Xénophon - IIIe siècle D'Éphèse.

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XÉNOPHON. Xénophon est né à Erchia, petit village du nord-est d’Athènes, dans les premières années de la guerre du Péloponnèse, peut-être en 426 av. J.-C., un ou deux ans après Platon. Sa mère s’appelait Diodora; et son père, Gryllos, devait être de condition aisée — appartenant sans doute à la classe des cavaliers — puisqu’il offrit à son fils l’enseignement onéreux de quelques sophistes, et peut-être d’Isocrate lui-même, son aîné de dix ans, qui devint son ami. Mais le jeune Athénien, exceptionnellement doué, subit moins leur influence, et moins aussi l’influence de son père, que celle de Socrate. Il a pu le fréquenter à partir de 408 environ lorsqu’il eut dix-huit ans, jusqu’au printemps de 401, date de son départ pour l’Asie. Sans doute la guerre contre Sparte, la chute d’Athènes en 404, la guerre civile ne lui permirent-elles pas de vivre au jour le jour dans l’entourage de Socrate, mais le jeune homme a suivi son sillage, vécu dans un climat socratique et reçu pour la vie entière l’empreinte d’un maître sans égal. Il dut être mobilisé dès l’âge où l’on accomplissait le service militaire, pour prendre part au conflit mondial du temps, pendant les dernières années de la guerre du Péloponnèse (406-404). Il n’est pas impossible qu’il ait fait ses premières armes à la bataille navale des Arginuses, face à Lesbos, une victoire sans lendemain, dont les tristes suites civiles l’ont douloureusement frappé. Non sans souffrir encore, il vit l’entree de l’ennemi vainqueur, le Spartiate Lysandre, dans les eaux du Pirée, et la démolition des murs d’Athènes rythmée par les joueuses de flûtes. De gré ou de force, il fut ensuite acteur de la guerre civile, dans les rangs des cavaliers des Trente. Il réprouva sûrement les abus des maîtres provisoires d’Athènes, et sans être un partisan convaincu de Théramène, il dut déplorer sa condamnation à mort. La victoire de Thrasybule et la restauration démocratique rendaient l’air d’Athènes peu respirable à cet ancien cavalier des Trente. Il peut avoir eu le temps, cependant, d’obéir à ses goûts littéraires d’historien. Incité par l’exemple et peut-être à la demande de Thucydide revenu d’exil en 404, il se peut que ce soit alors qu’il entreprenne de terminer l’œuvre inachevée de son illustre devancier, et qu’il rédige les deux premiers livres de ses Helléniques (sauf les lignes finales), en dépassant un peu le terme que s’était fixé Thucydide puisqu’il inclut la guerre civile dans un récit poussé jusqu’à 1 année 403. Mais il ne manque pas l’occasion qui s’offre à lui d’aller faire de l’histoire active. Cyrus le jeune, allié de Sparte, rassemblait en effet des mercenaires grecs pour diriger contre son frère Artaxerxès une expédition destinée à lui remettre l’empire perse. Grâce à l’entremise du Béotien Proxène déjà au service du jeune prince, Xénophon se laissa séduire par l’espoir de faire fortune en Orient, d’autant plus volontiers qu’il se sentait et se savait politiquement menacé dans sa patrie; il fut d’emblée conquis par le Perse enthousiaste et imprudent qui lançait dix mille Grecs dans une équipée déraisonnable. Tout le monde connaît le vivant récit de l'Anabase, qui nous permet de suivre pas à pas les traces de Xénophon de mars 401 à mars 399, les deux seules années de sa vie que nous connaissions bien, trop bien même peut-être, car il ne résiste pas toujours au plaisir d’embellir son rôle. Débarqué à Ephèse, devant le sanctuaire d’Artémis, il rejoint l’armée de Cyrus à Sardes sur la rive droite du Pactole. Le début de la campagne est une partie de plaisir, en des paysages exotiques charmants pour l’imagination des Grecs; mais en septembre 401 la bataille de Cunaxa, un peu au nord de Babylone, entre le Tigre et l’Euphrate, devait ruiner un rêve et beaucoup d’illusions. Cyrus était tué, son armée barbare vaincue; cependant si les dix mille mercenaires grecs pouvaient se dire officiellement vainqueurs, a-t-on le droit de parler de victoire quand on est à la merci des satrapes du Roi, loin de la Grèce, au cœur de contrées inconnues ? Ce fut bien pis quand cinq chefs des Grecs, Proxène inclus, furent tombés dans le guet-apens lâchement tendu par le fourbe Tissapherne. Xénophon se révèle alors, et, s’il ne devient pas d’un coup le commandant des dix mille, on ne peut douter qu’il ait entrepris de relever les courages abattus ni qu’il ait exercé une influence croissante dans les opérations de la retraite. La course à la mer fut dure et dangereuse jusqu’au Pont-Euxin, salué à grands cris comme le symbole de la délivrance. Mais la discipline, maintenue jusque-là tant bien que mal par le péril même, se relâcha dès lors au point de compromettre le retour, et Xénophon fut tenté d’abandonner le gros des Grecs pour fonder une colonie sur les bords de la mer Noire : il en serait le débonnaire fondateur et se verrait à la tête d’une république militaire, hiérarchisée selon les lois d’une discipline idéale, librement consentie. Projet trop beau pour réussir. Xénophon fut entraîné par les dix mille à Byzance, ancienne colonie d’Athènes, alors gouvernée par les représentants de Sparte en mission, qui oscillaient entre la crainte de la horde arrivante et le souhait de mettre au service de Sparte une troupe aguerrie. Après quelques mois d’une campagne d’hiver en Thrace, décevante par les fautes et les tromperies du roitelet Seuthès, Xénophon fut bien obligé de prendre une décision longtemps ajournée, et il remit les anciens de Cyrus, les derniers des dix mille, entre les mains du stratège Spartiate Thibron, à Pergame, en mars 399. Il le fit sûrement à contrecœur, sachant que ce geste serait critiqué, mais put se consoler à l’idée que les institutions de Sparte, sinon tous ses hommes, méritaient l’admiration. Au même instant, Socrate buvait la ciguë. Est-il surprenant que les Athéniens, dans leur passion populaire contre le prince des philosophes, se soient souvenus de Xénophon quand les nouvelles des aventures des dix mille, et de leur terme surprenant, venaient à leurs oreilles ? L’ancien cavalier des Trente, disciple d’un condamné à mort, accusé de servir Sparte et d’avoir servi en Cyrus un ennemi d’Athènes, fut frappé par contumace, d’une sentence d’exil (399). Athènes, en lui fermant ses portes, le jetait pour longtemps dans les bras de Sparte. Il fut reçu d’abord dans ceux de Philésia dont, cette même année sans doute, il fit en Asie sa femme, et qui devait bientôt, vers 398-397, lui donner deux fils, Gryllos, puis Diodore. Nous ne savons rien sur cette épouse discrète, mais le lieu du mariage et du séjour du jeune ménage, probablement dans la région de Dardanos, au bord de la grande voie de passage de l’Hellespont (Dardanelles), donne à penser qu’elle n’était ni athénienne ni nécessairement bien née. Exilé, jeune marié, coupé de sa fortune d’Athènes, animé d’un besoin de revanche sur le Roi et ses satrapes, Xénophon prit part, en Ionie, à la guerre fragmentaire et fructueuse de Sparte contre les Perses; il aimait l’aventure et avait besoin d’elle pour subvenir aux besoins de son foyer. De 399 à 397, il se trouva successivement sous les ordres de Thibron et de Dercylidas, et resta quelque temps lui-même à la tête de ce qui restait des anciens de Cyrus. Puis, jusqu’en 394, le roi de Sparte Agésilas étant chargé de la guerre, il fit campagne auprès de lui, et devint probablement son ami et certainement son admirateur; s’il fit bénéficier le chef d’hoplites de son expérience de cavalier, il ne fut pas de toutes les batailles, comme en témoignent les lacunes du récit des Helléniques, à partir du livre III. Cependant, en 395, la première rupture depuis la paix de 404 entre Athènes et Sparte obligea cette dernière à rappeler Agésilas et ses soldats. L’ordre des éphores, coupant tous les espoirs asiatiques, parvint au roi en Mysie, quand Xénophon se trouvait auprès de lui (printemps 394). L’exilé pouvait-il choisir ? Abandonnant par force les grands rêves de Pactole et de colonie, laissant sa famille derrière lui, il suivit Agésilas; et tandis que l’amiral athénien Conon prenait contre Sparte à Cnide la revanche d’Aigos Potamoi, lui se battait à Coronée, en Béotie, dans les rangs lacédémoniens, contre les soldats d’Athènes. La rupture est consommée. Xénophon a bien mérité de Sparte. Il est admis dans la cité la plus xénophobe du monde grec. Dès que la chose est possible, il y fait venir, avec sa femme, ses deux fils, destinés à recevoir, dès l’âge de six ans, les rudes bienfaits de l’éducation Spartiate. Mais lorsque, en 388, à l’occasion d’un voyage aux Jeux olympiques, le prêtre d’Artémis, auquel il avait confié ses parts de butin avant de quitter l’Asie six ans plus tôt, lui remit fidèlement son argent, il put arrondir le domaine que les Spartiates lui avaient donné le droit d’occuper à Scillonte en Triphylie, à quatre kilomètres au sud d'Olympie (près du bourg moderne de Crestena); peut-être furent-ils moins généreux qu’ils n’en avaient l’air, car de fait la Triphylie, prise aux Eléens, n’était lacédémonienne que par le droit de la force : il est facile de donner ce qui appartient à d’autres. Ayant passé à Sparte cinq ou six années entrecoupées de quelques nouvelles campagnes, cette fois en Grèce, avec Agésilas, Xénophon se retira dans ses terres, où il allait vivre plus de quinze ans, citadin et soldat devenu rural. Il y eut sûrement des heures longues, à Scillonte, pour un homme entreprenant, actif, ami de l’aventure. Mais la Triphylie est un pays riche, riant, fertile, giboyeux. La proximité de la côte permet d’assister au passage des navires cinglant vers l’ouest, qui font escale près de l’embouchure de l’Alphée. Elis est proche, avec son école philosophique fondée par Phédon après la mort de Socrate. Tous les quatre ans, la foule des pèlerins, accourue des quatre coins du monde grec, afflue autour du sanctuaire et du stade d’Olympie, et les lettrés se pressent aux conférences des sophistes, au milieu du paysage le plus souriant de la terre. Xénophon, proxène de Sparte, organise des fêtes et des chasses, reçoit les personnages officiels de Lacédémone, et sans doute aussi des amis, parmi ceux qu’il a conservés notamment dans les milieux socratiques athéniens. Retiré de la vie militaire, il s’abandonne aux joies familiales, aux plaisirs de la campagne, donne à sa femme des leçons d’économie domestique, forme ses esclaves, et principalement ses fils, pour lesquels il rêve la carrière qu’il n’a pu lui-même mener à sa fin. Il leur enseigne l’art de la chasse, qui fait partie de l’éducation de la jeunesse; pour leur former le corps et le caractère, il leur apprend à monter à cheval. Toujours fidèle à la mémoire de Socrate et bon humaniste, il est aussi leur maître en matière morale, historique et littéraire. Car il a reçu des dieux les dons les plus divers. Et après avoir réparé certaines offenses qu’il a pu commettre envers eux, consacré pieusement un petit sanctuaire à la déesse Artémis, il emploie ses loisirs à répondre à sa vocation littéraire. Et tout en se livrant lui-même aux utiles distractions de la chasse, de la pêche, du cheval et de l’hospitalité, il se crée, chose rare dans la Grèce du temps, une bibliothèque; il prend volontiers la plume, pas très longtemps de suite, pour écrire des livres d’histoire, des mémoires, des traités techniques. C’est du temps de Sparte et surtout de Scillonte qu’il faut dater successivement l'Art de la chasse — v. Cynégétique (391-390 ?), — la République des Lacédémoniens sauf l’épilogue (387), l'Anabase (la première partie vers 387 et la seconde vers 377), l'Apologie de Socrate (385-382), la première moitié des Mémorables et de l'Economique (vers 381), l'Art équestre — v. De l’équitation — sauf le dernier chapitre (vers 380), et deux livres et demi d'Helléniques, le nouvel ensemble qui va du début du livre III au chapitre III du livre V (379-378). On mesure par cette simple liste la diversité de ses connaissances et l’étendue de son information. Il est plus important toutefois de se rendre compte qu’aucun de ces ouvrages ne fut immédiatement complet ni définitif. Usant une fois par prudence d’un pseudonyme, dans le cas de l'Anabase, il écrivait en général pour sa femme, ses fils, pour ses amis, pour Agésilas et son entourage, ou pour la satisfaction de sa conscience quand il avait à répondre à des attaques sur son passé. Ses livres d’alors, si l’on peut appeler ainsi des groupes de chapitres encore mouvants, susceptibles de s’agglomérer autrement sous des titres différents, ne peuvent dépasser de beaucoup le cercle assez fermé de ses intimes. Comme il ne « publie » pas à proprement parler ses œuvres, leurs objets demeurent limités autour de lui; il lui est refusé d’atteindre le grand public d’Athènes, de développer une propagande nationale ou de décocher contre Platon, le disciple rival, des traits capables d’atteindre sûrement leur cible. Peut-être a-t-il moins de chances encore de se faire lire à Sparte où le mouvement intellectuel est plutôt ralenti. Aussi garde-t-il en réserve tous ses écrits, avec la pieuse pensée que les dieux lui permettront un jour de leur donner une forme définitive, et de trouver la large audience que son talent mérite. On doit donc se garder d’assigner à des livres qui se chevauchent, et s’échelonnent quelquefois sur de longues années, une date unique de composition. La grande œuvre des Helléniques offre à cet égard l’exemple le plus typique : si les deux premiers livres ont été rédigés dans Athènes en 402 avant le départ de Xénophon pour l’Asie, elle ne s’achèvera selon toute vraisemblance (au livre VII) qu’en 356, ainsi répartie sur quarante-six années de la vie de son auteur. On peut même dire qu’il n’y a guère d’œuvre de Xénophon qui ne porte la marque de préoccupations successives et différentes. Les derniers temps du séjour à Scillonte furent assombris par une inquiétude politique grandissante (a partir de 377). La tension aggravée entre les éphores et Agésilas faisait pâlir l’étoile du roi de Sparte, son protecteur. Il commençait de plus à douter fortement de l’habileté, de la légitimité même de la politique étrangère lacédémonienne, assez étroitement égoïste pour discréditer Sparte devant les Grecs, au moment précis où un renouveau des appétits impérialistes de la démocratie athénienne conduisait à regarder d’un œil méfiant ou jaloux l’exilé installé loin des tourmentes dans le bien-être de son domaine péloponnésien; il devenait victime désignée des a-coups dans les rapports entre les deux cités qui se disputaient depuis toujours l’hégémonie sur le monde hellénique. Il avait besoin de Sparte pour vivre, mais il regardait avec plus d’insistance et d’espoir du côté d’Athenes, la vraie patrie pour lui comme pour ses fils qui ne l’avaient jamais vue. La paix grecque qui porte le nom de son ami le riche Athénien Callias (371) n’apporta qu’un soulagement provisoire a ses inquiétudes. Car Thèbes, la cité haïe entre toutes, s’exclut immédiatement du traité, et le général béotien Épaminondas remportait la victoire de Leuctres aux dépens des hoplites lacédémoniens. Cette bataille, en accentuant le péril thébain, eut pour effet de resserrer l’entente entre Athènes et Sparte, et à cet égard elle servait les intérêts de Xénophon. Mais elle eut une autre conséquence, en déchaînant l’audace des Eléens qui reprirent, les armes à la main, leur ancienne possession de Scillonte, où le séjour devenait impossible. Avenir sombre pour un exilé approchant de la soixantaine qui, après avoir respiré plus de vingt ans un air laconien, sentait le terrain fuir du côté de Sparte. Pendant cinq ans environ (370-366 inclus), il trouva un refuge provisoire à Corinthe, symbole de son espoir en direction d’Athènes, et si nous ne savons pratiquement rien de sa vie dans la région de l’isthme, on peut croire au moins qu’il y écrivit un chapitre des Helléniques (V, 4), et coiffa la République des Lacédémoniens d’un épilogue sévère pour Sparte à laquelle il tournait le dos. En 367 selon toute vraisemblance, et sur la proposition d’Eubule, l’Athénien qui allait prendre la direction d’une politique pacifiste à laquelle Xénophon devait se rallier, le décret d’exil qui l'avait frappé trente-trois ans plus tôt fut rapporté. Prenant une décision enfin facile en une heure où Athènes entretenait de bons rapports avec Sparte, il rentre certainement dans une patrie qui, épuisée par de longues guerres, ne peut faire grise mine à un citoyen d’élite, aux compétences diverses, accompagné par surcroît de deux cavaliers dans la force de l’âge, prêts à combattre, formés à bonne école auprès de leur père. Si le patriotisme de Xénophon coïncide avec son intérêt d’alors, il n’y a pas lieu pourtant d’en suspecter la sincérité : il rentre librement et franchement dans sa patrie, sans amertume, avec la conviction qu’il lui reste encore un rôle national à jouer. Après avoir manifesté son allégresse dans le charmant petit dialogue du Banquet (entre 365 et 362 ?), consacré à la mémoire de Socrate, il est frappé dans ses affections les plus chères par la mort de son fils Gryllos, tué dans un engagement de cavalerie quelques jours avant la Bataille de Mantinée (362). 11 rachetait par le sacrifice d’un enfant sa propre faute de Coronée, et l’on en fut très conscient dans Athènes puisque l’on y composa de nombreux « éloges » de Gryllos; il sut d’ailleurs souligner discrètement la chose quelques années plus tard en arrêtant à Mantinée le récit des Helléniques. Reprenant courageusement sa tâche, politique et littéraire à la fois, il terminait alors et publiait le traité-dialogue de l'Economique (fin 362-début 361 ?), destiné à soutenir une propagande de retour à la terre au moment où Athènes voyait chanceler son empire et commençait à comprendre qu’elle ne pouvait désormais compter que sur ses propres ressources. Puis, de même qu’il avait voulu en remontrer à Platon, dans son petit Banquet ou Symposium, il entreprend encore de s’opposer à la République de son rival dans la longue Cyropédie, commencée sans doute après 365 et terminée avant 358 mais après la campagne d’Agésilas en Egypte et la mort de son ami le roi de Sparte (360). Il s’efforce de construire là une cité idéale dont le chef, un vrai pasteur d’hommes, doit mériter l’amour et l’admiration de ses subordonnés; il existe un art de commander, comme un art de former le souverain. Le Hiéron (358-357) reprend et précise quelques-unes des idées politiques de la Cyropédie : le chef ne peut trouver son propre bonheur que dans celui de ses sujets. Xénophon, malgré son âge, considère que sa mission n’est pas achevée. Maintenant jusqu’au bout son étonnante activité littéraire, il saisit toutes les occasions que lui fournit la situation internationale pour dire son mot sur les problèmes de l’heure. Il écrit un traité sur le « Commandant de cavalerie » ou Hipparque (357 ?), donne une fin à l'Art équestre sur un problème d’armement et termine enfin sa grande œuvre des Helléniques (356); il soude leur dernière partie au groupe. des deux premiers livres et met l'accent, pour conclure, sur l’éternelle discorde entre les cités grecques; converti aux idées d’Isocrate, il estime que l’hellénisme n’a quelque chance de durer que si Sparte et Athènes ont enfin la sagesse de se partager l’hégémonie. C’est toujours l’actualité politique athénienne et ses rapports avec les problèmes étrangers qui l’amènent à composer ses derniers livres. Par l’Agésilas (355 ?), tout en fondant le genre de la biographie, il ajoute un portrait un peu arrangé de la galerie de ses grands hommes, en accentuant le sens hostile à la Perse. Dans les Revenus (355-354), il aborde, lui qui n’est jamais resté insensible aux questions d’argent, les problèmes financiers et, apportant sa contribution à l’œuvre d’Eubule, conseille l’intégration d’Athènes dans un ordre international nouveau. Lutteur et optimiste jusqu’au bout et quelquefois prophète, au cours de l’hiver 355-354, il livre enfin son testament politique en ajoutant aux deux premiers, déjà vieux, les deux derniers livres des Mémorables qui prennent ainsi leur forme définitive; dans cette œuvre suprême, sans dénaturer la pensée d’un maître dont il reste un des plus fidèles témoins sans jamais avoir entrepris de la restituer intégralement, il a tendance, avec l’autorité que lui donne son âge, à se servir de Socrate pour en faire le porte-parole de ses propres idées; mais il reste ainsi dans le sillage du philosophe pour traiter des problèmes pédagogiques, militaires, politiques de l’Athènes contemporaine. Par là il achève la mise en œuvre d’écrits destinés d’abord à d’autres objets, et dont Socrate est en fin de compte chargé de constituer le lien, qui fait la gerbe. La mort peut alors saisir Xénophon (354 ?); elle ne le surprend pas. Il peut quitter une vie qu’il a aimée, même dans le danger, sous toutes ses formes, avec la satisfaction d’avoir racheté ses erreurs, mené son œuvre à son terme et, sans perdre de vue la notion de l’utile, travaillé jusqu’à son dernier souffle dans les domaines de l’action et de la pensée.