreté. Les grecs le pensaient déjà: être superficiel par profondeur. Être ami-amant léger, ne pas s’attacher, ne pas dépendre. Toute personne est à la fois un refuge et une prison, le remède et le poison. Quand on embrasse l’un des siens se dire que c’est peut-être pour la dernière fois : « Si tu embrasses ton enfant ou ta femme, dis : — C’est un être humain que j’embrasse — ; car, s’il meurt, tu n’en seras pas troublé. » (Épictète, « Manuel »). Dès, qu’un être humain est né, il est assez vieux pour mourir.
Bienveillant et si possible bienfaisant, le sage reste cependant inaltérable, même lorsque l'autre qu'il aime meurt. Car pour le sage, le bonheur passé est un bonheur définitif, conservé en soi comme un trésor : « Il faut guérir les malheurs par le souvenir reconnaissant de ce que l'on a perdu, et par le savoir qu'il n'est pas possible de rendre non accompli ce qui est arrivé. » (Épicure in « Sentences vaticanes »).
=> Qu’est-ce que le bonheur ? Aimer sans s’attacher.
3) Vivre le moment présent :
« Carpe diem », dit Horace : « Pendant que nous parlons l’heure jalouse a fui. Cueille le jour (carpe diem), en te fiant le moins possible au lendemain » (« Odes », I, XI).
« Cueillir dès aujourd’hui les roses de la vie » (Ronsard, « Sonnets pour Hélène », II, XLIII) ; jouir avant de devenir vieux et de n’être plus.
Le sage aime ce qui est, quand nous ne savons ordinairement qu’espérer ce qui n’est pas encore, que regretter ce qui n’est plus.
ð Nécessité de « Cueillir le jour » (Épicure). Recentrer son existence sur soi, savourer l’instant présent. Etre un avec soi-même. Etre le contemporain de soi-même. Coïncider avec sa propre vie.
« Carpe diem » (Epicure) et « Amor fati » (stoïciens), amour du fatum, de ce qui est là. Pas de regret, de nostalgie, de remords, de culpabilité. Dire oui au présent. Se débarrasser de la tyrannie du passé (nostalgie) et du futur (espoir). Être incapable de vivre dans le présent, c’est ne vivre que dans l’anxiété et le regret. Le sage peut vivre au présent car il est ajusté au monde, présent au monde et à soi. Vivre la quintessence du présent. Vivre l’instantanéité du présent. L'amour, la joie, la création ne se manifestent pas dans le temps, mais dans l'ici et maintenant. L'ici et maintenant est éternité. Vivre et habiter le présent. L’instant est de toute éternité ce qu’il a été. L’instant est pour une fois et à jamais. Etre le contemporain de l’instant que nous vivons. Car il est un fragment d’éternité comme le montre Homère à la fin de l’ « Odyssée » (chant 20) lors des retrouvailles entre Ulysse et Pénélope. Les dieux « distendent » l’instant présent. Instant distendu, instant suspendu, fragment, atome d’éternité. L’instant n’est plus relativisé par la nostalgie (« Iliade ») du passé ou l’espérance (« Odyssée ») du futur. Ulysse est de retour chez lui, auprès de son fils, de sa femme. Il est parfaitement à sa place, ajointé au cosmos. Ulysse peut vouloir le retour éternel de l’instant de ses retrouvailles avec Pénélope. Aimer enfin le monde tel qu’il est et s’en réjouir.
=> Qu’est-ce que le bonheur ? Pouvoir jouir du moment présent. Pouvoir jouir du pur plaisir d’exister.
4) Vivre chaque jour comme si c’était le dernier ou le premier d’une longue vie.
Absurde, pour un mortel de vouloir vivre sans penser à la mort, car c’est vivre comme si on était immortel => Négation de la condition de mortel. Vivre comme si on était Dieu. Absurde également, pour un mortel, de ne penser qu’à la mort, car c’est alors vouloir mourir de son vivant, oublier qu’il y a une vie avant la mort. D’où l’impératif de vivre comme si chaque jour était le dernier. Cette thèse a été soutenue par Marc-Aurèle, qui dans « Pensées pour moi-même » : « Voici la morale parfaite, vivre chaque jour comme si c'était le dernier, ne pas s'agiter, ne pas sommeiller, ne pas faire semblant ». Mort est une invitation à une vie plus intense et libre. Mettre de l’intensité dans nos vies, de la vie dans la vie. La mort (comme l’art) est le grand stimulant de la vie. Ne pas mourir avant d’avoir vécu. Etre nietzschéen au sens d’une vie plus intense et plus libre: qui a appris à mourir, a désappris à servir. Impératif non pas moral comme chez Kant, mais impératif de l’ « Eternel Retour » (Nietzsche): Agis de telle manière que tu puisses vouloir que l’instant que tu vis puisse revenir une infinité de fois. Principe de sélection des instants de nos vies. Il y a des instants de nos vies que l’on ne voudrait, pour rien au monde, revivre. Pas forcément les plus douloureux mais les plus nuls, les plus médiocres.
Faire comme l’ « enfant » d’ » Ainsi parlait Zarathoustra » qui dit « oui » au présent de la vie, au présent de l’instant au point de vouloir toujours ce qu’une fois il a voulu. Trouver un principe d’éternité de vie : chaque nouvelle fois peut être aussi la dernière fois. Sagesse d’intelligence : vivre chacun de nos instants de vie comme si c’était le dernier. La vie commence quand on a compris que l’on en a qu’une ! Aime ta vie !
De même, nécessité pour l’homme de retrouver l’étonnement de l’enfant qui découvre tout pour la première fois. Voir le monde avec les yeux d’un enfant qui s’émerveille de voir les choses telles qu’elles sont. L’étonnement ne s'exerce pas sur des choses extraordinaires, mais tout simplement devant ce qui est, et dont la nature nous offre chaque jour le spectacle.
=> Qu’est-ce que le bonheur ? Une vie plus intense et plus libre.
5) « Deviens qui tu es » et « Sois celui que tu deviens ».
« Deviens qui tu es » : maxime de Pindare, un poète lyrique reprise par Nietzsche, notamment dans Le gai savoir. Création perpétuelle de soi-même. Se créer indéfiniment soi-même. Chacun a un style propre. Il y a quelque chose d'unique et d'original en chaque homme qui cherche à s'exprimer. Exprimer sans cesse sa propre originalité, travailler son style pour faire de soi quelqu'un d'unique. Devenir un esprit libre. Être seul la cause de soi. « Gai Savoir »: « Soyons les poètes de notre existence ». Sculpture de soi. Se tailler une existence à ses propres mesures. Ne pas vivre la vie d’un autre : " Restez vous-même, tous les autres sont déja pris." Oscar Wilde. Devenir la meilleure version de soi-même. Être acteur de sa propre vie. Vivre pleinement sa vie car il n’y en a pas d’autres. Faire de sa vie une œuvre d’art, pas forcément un chef d’œuvre mais une vie qui soit la nôtre. Ne pas vivre par procuration.
=> Qu'est-ce que le bonheur ? « Il est bon de suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant. » André Gide.
6) Ne pas confondre l’être et l’avoir.
On veut tous des avoirs dans nos tiroirs. On croit que plus on a, plus on jouit. L’avoir est quantitatif, mesurable. L’avoir a un prix. L’être est qualitatif, du domaine de la valeur. Tout ce qui s’achète à peu de prix. Sur le mode de l’avoir, on échange des biens, des services contre de l’argent. Sur le mode de l’être, l'amour ne peut être échangé que contre l'amour, la confiance que contre la confiance, etc. Ce qui a un prix n’a aucune valeur. On croit que celui qui n'a rien n'est rien. Avoir moins pour être un peu plus. On EST heureux. On n’est pas ce que l’on a. Moins on est, moins on exprime sa vie – plus on a, plus on aliène sa vie à des objets transitionnels. Vivre sur le mode de l’ « avoir », c’est vivre constamment dans la peur : si je peux perdre ce que j'ai, je suis nécessairement angoissé en permanence par l'idée que je perdrai ce que je possède. Pour Harpagon, être volé c’est perdre la vie. Avoir = égoïsme, propriété, concurrence, jalousie, guerre. Si je suis ce que je suis, et non ce que j'ai, personne ne peut menacer ni voler ma sécurité et mon sentiment d'identité (cf. stoïcisme). Plaisir d'avoir ≠ joie d'être. Il existe des « plaisirs sans joie » mais jamais de joie sans plaisir. C’est l'absence de joie d’être qui rend nécessaire la quête de plaisirs sans fin de l’avoir.
=> Qu’est-ce que le bonheur ? Se réjouir de ce que l’on est plutôt que de ce que l’on a.
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