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péroraison

La péroraison est l’une des cinq parties canoniques du discours : c’en est le couronnement. C’est dire l’importance de ce moment ultime, qui est le dernier feu de l’orateur, et doit de ce fait produire l’impression décisive pour emporter la conviction des auditeurs. Pour cette conclusion, on indique traditionnellement qu’il y en a de deux sortes : l’une consiste en choses, l’autre en sentiments.

Pour la première manière, ce n’est qu’une anacéphaléose. Encore convient-il de la bien modérer. Son usage est de rafraîchir la mémoire des juges, de leur mettre en même temps toute la preuve devant les yeux, et de faire valoir en gros plusieurs preuves, qui, en détail et séparées les unes des autres, n’avaient fait qu’un effet médiocre. Cette répétition doit être courte : si l’orateur s’y arrête trop, ce ne sera plus une énumération, mais un second discours. Les choses qui se répéteront doivent se dire avec poids. Il faut les ranimer par des sentences convenant au sujet; et en varier le tour par le moyen des figures.

On peut faire semblant de se demander si l’on n’a rien oublié ; on peut aussi partir d’un point du plaidoyer adverse ; le plus efficace reste de se remémorer, pour soi-même, l’ensemble de l’affaire, pour en distinguer les éléments saillants, dans un sens ou dans un autre.

On en vient alors à la seconde manière de péroraison : celle qui consiste en sentiments, ce qui veut dire en réalité celle qui s’appuie sur les passions. De fait, toute péroraison s’appuie, ou doit s’appuyer sur les passions, et on ne saurait en concevoir une qui se contenterait exclusivement d’un rappel factuel, lequel serait, en tout état de cause, créateur d’impressions. C’est donc l’aspect pathétique qui est le plus important. À l’accusateur d’irriter les juges, à celui qui défend de les fléchir : l’accusateur émeut la pitié en déplorant le malheur des personnes dont il poursuit la vengeance; et l’accusé excite la colère et l’indignation des juges, en se plaignant avec véhémence de la persécution de ses ennemis. Celui qui parle doit prendre garde à bien séparer les positions respectives, pour exciter judicieusement les passions qui soutiennent son intérêt. Pour la crainte et l’horreur, que l’on a souvent à mettre en jeu, de même, symétriquement, que pour la commisération, il faut avoir recours à tous les moyens de l’emphase, de l’amplification, ou de l’exténuation. Toutes les circonstances les plus singulières, les plus piquantes seront rappelées ; on suscitera par exemple, pour toucher violemment l’esprit des auditeurs, l’idée qu’ils sont eux-mêmes témoins, ou victimes, d’une horreur affreuse. Il est aussi nécessaire de prévenir contre l’impression de l’adversaire. La prosopopée semble une des figures les plus aptes à ébranler les passions des juges, dans cet ultime mouvement. Enfin, on n’oubliera pas d’animer spécialement l’action.

Certains rhétoriciens préconisent de soutenir tous ces moyens par le recours à divers stratagèmes de mise en scène, destinés à frapper plus spectaculairement les auditeurs : il paraît cependant prudent d’être très circonspect dans cette attitude ; on y risque un manque de convenance, et aussi, ce qui peut être pire quant au résultat, du ridicule. Quintilien décrit assez poétiquement l’enjeu et la portée de la péroraison :

L’orateur doit se réserver principalement pour la fin. Car c’est là ou jamais qu’il est permis d’ouvrir tous les trésors de l’éloquence. Tous les écueils, tous les détroits sont passés. Rien ne nous empêche plus de voguer, pour ainsi dire, à pleines voiles. Et comme l’amplification fait une bonne partie de la péroraison, nous pouvons alors élever et embellir notre style, en employant les termes et les pensées les plus magnifiques. Enfin, il doit en être d'un plaidoyer comme des tragédies et des comédies des anciens, où le spectateur ne se trouvait jamais plus intéressé, plus ému, que lorsque la pièce allait finir.

Plutôt que faire de nouveau remarquer les traits qui récapitulent ici les moyens et les visées de l’art oratoire, on insistera sur la très forte et très profonde évocation par Quintilien concluant sur la péroraison, de l’affinité pragmatique entre le rhétorique et le littéraire, montrant bien ainsi, par un mouvement doublement mimétique, le chemin du technique vers l’artistique.

=> Éloquence, oratoire, orateur; toucher; partie, exorde, action; preuve; convenant, élevé, véhément, niveau, style ; figure, anacépha-léose, récapitulation, emphase, amplification, exténuation, prosopopée, sentence, pensée, répétition; passions.