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POÉSIE

POÉSIE, n. f (du grec poiêsis, «création»). Art d’exprimer par le travail du langage (son rythme, son harmonie, ses images, ses figures) les émotions, les sentiments, les rêves, les pensées, les visions du monde, — tout ce qui «inspire» l’homme en général. Poésie lyrique, poésie dramatique, poésie épique, poésie satirique. La poésie repose sur deux éléments fondamentaux :
• La nature de l’inspiration, les thèmes «poétiques» qui ont toujours plus ou moins ému ou bouleversé les hommes en général, et les poètes en particulier. La bonne poésie plonge toujours dans une sorte d’état poétique : le poète, qui le ressent le premier, est chargé de le communiquer. «Le poète est celui qui inspire bien plus que celui qui est inspiré» dit P. Éluard. Par extension, on appellera «poétique» tout ce qui peut éveiller les états d’âme caractéristiques qu’exprime la poésie : il y a une poésie des ruines, on trouvera poétique tel paysage; on se sentira poète simplement en éprouvant des humeurs rêveuses ou mélancoliques. «L'art ne fait que des vers, le cœur seul est poète» (A. Chénier). • Le travail sur le langage, l’art d’exprimer et de combiner, de suggérer par l’agencement des mots, le choix des figures, les jeux du rythme et des sonorités. Ce second aspect est également essentiel à la poésie, à la qualité propre d’un poète. Dans ce sens, le mot «poésie» recouvre tous les aspects formels, codés, historiquement mis au point et transmis par la tradition, que respectent et que mettent en pratique les poètes quand ils font de la poésie. La poésie est, de ce point de vue, une création d’objets verbaux, un langage dans le langage (on parle parfois à ce sujet de «poésie pure»), avec ses règles bien précises (la versification), ses écoles diverses, ses genres spécifiques, les styles reconnaissables de tels ou tels poètes. En linguistique, on définit précisément la «fonction poétique» du langage comme un travail sur le langage par lequel le locuteur confère la plus grande valeur formelle possible à son message.
N.B. Le mot poème désigne une poésie particulière (le sens du mot poésie est donc beaucoup plus large).
Le mot poétique, comme nom féminin, peut désigner : — soit l’ensemble des choix stylistiques et de l’univers personnel d’un poète déterminé (la poétique de Baudelaire), — soit l’étude générale des lois de fonctionnement de l’écriture poétique, dans le cadre d’une théorie du discours littéraire.
Poète
1 Personnage assumé par les auteurs lorsqu’ils se mettent en scène dans leur poésie.
a) Courtisan et maître du bien dire : Marot, Poésies; Malherbe, Poésies. b) Favori des Muses, inspiré des Dieux : Du Bellay, Les Regrets; Ronsard, Odes; La Fontaine, Fables. c) Rêveur, ami des plaisirs, chantre de la beauté et de l’amour : Ronsard, Odes, Amours; La Fontaine, Fables. d) Être sensible et vulnérable, prédestiné au malheur: Villon, Poésies; Lamartine, Méditations poétiques; Musset, Poésies nouvelles. Naissance du mythe du «poète maudit» (cf. Malheur, 1, c) : Baudelaire, Les Fleurs du Mal; Verlaine, Poèmes saturniens; Rimbaud, Une saison en enfer; Laforgue, Les Complaintes; Mallarmé, Poésies. e) Esprit supérieur, à l’écoute du monde, «visionnaire» communiquant avec le surnaturel et l’invisible; «écho» et «mage» : Hugo, Les Orientales, Les Feuilles d’automne, Les Contemplations (Les Mages). Mystique déchu des régions pures de l’idéal : Baudelaire, Les Fleurs du Mal; Mallarmé, Poésies. «Voyant» : Rimbaud, Poésies, Une saison en enfer, Illuminations; Lautréamont, Les Chants de Maldoror. Spectateur émerveillé : Apollinaire, Alcools, Calligrammes ; Supervielle, Gravitations. Maître de l’imaginaire : Michaux, L'Espace du dedans. Officiant d’une célébration : Saint-John Perse, Amers. Témoin lyrique : Aragon, Le Roman inachevé. f) Artiste lucide, maître des artifices du langage : Valéry, Charmes; Ponge, Le Parti pris des choses. Jongleur soumis aux mots et aux images : Éluard, Capitale de la douleur.
2 Personnage de fictions : Vigny, Stello, Chatterton; Balzac, Illusions perdues (Les Deux Poètes); Cocteau, Orphée.
POÉSIE (n. f.), POÉTIQUE (adj. et n. f.) 1. — Cf. production, sens 2. 2. — Forme particulière d’expression littéraire, caractérisée gén. par la mise en œuvre de procédés d’expression part. (versification). 3. — (Ling.) Pour Jakobson, une des fonctions du langage, consistant dans le fait que les procédés qu’elle concerne mettent « l’accent sur le message pour son propre compte » (par ex., à l’aide d’une paronomase, comme dans « l’affreux Alfred »).
POESIE nom fém. - Genre littéraire se caractérisant par un travail spécifique portant sur la matérialité même du langage (rythme, sonorité, etc.) et qui vise à l’expression ou à la suggestion plus qu’à la simple énonciation d’un sens.
ÉTYM. : du grec poièsis = « création ».
On ne saurait se contenter d’une définition purement formelle qui présenterait la poésie comme de la littérature en vers. Certes, traditionnellement, on reconnaît un poème à l’observation d’un certain nombre de règles et de conventions qui, malgré de notables variations, restent relativement stables dans une langue donnée : disposition particulière du texte dans l’espace de la page, mètre constant, recours à la rime, effets de rythme. Ainsi, la poésie se présente-t-elle d’abord au lecteur comme un code défini à l’intérieur de la langue par une série de règles contraignantes, ces règles engendrant des formes poétiques telles que, par exemple, le sonnet. Même dans la poésie la plus contemporaine (Denis Roche par exemple), il arrive que ces formes restent présentes pour que leur caractère arbitraire soit mis en évidence et dénoncé. On ne peut cependant confondre le poète et le versificateur. La raison en est d’abord que, depuis un siècle, la poésie moderne s’est définie par le refus et l’abandon de la plupart des règles traditionnelles. Avec le vers libre, à la fin du XIXe siècle, le mètre constant et la rime sont progressivement abandonnés. Dans le calligramme, la disposition ordinaire du poème disparaît. Enfin, le poème en prose, né avec Aloysius Bertrand et Baudelaire, s’impose comme l’une des formes essentielles de l’expression poétique du XXe siècle. La poésie n’en cesse pas pour autant de se définir comme un travail sur la matérialité même du langage. Les modalités seules de ce travail ont changé. Ainsi, dans les Illuminations, Rimbaud n’a recours à aucun des procédés habituels de la poésie, mais par le calcul rigoureux de la syntaxe, l’anaphore et les jeux sur les sonorités, il confère à ses textes un caractère authentiquement poétique. Ce travail sur la matérialité de la langue n’est pas gratuit. Il donne à la langue une dimension musicale qui lui permet d’exprimer avec plus de force, de suggérer avec plus de mystère. A la différence de la prose, du langage courant, la poésie ne se limite donc pas à l’expression d’un sens transparent. C’est par elle que l’individu peut se faire « voyant » (Rimbaud), qu’il peut accéder à une vision plus haute et plus complète de la réalité que celles qu’assurent la science ou la philosophie. Selon le mot célèbre de Valéry, elle est « l’ambition d’un discours qui soit chargé de plus de sens et mêlé de plus de musique que le langage ordinaire n ’en porte et n ’en peut porter ».
—► Poétique — Versification