Voyage Lévi-Strauss: « Je hais les voyages et les explorateurs… »
Publié le 16/11/2021
Extrait du document
«
Proposition de corrigé : texte extrait de Tristes Tropiques, Cl.
Lévi-Strauss
« Je hais les voyages et les explorateurs… ».
L’incipit de Tristes Tropiques est resté
célèbre.
Il résume la défiance de l’ethnologue vis-à-vis des diverses formes de prédation
qui ont mis en danger son objet d’études, à savoir les cultures du monde.
Il est certain
que le voyage n’est pas une fin en soi pour l’ethnologue ; il n’est souvent qu’une somme
de contraintes dont ce dernier se dispenserait volontiers.
Néanmoins, au moment même où il affirme radicalement sa détestation, Lévi-Strauss
s’apprête précisément à faire… un récit de voyage.
Plutôt que de voir ici la manifestation
de l’inconséquence de l’auteur, nous préférons y voir l’expression d’une vision de son
métier qu’il est en voie d’abandonner.
Placer le métier d’ethnologue sous le signe des
voyages, c’est s’inscrire dans une filiation que toute l’activité ethnographique va
s’efforcer par ailleurs de démentir.
Le texte présente aux lecteurs une méditation un peu désenchantée sur cette expérience
exotique du travail ethnographique, méditation qui cependant permet d’ouvrir des
perspectives sur l’avenir.
L’auteur part d’un constat trivial, que pourrait partager même ceux qui ne font pas
profession d’ethnologue : qui ne rêverait pas de découvrir un site remarquable (Venise
au XVIIIème par exemple) avant l’invasion du tourisme de masse ?
La comparaison cependant s’arrête là.
La description de l’ethnologue en voyageur ne
peut que prêter à confusion.
Les « vrais voyages » dont parle Lévi-Strauss constituent
une sorte de mythe ou d’illusion dont il faut se déprendre.
Il est vrai que l’ethnologue ne peut que désespérer quand il songe au processus de
délabrement qui touche certaines sociétés ou certains aspects des sociétés.
S’intéressant
à des cultures orales ou à des pratiques où domine l’oralité, le matériau humain sur
lequel il travaille est très fragile.
Par définition, il n’y a pas d’archives.
Ce processus de
délabrement a pu être accentué par les aléas de l’histoire (colonisation).
Et l’ethnologue
ne peut éviter de songer aux époques au cours desquelles son travail aurait été
considérablement facilité par la profusion de données culturelles intactes : pour
l’ethnologue de la vie rurale, cette époque bénie serait celle d’avant l’arrivée dans les
campagnes de la vie et du confort modernes.
Pour l’américaniste ou l’africaniste, c’est
l’époque antérieure aux « grandes découvertes » et à la colonisation.
Et l’on ne peut
qu’envier ceux qui ont eu en leur temps l’opportunité de contempler un tel spectacle,
avant que son contenu ne soit largement dénaturé par les aléas de l’histoire.
L’ethnologue n’a d’ailleurs pas le privilège exclusif de ce regret qu’il partage avec
l’historien.
Quel médiéviste ne rêverait pas de séjourner dans sa période de
prédilection ? Mais l’historien peut toujours se consoler avec ces archives.
Qu’en est-il de
l’ethnologue ?
Sa position est d’autant plus désespérante que certains prédécesseurs ont eu bel et bien
l’occasion d’entrer en contact avec des cultures à un stade où elles se présentaient dans
leur authenticité intacte.
Ce que l’auteur nomme les « vrais voyages » sont précisément
ceux qui dépaysaient véritablement le voyageur en lui faisant rencontrer des populations
qu’il était le premier à rencontrer.
Cette expérience est définitivement rendue impossible
par la multiplication des échanges et des contacts.
La facilité avec laquelle nous
voyageons de nos jours n’a d’égal que l’insignifiance et la trivialité du contenu de nos
expériences..
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