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Port-Royal Henry de MONTHERLANT, 1954

• Montherlant a présenté cette pièce en un acte comme le troisième volet de sa trilogie catholique, après Le Maître de Santiago et La Ville dont le prince est un enfant. • L'action réside dans l'évolution morale des religieuses du célèbre couvent janséniste face aux persécutions dont elles furent l'objet de la part des autorités religieuses en 1664. Montherlant ramasse en une journée les événements des 21 et 26 août. L'archevêque de Paris, Mgr de Péréfixe, veut obtenir des religieuses la signature d'un Formulaire désavouant les thèses de Jansénius. Un visiteur, père d'une religieuse, montre qu'une partie de l'opinion souhaite cette soumission, mais le couvent résiste, et quand l'archevêque vient lui-même l'ordonner, il se heurte à un refus. Il décide de priver les religieuses des sacrements et fait transférer douze d'entre elles vers d'autres couvents. Cette épreuve renforce soeur Marie-Françoise de l'Eucharistie dans l'intransigeance de sa foi : Nous voulons la pureté. Nous n'aimons pas les demi-chrétiens. L'archevêque qui raille sa sainteté et se dit obligé de regarder à hauteur d'homme ne peut la faire céder. Soeur Angélique, après son départ, avoue en revanche un doute... sur toutes les choses de la foi et de la Providence; un doute si l'ordonnance du monde est bien telle qu'elle nous justifie de vivre comme nous vivons. Toutefois, avant de quitter le couvent où reste soeur Marie-Françoise, elle réaffirme sa foi dans la vérité de Dieu. • Cette pièce austère est propre à faire comprendre ce que fut le drame de Port-Royal : l'affrontement entre deux conceptions du christianisme, l'une mondaine et temporelle, l'autre éprise de spiritualité et d'absolu.


MONTHERLANT Henry de (pseud. d’Henry Millon de Montherlant). Écrivain français. Né et mort à Paris : 21 avril 1896-21 septembre 1972. Sa famille était de petite noblesse, mais se considérait d’une essence supérieure au commun des mortels. Il fut fils unique, car sa mère ne se remit jamais de son accouchement difficile. Comme le père avait des soucis financiers, la famille alla loger à Neuilly « sous les ailes du grand-père et de la grand-mère maternels qui abritaient déjà un oncle et un grand-oncle maternels ». Avec le souvenir de ces oncles, Montherlant nourrira plus tard son roman Les Célibataires . Dans cette maisonnée plutôt triste, le jeune garçon fut cependant heureux. C’est que, dès l’âge de neuf ans, il avait été saisi par le démon de la littérature. La première influence qu’il subit est celle du Quo vadis ? de Sienkiewicz. A douze ans, il sut qu’il serait écrivain et rien d’autre. En outre, il aime beaucoup le collège et c’est à Sainte-Croix-de-Neuilly, en 1911, qu’il fait la connaissance du garçon dont il dira, dans Mais aimons-nous ceux que nous aimons ?, sa dernière œuvre : « Cet être est le seul que j’aie aimé de ma vie entière. » Cette amitié exaltée est mal vue de la direction et Montherlant est renvoyé du collège. C’est de cette passion d’adolescent que devaient naître bien des années plus tard la pièce La Ville dont le prince est un enfant (1951) et le roman Les Garçons (1969). Pendant deux ans, Montherlant reçut des leçons particulières, afin de passer son bachot, qu’il obtient en 1913. Sa mère le pousse à fréquenter bals et garden-parties, mais il ne s’y amuse pas. Il préfère les patronages catholiques et les ateliers de peinture à Montparnasse. Il s’inscrit aussi au club sportif populaire du journal L’Auto. Il éprouve la nostalgie des courses de taureaux et se flatte d’exploits qu’il aurait accomplis en ce domaine au cours de vacances en Espagne. Il songe déjà à écrire un livre sur le thème de la corrida : ce sera Les Bestiaires (en 1926). En 1914, son père meurt. Et puis c’est la guerre. Montherlant voudrait s’engager, à l’exemple d’un de ses amis dont il ne voudrait pas être séparé. Sa mère mourante lui demande d’attendre un peu. Montherlant écrit la pièce L’Exil , première œuvre qu’il jugera plus tard digne de figurer dans ses œuvres complètes, Pour le moment, il ne trouve pas d’éditeur qui veuille la publier. Il entreprend alors La Relève du matin où il se propose de chanter la gloire du collège. Sa mère meurt en 1915 et sa grand-mère l’autorise à devenir soldat. Versé d’abord dans l’auxiliaire, secrétaire d’état-major à Mirecourt (Vosges), il demande à être muté dans le service armé. Il est affecté en 1917 au 360e d’infanterie. Il s’y comportera vaillamment et sera gravement blessé, en 1918, à Bande-Laveline, de sept éclats d’obus dans les reins. Il est soigné à Saint-Dié, puis à Bernay. Au terme de sa convalescence, il devient interprète dans l’armée américaine et c’est dans ces fonctions qu’il termine sa carrière militaire. Sa carrière littéraire s’ouvre en 1920 par la publication à compte d’auteur de La Relève du matin, livre qui a été successivement refusé par onze éditeurs. Le livre obtient un succès d’estime suffisant pour que la librairie Grasset accepte de prendre à sa charge Le Songe , en 1922. Les Goncourt négligent ce beau roman. D’ailleurs, la grand-mère de Montherlant, chez laquelle il vit à Neuilly, serait attristée qu’on dise que son héritier « fait de la littérature » : officiellement, il est secrétaire de l’œuvre fondée pour ériger l’ossuaire de Douaumont. Dans ses loisirs, il compose Les Olympiques (deux volumes : Les Onze devant la porte dorée et Le Paradis à l’ombre des épées) où il magnifie son expérience du stade, et un Chant funèbre pour les morts de Verdun (1924). La grand-mère meurt en 1925 et Montherlant met en vente la maison de Neuilly. Le prix qu’il en retire et ses droits d’auteur vont lui permettre de mener pendant plusieurs années une vie plus ou moins errante dans les pays de la Méditerranée occidentale : Espagne, Afrique du Nord, Italie. Il a confié que ces années n’avaient pas été heureuses : il était un « voyageur traqué », traqué par l’ennui dont il se libérait en écrivant. De cette époque date le triptyque qui comprend : Aux fontaines du désir , La Petite Infante de Castille , Un voyageur solitaire est un diable . Ces trois livres sont composés de courts textes indépendants. En 1928, il commence à écrire une pièce Les Crétois dont il ne subsistera que le fragment intitulé Pasiphaé . Il entreprend une œuvre romanesque de longue haleine, La Rose de sable, et il ne revient en France qu’après l’avoir terminée. Nous sommes en 1932, année où paraît Mors et Vita . Montherlant découvre que l’après-guerre est fini et que l’on est entré dans un nouvel avant-guerre. Il a l’impression que la France est en pleine décomposition. Aussi ne publiera-t-il pas La Rose de sable (qui ne paraîtra qu’en 1968), parce qu’il y dénonçait l’attitude déplorable des Français au Maroc. Il y racontait aussi, avec de prudentes transpositions, ses aventures pédérastiques en Afrique du Nord. Il s’attelle à un autre roman dont les thèmes sont moins dangereux : Les Célibataires qui paraît en 1934 et reçoit un accueil enthousiaste et le Grand Prix de l’Académie Française. La même année, il publie un volume de poèmes : Encore un instant de bonheur . Les journaux s’arrachent sa collaboration. On lui propose même d’être le rédacteur en chef du Figaro, mais il refuse. Il préfère collaborer librement aux journaux les plus divers et de tendances politiques opposées (aussi bien d’extrême droite que communistes). En 1935, il exposera dans Service inutile le conflit entre l’âme et l’intelligence : « L’âme dit “service”, et l’intelligence dit “inutile”. » Mais on peut vouloir satisfaire son âme. Ainsi s’expliquent les écrits « civiques » de Montherlant. Toutefois, à cette époque, la question qui l’occupe le plus est la question des femmes. Déjà, en 1924, il s’était fiancé et il avait vite rompu ses fiançailles. En 1934, il se fiance à nouveau et derechef il rompt ses fiançailles. Or, remarque-t-il, « il s’agissait de fiançailles très sérieuses, avec prise de contact des notaires ». Le sérieux de l’amour n’est peut-être pas une affaire de notaires. Cependant, ces deux histoires de fiançailles, ainsi que ses relations avec des lectrices enthousiastes, ont fourni à Montherlant la matière de son roman-dossier intitulé Les Jeunes Filles qui comprend quatre volumes : Les Jeunes Filles (1936), Pitié pour les femmes (1936), Le Démon du bien (1937), Les Lépreuses (1939). Ce roman lui vaut son premier succès de grand public. Il y peint complaisamment un personnage de mufle assez réjouissant et qu’il n’est pas trop mécontent que l’on confonde avec lui. La composition de cet ouvrage est perturbée par les événements extérieurs auxquels l’auteur n’est certes pas insensible. Il intervient avec violence en 1938 contre les accords de Munich. Il reproche à la France sa « morale de midinette ». Ses articles de l’époque, réunis dans L’Equinoxe de septembre , le font accuser de bellicisme. En 1939, il songe à s’engager mais se trouve atteint de congestion pulmonaire. Rétabli, il se fait envoyer en mai 1940 sur le front des combats comme correspondant de guerre. Il n’aura l’occasion de publier qu’une seule chronique, car l’exode le refoule sur Paris où il est de retour le 7 juin. Il n’y reste pas et nous le retrouvons à Marseille le 10 juin. Il demeurera dans le Midi jusqu’en mai 1941. Il y écrit les textes qui seront recueillis dans Le Solstice de juin à la fin de cette année 1941. Le goût de se battre l’a quitté et il recommande « l’acceptation », ce qui surprend de la part de ce foudre de guerre. Néanmoins, il ne s’aligne pas sur le moralisme de circonstance du gouvernement vichyssois. Mais il décide de regagner Paris occupé. L’administrateur de la Comédie Française lui a demandé une pièce — en lui conseillant d’adapter une œuvre espagnole — et c’est un tournant dans la vie de Montherlant qui va, dans les années suivantes, se consacrer principalement au théâtre. La Reine morte sera créée en 1942 avec un immense succès. Certaines répliques furent applaudies par un public hostile à l’occupant. La pièce semblait cependant manifester que l’auteur doutait de l’importance de toutes les actions humaines. Montherlant ne donna qu’une autre œuvre sous l’Occupation : Fils de personne (1943), où un père finit par se désintéresser de son fils parce qu'il le trouve médiocre. Ce fut encore un succès. A la Libération, Montherlant eut la surprise de se voir inquiéter par les épurateurs. Il se trouvait victime de confrères jaloux plutôt que de ses prises de position politiques. Le volume intitulé Textes sous une occupation montre assez qu’on ne pouvait l’accuser d’intelligence avec l’ennemi. Il souffrit profondément des attaques dont il fut l’objet et, après l’épreuve, éprouva « la soif d’un immense retirement ». Cette soif s’exprime dans les pièces à sujet religieux : Le Maître de Santiago (1947), Port-Royal (1954), Le Cardinal d’Espagne (1960), mais le goût du cloître ne traduit chez Montherlant qu’un dégoût de l’agitation humaine et non pas l’espoir dans un autre monde. Toutefois, une autre série de pièces est une exaltation du plaisir : Malatesta (créé en 1950) et Don Juan (1958). « De tous côtés, autour de moi, je ne trouve que la nuit noire; mes heures de chasse et d’amour sont les seules étoiles de cette nuit; elles en sont l’unique clarté », est-il dit dans Don Juan, et Montherlant n’a pas craint de disserter sur le thème L’infini est du côté de Malatesta . Parmi les pièces qui composent son théâtre, on trouve autant de pièces contemporaines que de « pièces à costumes »; après Fils de personne, citons Un incompris , Demain il fera jour (qui est la suite de Fils de personne), Celles qu’on prend dans ses bras , La Ville dont le prince est un enfant (dont le texte est publié en 1951, bien avant que l’auteur n’en autorise la représentation), Brocéliande (1956). On admet généralement que le chef-d’œuvre de Montherlant est La Ville dont le prince est un enfant qui fut créée en 1967 et qui obtint un triomphe. Montherlant était en coquetterie avec l’Académie Française depuis 1947. En 1955, il fit savoir par une lettre au doyen d’élection qu’il ne poserait jamais sa candidature mais que, si on l’élisait sans qu’il l’ait sollicité, il remplirait tous les devoirs d’usage, dont il n’excluait ni les fameuses visites ni, bien sûr, le discours. C’est dans ces conditions qu’il fut élu en 1960 sur « présentation » du secrétaire perpétuel, par 24 voix sur 29 votants. Cette procédure exceptionnelle n’avait encore jamais été utilisée et ne l’a pas été depuis. Souffrant d’agoraphobie, Montherlant fut dispensé de lire son remerciement en séance publique. Un mystère plane sur ses ennuis de santé et notamment sur l’origine de ses troubles oculaires, qui ne cessaient de s’aggraver. On a parlé d’un mauvais coup reçu lors d’une chasse au plaisir. En 1963, Montherlant revint au roman avec Le Chaos et la nuit . Il y étudie la peur à l’approche de la mort et parvient à la surmonter. En 1965, il donne sa dernière pièce, La Guerre civile , où il met en scène Pompée et Caton. Pompée déclare : « Demain, les deux partis seront confondus chez les morts; après-demain confondus dans l’oubli. » Bien que Montherlant assure en son propre nom que bientôt rien ne restera de son œuvre d’écrivain, il ne cesse de la commenter dans de nombreuses préfaces et postfaces, et dans des Carnets , comme Va jouer avec cette poussière qui paraît en 1966. Pour lutter contre le vieillissement, il se retourne vers les bonnes — et les mauvaises — heures de sa jeunesse et termine Les Garçons (1969). Un autre roman Un assassin est son maître (1971) le montre sensible à la pitié pour les faibles et à l’absence de charité entre les hommes. Il y condamne aussi la psychanalyse qui, selon lui, enfonce les gens dans leur misère morale plutôt qu’elle ne les en sort. Au début de 1972, dans La Marée du soir, il annonça qu’ayant déjà perdu l’usage d’un œil, il se suiciderait avant de devenir complètement aveugle. Ce qu’il fit au mois de septembre, en se tirant une balle de revolver dans la bouche. Par le courage qu’il manifesta, il rejoignait les héros de l’Anti-quité et de la Renaissance qu’il aimait tellement. Car il s’agissait d’une décision longuement méditée. En homme de théâtre et en homme de conscience, il avait réglé son dernier acte et mis toutes ses affaires en ordre. Son œuvre avait paru partagée entre catholicisme et paganisme : par son geste hardiment désespéré, il désignait sa famille véritable. Il demandait qu’on ne considère pas son désespoir comme la conséquence d’un mépris pour le monde. Tout au contraire, il assurait que son suicide traduisait son respect pour la vie et pour lui-même. Il ne voulait plus vivre dans des conditions qui lui paraissaient indignes de lui. Personne n’a jamais mis en question sa qualité de grand écrivain. Le succès ne l’a d’ailleurs jamais boudé. Nourri d’humanités classiques, c’est un styliste de tout premier ordre. On ne l’a jamais accusé de mal écrire, mais parfois d’écrire trop bien. En fait, aucune froideur chez lui. Il avait retenu la leçon de Saint-Simon, dont il savourait la libre allure et la verve. Il avait le sens de l’humour et l’a souvent prouvé dans des essais comme Service inutile et des romans comme Les Célibataires et Les Garçons. Son théâtre est peut-être plus guindé, mais c’est qu’il désapprouvait le débraillé lorsqu’on se présente directement au public sur une scène. Dans ses débuts, il avait rêvé d’être un prince de la jeunesse, comme l’avaient été Barrés et Gide. Mais il rappelle davantage d’Annunzio par sa science des attitudes. En 1942, il confectionna un volume de pages choisies, La Vie en forme de proue, destiné « à l’usage des jeunes gens ». Toutefois, il y avait contradiction entre son acceptation de la défaite et ses appels à l’héroïsme. La même année, il triompha avec sa Reine morte, qui est une œuvre très pessimiste. Elle enseignait que, si la vie n’a pas de sens, cela ne dispense pas de se conduire avec noblesse et dignité. Mais les jeunes gens ont besoin d’une foi et de donner un but et une raison à leurs enthousiasmes. Montherlant n’était pas désigné pour s’adresser spécialement à eux. Cela n’enlève rien à ses éminentes qualités littéraires, ni non plus à l’intérêt de ses considérations sur les divers sujets qu’il aborde. ♦ «J'ai le plus grand respect des hommes qui représentent vraiment la France et, dans la littérature, je compte parmi eux Henry de Montherlant. On n'est pas plus Français que lui. » Aragon (1938). ♦ « Quand sera retrouvée cette vérité banale qu'il existe un art littéraire, comme il existe un art pictural et un art musical; quand les écrivains — seuls à le faire — cesseront de traiter de haut “la littérature” (qui parfois le leur rend bien), l'œuvre de Montherlant montrera que l'art de notre temps connut, lui aussi, l'union fort rare de l’ironie avec une écriture royale. » André Malraux (1952). ♦ « Il y a là de la caracole, de la piaffe; cela sent son cheval de race et “l’étalon cabré”; mais également un peu le cirque, les tréteaux, et le regard étonné du public auquel sans cesse il fait appel. » André Gide (1927). ♦ «Montherlant est toujours sur la scène, à ses propres yeux comme aux yeux des autres. Reconnaissons qu'il y fait une figure singulière; une figure qui ne manque ni d’unité à travers ses contradictions ni de profonde violence à travers ses coquetteries et ses faiblesses. » Marcel Arland (1955).




PORT-ROYAL nom propre - Mouvement religieux qui, au XVIIe siècle, diffusa la doctrine janséniste. —> Jansénisme

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