Voltaire a écrit : « Les livres les plus utiles sont ceux dont les lecteurs font eux-mêmes la moitié. » Comment comprenez-vous cette formule ?
Publié le 09/12/2021
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II. LES DANGERS D'UNE TELLE CONCEPTION DU LIVRE Une telle conception du rôle du livre n'est cependant pas sans dangers. Elle transforme d'abord le lecteur en un être essentiellement passif chez lequel se développeront bientôt des tendances à la paresse intellectuelle et morale. Une abdication aussi entière de la conscience entraîne une véritable atrophie de la volonté. Ne voit-on pas souvent de nos jours beaucoup de gens délaisser totalement la lecture, devenue pour eux trop pénible même dans ses formes les plus simples, au profit du cinéma et de la télévision, autres sources de détente qui peuvent ne demander aucun effort de participation ? Certains se contentent d'avoir vu les « adaptations » de certaines grandes oeuvres. Des éditions simplifiées, raccourcies, les « digests », connaissent auprès du public un immense succès. Aux progrès de cette paresse intellectuelle s'associent nécessairement ceux de l'esprit d'autorité. On se réfère volontiers à la morale des « best-sellers », on calque ses attitudes, voire sa psychologie sur celle d'un James Bond, tout comme les précepteurs sophistes de Rabelais s'efforçaient de ressembler à la fausse image qu'on leur avait transmise d'Aristote, tout comme le pharmacien Homais de Madame Bovary formulait des sentences par une imitation maladroite de la philosophie voltairienne. Cette « aliénation » morale dont nous parlions plus haut n'engage-t-elle pas par ailleurs de façon abusive la responsabilité de l'écrivain ?
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INTRODUCTION
Que représente la lecture pour ceux qui l'aiment ? Si l'on excepte les cas très particuliers qui font de l'oeuvrelittéraire un objet d'étude, il semble que, le plus souvent, on ouvre un livre pour y trouver un « divertissement ».Cette plongée à l'intérieur de la pensée d'un écrivain ne suppose-t-elle pas que l'on se dérobera pendant quelquesheures à soi-même? Ainsi, l'attitude du lecteur est faite essentiellement de passivité, voire d'abandon à autrui.
Unetelle conception du rôle de la littérature n'est cependant pas sans dangers et les écrivains peuvent être en droitd'exiger davantage de leurs lecteurs.
C'est sur ce point que Voltaire voulait insister lorsqu'il écrivait : « Les livres lesplus utiles sont ceux dont les lecteurs font eux-mêmes lamoitié ».Une analyse critique des rapports entre les oeuvres littéraires et leurs lecteurs nous permettra de mieux saisir lasignification de cette formule paradoxale qui peut dans une certaine mesure justifier certains principes de lalittérature contemporaine.
I.
L'ATTITUDE LA PLUS COMMUNE DES LECTEURS
Le livre est considéré par la plupart de ses amateurs comme une occasion de détente physique et intellectuelle.
Lesoeuvres qui sont d'un abord difficile se vendent mal.
Les genres littéraires les plus simples sont aussi les pluspopulaires.
Les fabliaux du Moyen Age, les fables de La Fontaine, les comédies de Molière jouissent, auprès du publicle plus large, d'un constant succès.
Les romans de Hugo, de Balzac ou de Zola ont plus de lecteurs que la poésied'un Rimbaud ou d'un Mallarmé.
A l'intérieur même de la poésie, les symbolistes par exemple, dont la lecture exigequelque effort de réflexion, connaissent une diffusion beaucoup plus restreinte que les Parnassiens ou lesRomantiques.
L'oeuvre littéraire apparaît ainsi le plus souvent comme une source d'évasion.
Le succès, à toutes les époques, del'exotisme, du merveilleux ou du fantastique en témoigne.
Nous aimons à nous retrouver dans un monde où lesanimaux parlent, dans un univers où les géants côtoient des êtres à notre mesure comme dans les chroniques deRabelais, à vivre parmi les bergers et bergères de la pastorale, autre genre très prisé du public populaire.
Celapermet de fuir la réalité quotidienne et, en même temps sans doute, de s'oublier soi-même pendant quelques heures,d'« aliéner » en quelque sorte sa propre conscience en la remplaçant par celles de l'écrivain et de ses personnages.
Mais les lecteurs exigent souvent davantage encore des oeuvres d'imagination.
Celles-ci, tout en les détournantprovisoirement du monde réel, seront jugées parfaites si elles présentent en même temps un univers moral cohérentet apportent un enseignement directement utilisable.
L'écrivain est volontiers considéré comme un « maître à penser» auquel on se référera tout naturellement pour trancher les difficultés de la vie sociale.
Le « grand » public atoujours eu une prédilection pour les oeuvres moralisatrices, à condition qu'elles ne soient pas fastidieuses.
LeRoman de la Rosé de Jean de Meung écrit à la fin du xiiie siècle est un véritable code de la morale bourgeoise dutemps.
Il eut un très grand retentissement jusqu'au xvie siècle.
Les « moralités » des fables de La Fontaine et lesdénouements exemplaires des comédies de Molière contribuent, pour une large part, à leur popularité.
II.
LES DANGERS D'UNE TELLE CONCEPTION DU LIVRE
Une telle conception du rôle du livre n'est cependant pas sans dangers.
Elle transforme d'abord le lecteur en un êtreessentiellement passif chez lequel se développeront bientôt des tendances à la paresse intellectuelle et morale.
Uneabdication aussi entière de la conscience entraîne une véritable atrophie de la volonté.
Ne voit-on pas souvent denos jours beaucoup de gens délaisser totalement la lecture, devenue pour eux trop pénible même dans ses formesles plus simples, au profit du cinéma et de la télévision, autres sources de détente qui peuvent ne demander aucuneffort de participation ? Certains se contentent d'avoir vu les « adaptations » de certaines grandes oeuvres.
Deséditions simplifiées, raccourcies, les « digests », connaissent auprès du public un immense succès.
Aux progrès de cette paresse intellectuelle s'associent nécessairement ceux de l'esprit d'autorité.
On se réfèrevolontiers à la morale des « best-sellers », on calque ses attitudes, voire sa psychologie sur celle d'un James Bond,tout comme les précepteurs sophistes de Rabelais s'efforçaient de ressembler à la fausse image qu'on leur avaittransmise d'Aristote, tout comme le pharmacien Homais de Madame Bovary formulait des sentences par une imitationmaladroite de la philosophie voltairienne.
Cette « aliénation » morale dont nous parlions plus haut n'engage-t-elle pas par ailleurs de façon abusive laresponsabilité de l'écrivain ? Dans quelle mesure peut-on lui reprocher une influence néfaste sur ses lecteurs lorsqueceux-ci n'ont eu aucune part active à l'oeuvre? Baudelaire a écrit ses Fleurs du Mal à l'intention de lecteursconscients et intelligents, Flaubert prenait soin dans Madame Bovary de mettre en garde ses lectrices contre lesconséquences néfastes d'une certaine façon de lire.
Les procès qu'on leur a intentés étaient-ils donc vraimentfondés ?
III.
L'OPINION DE VOLTAIRE.
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