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Pierre Klossowski

Pierre Klossowski, fils aîné du peintre et critique d’art polonais Erich Klossowski, est né en 1905. C’est en 1922 que Rilke, l’ami intime de Mme Klossowska, écrivit à Gide pour le prier de recevoir dans la capitale française le jeune Pierre Klossowski, qui y vint en novembre 1923 — où, depuis, il réside. L’œuvre de Pierre Klossowski est, aujourd’hui, aussi riche qu’abondante. On y découvre un traducteur de grand talent : celui, entre autres, de la Vie des Césars de Suétone, de L 'Enéide de Virgile, du Gai Savoir de Nietzsche, de la correspondance de Rilke, et du cours de Heidegger sur Nietzsche. On y lit aussi un essayiste remarquable qui, en philosophe vigilant, ne craint pas de poser les plus délicates et complexes interrogations sur Sade (Sade mon prochain) et sur Nietzsche (Nietzsche et le cercle vicieux). Mais, au cœur de cette œuvre, la part romanesque semble avoir une place majeure, même si Pierre Klossowski n’y est pas revenu depuis longtemps. La trilogie des Lois de l’hospitalité qui regroupe trois textes publiés séparément (La révocation de l’Edit de Nantes, Roberte ce soir, et Le souffleur) institue clairement les données de la pensée et de l’écriture klossowskiennes. Dans une langue pure et froide — qui n’est pas sans rappeler la « continuité » distante de certaines pages de Georges Bataille dont, au reste, il fut l’ami proche —, au rythme de phrases sans pesanteur qui allient l’ironie à la fluidité, jusqu’à des points de rupture soudaine, Pierre Klossowski a conçu un univers romanesque étonnamment fantastique, où les êtres et les textes sont toujours représentés, regardés, réévalués : La vocation suspendue est le commentaire d’un récit justement intitulé La vocation suspendue : les aventures sexuelles de Roberte, de son mari Octave et du neveu Antoine (Le Baphomet, Les lois de l’hospitalité) laissent souvent lieu à ces représentations théâtrales où les personnages se jouent eux-mêmes, incarnent leur propre individualité ; ou encore : Roberte censurant Roberte ce soir et Octave relatant la mort d’Octave... On pense à cette phrase du Bain de Diane : « Les dieux ont enseigné aux hommes à se contempler eux-mêmes dans le spectacle comme les dieux se contemplent eux-mêmes dans l’imagination des hommes ». Depuis quelque temps, Pierre Klossowski a abandonné la plume de l’écrivain pour le crayon du dessinateur. « Le Cadran solaire » en 1967, le « Bateau Lavoir » en 1975 ont exposé ses dessins — où Roberte apparaît dans un univers d’obsessions érotiques et théologiques (théologie dont n’est peut-être pas absent un certain polythéisme romain...), de mains en élévations et de corps violés — qui semblent moins l’illustration que la continuation parfaite de son œuvre écrite. Dans tous ces domaines, Pierre Klossowski s’impose comme un innovateur d’autant plus appréciable et sincère que jamais aucune école ou chapelle n’a su se l’arroger.
► BibliographieRomans
Roberte ce soir, 1953, Minuit ; La révocation de l'Édit de Nantes, 1959, Minuit ; Le souffleur, 1960, Pauvert ; La vocation suspendue, 1950, Gallimard ; Le bain de Diane, 1957, Pauvert ; Essais Nietzsche et le cercle vicieux, 1969, Mercure de France ; Sade mon prochain, 1947, Seuil ;
Traductions
La Gai savoir et les Fragments posthumes 1887-1888, de Nietzsche, 1967 et 1976, Gallimard ; Correspondance de Rilke avec Lou Andréas-Salomé, 1976, Nouveau Commerce ; Nietzsche, de Heidegger, 1971, Gallimard; L'Énéide, de Virgile, 1964, Gallimard.


KLOSSOWSKI Pierre. Écrivain français. Né à Paris dans une famille d’artistes d’origine polonaise le 9 août 1905, il fréquente tôt peintres et écrivains dont Bonnard, Rilke et Gide. Il est lié ensuite à certains groupes philosophiques et psychanalytiques. On retiendra surtout sa participation aux côtés de Georges Bataille au « Collège de Sociologie », et à son revers clandestin, la revue Acéphale. Contrairement aux écrivains pour lesquels le travail d’écriture consiste en une évolution permanente, en une recherche où l’écriture même peut à son tour être objet d’écriture, Klossowski s'est limité au travail de quelques thèmes, à leur confrontation avec des instances qui sont tour à tour la technique romanesque, la traduction (Virgile et Nietzsche entre autres), une langue à la syntaxe rigoureuse, les nécessités technologiques des activités plastique et cinématographique. Pierre Klossowski s’est expliqué sur ses propres rapports à son oeuvre : elle est une somme d'instants d’une réflexion autonome. Plus qu’un écrivain, il pense être un scripteur qui donne à voir, par un système de signes, quelques intensités d’une pensée commune. Le monde de Klossowski, tel celui des grands utopistes, est un « déjà-là », et rarement avant la sienne, une oeuvre ne s’était posée pareillement comme indice. Il nomme théophanie cette vaste création où l’auteur-démiurge organise tous les méandres de son développement; l’oeuvre est un ensemble de digressions dans une théologie à rebours où le centre vacant est occupé par celui qui s’en montre digne. D’où l’attirance de Klossowski pour Sade (Sade mon prochain,. 1947) ou pour les théologiens (Ham man, 1948). D’ou aussi l’abondance des procédés d’écriture qui posent le livre comme une scène avec tous les effets de cette clôture : les travestissements, les commentaires, les reconstitutions de puzzles ténébreux. La Vocation suspendue (1950) est éloquente à ce sujet : ce roman est une succession d’impacts sur des personnages d’un livre que le lecteur ne peut découvrir. Ce thème de l’oeuvre à venir, du texte qui se dérobe, est repris dans le triptyque des Lois de l’hospitalité (1965) qui réunit trois livres parus dans le désordre. Dans son importante postface, Klossowski souligne la présence dans son oeuvre et dans sa vie de ce qu’il nomme le « signe unique », le nom de Roberte qui porte sa pensée entière, dont la peau même peut être comparée à l’oeuvre de l’écrivain. Le corps de Roberte, fût-il révélé dans un simple dégantement, sera offert aux regards de son mari, des autres personnages et du lecteur lors de tableaux vivants qui sont des moments où la souveraineté peut à tout instant basculer. Les Lois recouvrent successivement La Révocation de l’Edit de Nantes (1959), entrecroisement des journaux intimes des époux Octave et Roberte, puis Roberte ce soir (1953), pièce représentée par leur neveu Antoine, et enfin Le Souffleur (1960), assomption romanesque de ce qui précède avec deux progrès notables : l'apparence réaliste du récit, et l’indécision où l’auteur nous plonge quant à l’identité du narrateur. Est-ce Théodore Lacaze ou K., ou un autre personnage, ou la parole elle-même ? Cette suite est en fait la généalogie d’un sourire, celui de l’écrivain qui, dominant son art, montre un monde, simulacre de monde réel, par l’épuisement de son propre désir. Il n’est pas surprenant alors que Pierre Klossowski se soit intéressé au mythe de Diane et d’Actéon dans Le Bain de Diane (1956), que certains considèrent comme son oeuvre la plus accomplie. Après en avoir tracé savamment la genèse, l’auteur nous permet de mieux distinguer en quoi ce mythe est fondateur de notre propre culture ainsi que de ses préoccupations : tout est dans la métamorphose, dans le regard de côté d’Actéon qui n’est plus homme et pas encore cerf, vers Diane et sa purification. Mais le roman le plus abouti, où les obsessions de Klossowski s’allient le mieux avec sa langue retenue et les situations les plus baroques, où il réussit à fondre ses diverses conceptions — comme celle de « l’éternel retour », dont il attaqué le fonctionnement subtil dans Nietzsche et le cercle vicieux (1969) —, est sans nul doute Le Baphomet (1965), où les ingrédients du récit klossowskien nous sont livrés dans la plus grande harmonie : image obsédante, gnose, temps circulaire et climat sulfureux. La variété et la richesse de sa culture, la discrétion brûlante de son projet, l’acuité de son regard critique (Un si funeste désir, 1963) font de Pierre Klossowski l’un des écrivains les plus présents et nécessaires, parce que ce qu’il nous offre tient dans ce don rare de « l’hilarité du sérieux » (M. Blanchot).