William Faulkner
Publié le 09/12/2021
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Il y avait dans les manières aristocratiques de William Faulkner, dans son "sudisme" intransigeant, son mépris de la littérature ("Je ne suis qu'un fermier", disait-il), une pose qui nous donne peut-être l'une des clefs de l'homme et de son œuvre. En inventant les généalogies prestigieuses des familles de planteurs, qui sont comme les grands feudataires de son royaume : les Sartoris, les Compson, les de Spain, Faulkner obéissait sans doute à un besoin de compensation. Sa famille, venue tard dans le pays, ne pouvait s'enorgueillir d'une origine aussi noble. Il y avait du Sutpen, l'aventurier d'Absalon, Absalon, surgi à cheval on ne sait d'où, dans le fameux colonel Faulkner, aïeul de l'écrivain. Il n'est pas non plus impossible que Faulkner ait songé aux siens en créant la tribu des Snopes. On sera étonné quand on saura la part d'autobiographie que contient cette œuvre. Faulkner était Popeye, comme il était Bayard Sartoris et Quentin Compson. La source de ses obsessions, on la trouvera dans des secrets de sa jeunesse, ses rapports avec son père, et, dans une certaine mesure, sa petite taille qui frappait dans un pays où les hommes sont, en moyenne, plus grands qu'en Europe. Sans doute, l'œuvre ne sera pas expliquée par des détails biographiques et des anecdotes, mais je ne suis pas certain qu'elle puisse l'être entièrement sans eux.
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William Faulkner
Il y avait dans les manières aristocratiques de William Faulkner, dans son "sudisme" intransigeant, son mépris de la littérature ("Je nesuis qu'un fermier", disait-il), une pose qui nous donne peut-être l'une des clefs de l'homme et de son oeuvre.
En inventant lesgénéalogies prestigieuses des familles de planteurs, qui sont comme les grands feudataires de son royaume : les Sartoris, lesCompson, les de Spain, Faulkner obéissait sans doute à un besoin de compensation.
Sa famille, venue tard dans le pays, ne pouvaits'enorgueillir d'une origine aussi noble.
Il y avait du Sutpen, l'aventurier d'Absalon, Absalon, surgi à cheval on ne sait d'où, dans lefameux colonel Faulkner, aïeul de l'écrivain.
Il n'est pas non plus impossible que Faulkner ait songé aux siens en créant la tribu desSnopes.
On sera étonné quand on saura la part d'autobiographie que contient cette oeuvre.
Faulkner était Popeye, comme il étaitBayard Sartoris et Quentin Compson.
La source de ses obsessions, on la trouvera dans des secrets de sa jeunesse, ses rapports avecson père, et, dans une certaine mesure, sa petite taille qui frappait dans un pays où les hommes sont, en moyenne, plus grands qu'enEurope.
Sans doute, l'oeuvre ne sera pas expliquée par des détails biographiques et des anecdotes, mais je ne suis pas certain qu'ellepuisse l'être entièrement sans eux.
La volonté de construire un monde romanesque clos avec sa population, sa géographie, son histoire, sa carte symbolique, Faulkner nel'a pas eue tout de suite.
Il n'est pas impossible que la publication de l'anthologie préparée par Malcolm Cowley, en 1946, ait aidé leromancier à mieux prendre conscience des liens qui existaient entre ses oeuvres.
Ce qui est sûr, c'est qu'à partir de cette date, tout cequ'il écrira la trilogie des Snopes notamment il le fera entrer, et parfois non sans arbitraire, dans le "Livre", terme dont il désigne lafresque romanesque centrée autour de la petite ville de Jefferson (Oxford) et du comté de Yoknapatawpa, dans l'État du Mississippi.
Ils'amusera à faire revenir des personnages de ses premiers livres ; il établira des liens de parenté ; écrira de longs textes, sortesd'introductions ou d'appendices historiques à des romans anciens, pour combler les vides, jeter des ponts.
Il a dû s'amuser beaucoup àraconter de nouveau l'histoire des Sartoris, dans la Ville.
Il y a dans ces ajouts, ces surcharges, ces reprises, quelque chose de forcé,je le répète.
L'essentiel de l'oeuvre n'est pas là, mais dans les grands romans et les nouvelles du début, écrits dans ce qu'on peutappeler la grande période des chefs-d'oeuvre qui se clôt en 1936 par Absalon, Absalon, clef de voûte de l'édifice.
De même, peut-onvoir une évolution du style, plus direct et plus simple, dans les nouvelles de These Thirteen et dans Sanctuaire (où l'influenced'Hemingway est sensible), et qui ira se compliquant jusqu'à se durcir dans ses maniérismes et ses tics, insupportables à toute unefraction de la critique anglo-saxonne (et qui sont imités servilement par certains romanciers européens de la nouvelle école).
On peut dire que tous les personnages, comme les titres des oeuvres, jouent leur rôle dans une seule allégorie qui, à l'exemple de cellede la Bible qui raconte l'histoire d'Israël, raconte l'histoire du Sud.
Il y a le livre des Sutpen et le livre des C ompson, comme il y a lelivre de Job et le livre des Macchabées.
Et comme l'histoire du peuple élu, l'histoire du Sud s'explique par la fatalité d'une fauteoriginelle et l'attente d'un Messie.
Cette faute est double : c'est la spoliation de la terre dont les premiers pionniers, arrivés au XVIIesiècle, se sont rendus coupables vis-à-vis des Indiens, et l'importation des esclaves, rendue nécessaire par l'exploitation de la terre.L'un des personnages de l'oeuvre, le vieil Ike McCaslin, renonce à son héritage parce qu'il refuse de posséder une seule parcelle d'unsol maudit.
Le péché de l'esclavage en a entraîné un autre, particulièrement horrible à la conscience puritaine : le péché de la chair.Les planteurs ont pris des maîtresses parmi leurs esclaves noires, ils ont ainsi une postérité de couleur, parallèle à leur postéritéblanche, et qui souvent porte le nom de l'ancêtre commun.
Les relations les plus complexes, les plus dramatiques existent entre lespostérités issues d'un même sang, mais séparées par toute l'étendue du préjugé racial.
Pour Faulkner, c'est le mulâtre qui est le personnage maudit, car il est rejeté par les deux communautés et porte en lui la tareancestrale.
Je serais porté à voir dans cette idée une résurgence de la vieille croyance puritaine dans un "signe visible" de laprédestination.
De même que la fortune, le succès, devenaient des signes non équivoques du salut accompli "hic et nunc", la damnationdevait être apparente dès cette terre : l'idée de la lettre rouge infamante que porte Hester, l'héroïne de Hawthorne, en découlenaturellement.
Le mal, c'est la puissance des ténèbres, ce que Melville appelle "the power of blackness", et il est vrai que le noir, lacouleur noire, symbole du mal, a une signification ésotérique dans la littérature américaine (le noir, ou, par le jeu du masque, capitaldans la symbolique, son contraire le blanc, couleur de Moby Dick et du navire du Grand Escroc).
L'équipage composé de nègresrévoltés, dans Benito Cereno, représente le mal.
Pour les Blancs du Sud, pétris de calvinisme, le noir est le signe de la malédiction dela race de Cham, telle que la Bible la raconte.
S'il y a un "racisme" de Faulkner, comme on l'a prétendu, il est d'essence théologique.
Il faut d'ailleurs remarquer que les Blancs ne sont pas moins maudits que les Noirs : il est vrai qu'ils le sont pour les avoir asservis ets'être mélangés à eux.
Car l'esclavage portait en germe la guerre civile qui a abouti à la destruction de la civilisation du Sud et à laruine de ses habitants.
Cependant, par une conception qui n'est autre que l'idée chrétienne du rachat et de la réversibilité des mérites,Faulkner voit, dans ceux-là mêmes que poursuit la malédiction divine, les quelques justes qui, par leurs souffrances, rédiment le Sud,microcosme de l'humanité entière.
Parce qu'ils sont noirs, qu'ils ont souffert, enduré ("they endured" : par ces deux mots se résume lesort des Noirs au service de la famille Compson), c'est-à-dire parce qu'ils ont "duré", qu'ils ont vaincu le temps, ils sont des victimesoffertes pour apaiser le courroux du Dieu vengeur.
Ils ne sont pas les seuls.
Tous les "humiliés et offensés", tous ceux qui souffrent et expient leur font cortège.
Faulkner les a placés, auxquatre coins de son comté maudit, dans les lieux de solitude et d'expiation : vieilles demeures pleines d'âcres senteurs où des vieillardsvivent avec le cadavre de leur amour ou de leur ambition : Une rose pour Emily, le Château ; prisons où des criminels sont emmurésvivants : Palmiers Sauvages ; bordels : Sanctuaire ; ces lieux, temples de Mémoire, sont les monastères infamants d'une religion de lasouffrance et du souvenir.
La souffrance a besoin du Temps, dont les vieillards, les prisonniers et les Noirs sont à la fois les victimes etles vainqueurs.
Ainsi, comme l'oeuvre de Proust, celle de Faulkner est une grande mythologie du Temps ; elle pourrait porter enexergue ce vers tiré d'Un Rameau Vert, le recueil de poèmes de sa jeunesse :
La douleur et le temps sont des mers noires et dorées..
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