Voltaire, Dictionnaire philosophique (1764), « Guerre »: On paye partout un certain nombre de harangueurs pour célébrer ces journées meurtrières
Publié le 19/12/2021
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Voltaire, Dictionnaire philosophique (1764), « Guerre » .
[…] On paye partout un certain nombre de harangueurs pour célébrer ces journées
meurtrières ; les uns sont vêtus d’un long justaucorps noir, chargé d’un manteau écourté
; les autres ont une chemise par-dessus une robe ; quelques-uns portent deux pendants
d’étoffe bigarrée par-dessus leur chemise.
Tous parlent longtemps ; ils citent ce qui s’est
fait jadis en Palestine, à propos d’un combat en Vetéravie.
Le reste de l’année ces gens-là déclament contre les vices.
Ils prouvent en trois points, et
par antithèse, que les dames qui étendent légèrement un peu de carmin sur leurs joues
fraîches seront l’objet éternel des vengeances éternelles de l’Éternel; que Polyeucte et
Athalie sont les ouvrages du démon; qu’un homme qui fait servir sur sa table pour deux
cents écus de marée un jour de carême, fait immanquablement son salut, et qu’un pauvre
homme qui mange pour deux sous et demi de mouton va pour jamais à tous les diables.
De cinq à six mille déclamations de cette espèce, il y en a trois ou quatre, tout au plus,
composées par un Gaulois nommé Massillon, qu’un honnête homme peut lire sans dégoût;
mais dans tous ces discours, à peine en trouverez-vous deux où l’orateur ose dire quelques
mots contre ce fléau ou ce crime de la guerre, qui contient tous les fléaux et tous les
crimes.
Les malheureux harangueurs parlent sans cesse contre l’amour, qui est la seule
consolation du genre humain, et la seule manière de le réparer; ils ne disent rien des
efforts abominables que nous faisons pour le détruire.
Vous avez fait un bien mauvais sermon sur l’impureté, ô Bourdaloue! mais aucun sur ces
meurtres variés en tant de façons, sur ces brigandages, sur cette rage universelle qui
désole le monde.
Tous les vices réunis de tous les âges et de tous les lieux n’égaleront
jamais les maux que produit une seule campagne.
Misérables médecins des âmes, vous criez pendant cinq quarts d’heure sur quelques
piqûres d’épingle, et vous ne dites rien sur la maladie qui nous déchire en mille morceaux!
Philosophes moralistes, brûlez tous vos livres.
Tant que le caprice de quelques hommes
fera loyalement égorger des milliers de nos frères, la partie du genre humain consacrée à
l’héroïsme sera ce qu’il y a de plus affreux dans la nature entière.
Que deviennent et que m’importent l’humanité, la bienfaisance, la modestie, la
tempérance, la douceur, la sagesse, la piété, tandis qu’une demi-livre de plomb tirée de
six cents pas me fracasse le corps, et que je meurs à vingt ans dans des tourments
inexprimables, au milieu de cinq ou six mille mourants, tandis que mes veux qui s’ouvrent.
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