Zola, GERMINAL, Première partie, chapitre 1 : l'arrivée d'Étienne.
Publié le 19/12/2021
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Zola, GERMINAL, Première partie, chapitre 1 : l'arrivée
d'Étienne .
Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d'une
obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul la
grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé
coupant tout droit, à travers les champs de betteraves.
Devant lui,
il ne voyait même pas le sol noir, et il n'avait la sensation de
l'immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des
rafales larges comme sur une mer, glacées d'avoir balayé des lieues de marais et de terres
nues.
Aucune ombre d'arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d'une
jetée, au milieu de l'embrun aveuglant des ténèbres.
L'homme était parti de Marchiennes vers deux heures.
Il marchait d'un pas
allongé, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours.
Un petit
paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup; et il le serrait contre ses
flancs, tantôt d'un coude, tantôt de l'autre, pour glisser au fond de ses poches les deux
mains à la fois, des mains gourdes que les lanières du vent d'est faisaient saigner.
Une
seule idée occupait sa tête vide d'ouvrier sans travail et sans gîte, l'espoir que le froid
serait moins vif après le lever du jour.
Depuis une heure, il avançait ainsi, lorsque sur la
gauche à deux kilomètres de Montsou, il aperçut des feux rouges, trois brasiers brûlant au
plein air, et comme suspendus.
D'abord, il hésita, pris de crainte; puis, il ne put résister
au besoin douloureux de se chauffer un instant les mains.
Un chemin creux s'enfonçait.
Tout disparut.
L'homme avait à droite une
palissade, quelque mur de grosses planches fermant une voie ferrée; tandis qu'un talus
d'herbe s'élevait à gauche, surmonté de pignons confus, d'une vision de village aux toitures
basses et uniformes.
Il fit environ deux cents pas.
Brusquement, à un coude du chemin, les feux
reparurent près de lui, sans qu'il comprît davantage comment ils brûlaient si haut dans le
ciel mort, pareils à des lunes fumeuses.
Mais, au ras du sol, un autre spectacle venait de
l'arrêter.
C'était une masse lourde, un tas écrasé de constructions, d'où se dressait la
silhouette d'une cheminée d'usine; de rares lueurs sortaient des fenêtres encrassées, cinq
ou six lanternes tristes étaient pendues dehors, à des charpentes dont les bois noircis
alignaient vaguement des profils de tréteaux gigantesques; et, de cette apparition
fantastique, noyée de nuit et de fumée, une seule voix montait, la respiration grosse et
longue d'un échappement de vapeur, qu'on ne voyait point.
Incipit très célèbre : celui de Germinal.
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