Pierre Guyotat
Né en 1941, Pierre Guyotat est sans doute l’écrivan français dont le travail se situe le plus à l’avant-garde des avant-gardes. Son « illisibilité » est une agression mais sa démarche est d ’une importance qui fait taire toutes les impostures. L’idée centrale de Guyotat s’est fixée sur la violence en tant qu’elle se donne aujourd’hui à voir dans le fond (politique, guerre, racisme, sexe) comme dans la forme (le langage lui-même peut être répressif). Cette violence travaille la langue de l’écrivain. Les deux mots-clés de Guyotat sont donc langue et écriture. Son écriture ne « dit » pas, elle ne raconte rien, mais chante. C’est une écriture « musiquée » : Ce chant est celui même du corps, sur lequel l’écriture est branchée. En même temps, elle est branchée sur l’inconscient. C’est là que l’on retrouve la langue puisqu’elle n’est pas séparable de la formation de notre inconscient (langue maternelle). Il y a donc ici possibilité d’une « écriture scientifique » (comme il dit) puisqu’elle a un rapport à notre vérité. Cette langue s’exprime, chez Guyotat, à partir du rythme (voir ses derniers textes, qui sont des « sons » inarticulés mais se rapprochant du battement d’un organe). Cette langue du rythme vient s’opposer à une langue de l’articulation (la langue utilitaire). Ce n’est pas le sens qui compte mais ce son. C’est une langue à lire hors de toute notion de représentation. Cette langue, Guyotat en refuse les aspects contraignants, répressifs. Par exemple, il élimine dans ses phrases les relatifs, les possessifs (qui, dans le langage, sont les signes de la maîtrise, donc de la domination). Il élimine aussi les mots psychologiques et humanistes. Il utilise beaucoup les verbes actifs, violents. Cette langue, il la fait aussi entrer en rapport avec notre Histoire (dans Eden, Eden, Eden, la guerre d’Algérie se trouve mise en scène avec la violence qu’elle a entraînée : racisme, sexualité refoulée, homosexualité réprimée, impérialisme, etc.) Cette langue enfin, dans la mesure où elle puise comme un derrick dans l’inconscient, est forcément très sexualisée. Mais cette sexualité est différente de l’érotisme, mode qui a envahi même les drugstores. Pierre Guyotat aussi est à la mode, dans ces drugstores. Mais l’Histoire retiendra davantage de lui.
► Bibliographie
Ashby, 1964, Le Seuil ; Tombeau pour 500.000 soldats, 1967, Gallimard ; Eden, Eden, Eden, 1971, Gallimard, (préfacé par Michel Leiris, Roland Barthes et Philippe Sollers. Livre interdit aux jeunes et à l'affichage ; Littérature interdite, 1972, Gallimard, (livre sur la censure de Eden, Eden, Eden ; Prostitution, 1975, Gallimard ; Revues « L'autre main branle », (Lunapark 2, Graphies, Transédition) ; « La découverte de la logique », (Cachiers du chemin n° 29, Gallimard et Cassette 33 longue durée, (Minuit, n° 23, Ed. de Minuit).
Romancier, né à Bourg-Argental, Loire. Soldat en Grande Kabylie à vingt ans, il tirera de cette expérience, qui l’a marqué pour la vie, son roman Tombeau pour 500000 soldats (1967). Le livre (un chef-d’œuvre) surprend d’abord le public par son thème, bien sûr, par le récit proprement dit, tandis que l’écriture, malgré son rythme infiniment travaillé (et varié), ne passe encore, à ce stade, qu’au second plan ; et pour les critiques eux-mêmes. Il en sera bien autrement avec Éden, Éden, Éden (1970), où le scandale du décor, des scènes décrites, et, surtout, du verbe haletant, ordu-rier, va faire oublier la valeur véritable du livre : son jeu de rythme (plus « étudié » encore que dans l’œuvre précédente) et surtout la revendication sourde qui gronde à chaque ligne. Il sera « interdit à la vente aux mineurs et à l’affichage ». Lors du procès qui va suivre, Guyotat sera soutenu par Jérôme Lindon, par Claude Simon, etc. Une pétition sera signée pour que soit levée l’interdiction (ce qui ne sera chose faite que le 30 décembre 1981). L’œuvre « maudite » sera rééditée avec trois postfaces vengeresses, dont nous retiendrons ces deux déclarations. De Michel Leiris : « N’est-ce pas, justement, par son absolu défaut de concessions [...] qu’un tel ouvrage fait tache sur la quasi-totalité de la production d’aujourd’hui? » De Philippe Sollers : « Éden, Éden, Éden : rien de tel n’a été risqué depuis Sade [...]. Dès la première page d’Éden, Éden, Éden, voici ce théâtre inouï : “silex, épines, sueur, huile, orge, blé, cervelle, fleurs, épis, sang, salive, excréments’’. » Des œuvres qui suivirent « l’affaire », il faut d’abord citer Littérature interdite : une série d’entretiens que complètent diverses pièces du dossier relatif au procès. Puis (la même année 1984), Vivre, souvenir des années douloureuses (paru dans la collection « L’Infini »), et surtout Le Livre, composé en fait de 1977 à 1979 : expérience limite (à ce jour, du moins) d’un ouvrage constitué uniquement de sons. Et non pas « inarticulés », comme on l’a trop dit, puisque Pierre Guyotat a pu en lire des passages assez longs à la télévision (dans l’émission de Bernard Pivot « Apostrophes »). Or, tout est question, sans aucun doute, de diseur (de parleur plutôt) dans cette formule entièrement neuve, en définitive, d’« écriture orale ». On peut signaler pourtant que l’auteur, de livre en livre, se prive volontairement de tous ses moyens d’accès au public. Mais il est, de toute façon, bien trop tôt pour parler, en connaissance de cause, des ouvrages d’un écrivain qui n’a cessé depuis quelque vingt-cinq années d’élever (sur un thème, sur une matière, qui reste toujours identique pourtant, et c’est très bien ainsi) sa manière ; et sa voix.