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Procréation médicalisée et droit des femmes

Procréation médicalisée et droit des femmes "Un enfant si je veux, quand je veux": dans les années soixante-dix, le projet de maîtrise technique de la fécondité par la contraception et l'avortement apparaissait comme le pilier d'un nouveau droit auto-proclamé, qui ne devait d'ailleurs pas trouver de traduction juridique: le droit à disposer de son corps, embryon compris... Cette proclamation, à la fin des années quatre-vingt, est souvent rappelée par les praticiens et les promoteurs des techniques de procréation médicalisée. Après la maîtrise de l'infécondité, celle de la fertilité viendrait à la fois combler l'"irrésistible désir" d'enfant des femmes stériles, et renforcer un mouvement d'émancipation des femmes en général, qui pourraient, "dans cent ans", pour reprendre une hypothèse du professeur Jean Bernard, programmer totalement leur "projet procréatif", voire, être libérées de l'obligation de porter leur enfant grâce à l'utérus artificiel... Paradoxalement, malgré ces discours émancipateurs, la question du droit des femmes n'est que très rarement posée dans les avis éthiques, rapports officiels et réglementations concernant ces techniques. La réglementation du don de gamètes (spermatozoïdes et ovules), par exemple, établit entre "donneurs" masculins et féminins une équivalence surprenante: rien de plus simple à recueillir que le sperme, hormis un certain malaise... Pour donner des ovocytes, en revanche, une femme risque sa santé et même sa vie, dans les traitements hormonaux et la chirurgie mis en oeuvre. C'est un véritable "parcours de la combattante" que doit emprunter toute femme ayant recours à la FIVETE (fécondation in vitro et transfert d'embryon). Et n'a-t-il pas fallu environ 20 000 tentatives pour parvenir aux premiers "bébés éprouvettes"? Désormais, le clinique s'apparente souvent à une expérimentation déguisée: outre les différentes méthodes chirurgicales, une grande variété de traitements hormonaux, inducteurs d'une "superovulation", sont testés sur des milliers de femmes. Dans plusieurs pays, des médecins, des biologistes, des sociologues ont mis en garde contre le constant élargissement des indications de la fécondation in vitro (20% des traitements sont par exemple motivés par des stérilités masculines), et contre la relative inefficacité de ces méthodes (92% d'échecs). On souligne également le manque d'information des patientes tant sur leurs chances que sur les risques encourus. Qui sait aujourd'hui que les fécondations in vitro, par exemple, présentent un risque de 24% d'avortements précoces, de 4 à 5% de grossesses extra-utérines, et que 20% environ des stérilités inexpliquées se résolvent d'elles-mêmes, sans autre intervention que l'attente? Ces faits mettent sérieusement à mal la notion de "consentement éclairé". Au-delà de cet aspect expérimental, l'organisation d'une surproduction d'ovocytes et d'embryons, le fractionnement du temps de la procréation au rythme des techniques, calquées sur le modèle de l'élevage industriel animal - notamment bovin -, induisent de nouvelles images du corps féminin reproducteur, morcelées et "mécanisées". "J'ai rencontré des femmes en traitement FIV tellement médicalisées qu'elles n'avaient même plus de mots pour exprimer leur désir d'avoir un enfant. On ne trouvait plus dans leur vocabulaire que des chiffres, des statistiques, des courbes thermiques et des graphiques", raconte Dominique Grange dans son ouvrage L'Enfant derrière la vitre. On a abondamment souligné le risque éthique que les nouvelles techniques de procréation et de diagnostic prénatal transforment l'embryon en objet, et l'enfantement en consommation. Il est tout autant évident qu'il y a également danger d'assimilation de la procréation à une production d'enfants, maîtrisée en quantité et en qualité, le corps féminin en devenant le producteur rationnel et performant, encadré de prothèses et d'intermédiaires médicaux. A la mercantilisation de l'enfant correspond également une marchandisation du corps de la mère de "location". Ce morcellement du corps implique aussi celui de la maternité, que les techniques découpent en maternité génétique, en maternité porteuse et en maternité sociale. Cet éclatement de l'identité maternelle mériterait, lui aussi, une réflexion éthique en termes de droits des femmes d'autant que la paternité, qu'elle soit biologique (pour la "location d'utérus" ou la fécondation in vitro pour cause de stérilité masculine), ou qu'elle soit sociale (pour l'insémination avec donneur), en sort plutôt renforcée. Le "droit à disposer de son corps" n'apparaît plus maintenant comme une réponse suffisante à l'ampleur et à la complexité des enjeux des nouvelles techniques de procréation. Il risque même de n'être qu'un alibi à la mercantilisation du corps et de ses produits. Comme pour les politiques de limitation des naissances dans les pays du Sud - et quoique de manière différente -, la question de l'intégrité et de l'autonomie des sujets reproducteurs, des femmes en particulier, apparaît comme un enjeu juridique capital pour cette fin de siècle.

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