Verlaine et l'art poétique. Commentaire
Publié le 19/12/2021
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«
DISSERTATION RÉDIGÉE
On peut emprisonner les oiseaux, opposer à leur soif de liberté les barreaux d'une cage,
les oiseaux chantent toujours.
Seulement, leur chant se fait plainte, appel, sanglot.
Leurs
ailes frémissent, se heurtent au fer de la cage et si leur ivresse de ciel se délivre, leur
corps se meurtrit sans cesse.
Us ne peuvent ' plus que contempler le triste filet de sang
qui coule de leurs ailes déchirées.
Verlaine est de ces oiseaux perpétuellement en quête de bonheur (d'un bonheur qui se
fait plus insaisissable que les nuages), et regrettant « Saturne ».
Mais pour Verlaine, la
cage est prison, le chant est poésie ; le drame de Bruxelles rôde avec sa cohorte de
souvenirs douloureux, et c'est Mons (...) et c'est Sagesse, ce recueil déchirant, amer,
que trouent par instant les flammes splendides de l'extase mystique.
Les Romances sans paroles sont devenues plus morbides.
Elles se sont teintées, dirait-
on, si ce n'était un anachronisme, des précieuses et maladives tristesses de Rodenbach
et des souffrances cachées du « pierrot lunaire » que sera Laforgue...
et elles sont
devenues Sagesse.
Bien sûr, le chant de Sagesse est plus ample, il y apparaît comme une orchestration où la
mélodie devient symphonie et les émois extatiques du pauvre « Lelian » y ont à la fois
toute la rude simplicité et toute la richesse flamboyante du mystérieux moyen âge ; mais
certains morceaux ont gardé la brièveté frémissante des « romances », comme ce poème
où « le cor qui s'afflige » a remplacé les « sanglots longs des violons » des « Poèmes
saturniens ».
La poésie de Verlaine ne se découpe pas avec des ciseaux...
L'équilibre mystérieux qui
soutient ses poèmes tient plus des mots et de leur ordonnance parfois insolite que d'un
mouvement général et parfaitement composé du texte où la rigueur classique est
volontairement bannie (n'écrira-t-il pas plus tard « de la musique avant toute chose...
»
et ne parlera-t-ii pas dans ce même Art Poétique de « la chanson grise où l'indécis au
précis se joint » ?).
Pour ce poème, il a pourtant adopté une forme assez académique ; le
sonnet.
La seule innovation — mais en elle ces deux chants, ce véritable duo tragique.
Et
le poème « Heredia » du sonnet — c'est l'emploi du décasyllabe, plus musical et surtout
plus imprécis que l'alexandrin.
Par la magie de ce vers, nous assistons à la représentation de petites scènes (où la
nature est comme paralysée) qui se métamorphosent en des tableaux fondus dans une
légère grisaille.
C'est ici le règne de la demi-teinte, des couleurs estompées qui
composent une atmosphère inquiétante, presque angoissante.
Dans le premier quatrain
s'élève le prélude du cor agonisant, auquel vient, porté par la brise, se mêler comme un
second instrument, dans le deuxième quatrain, le hurlement du loup.
Puis, c'est
l'orchestration feutrée de la neige qui étouffe on elle ces deux chants, ce véritable duo
tragique.
Et le poème s "achève sur une impression générale : l'atmosphère dégagée par
ce paysage et que résume l'adjectif « lent ».
La nature ressemble ici à un orchestre, mais à un orchestre qui célébrerait quelque
cérémonie funèbre, quelques funérailles mystérieuses...
peut-être celles d'un Verlaine
prisonnier, désespéré, traqué par la pensée de la Mort.
Le sonnet s'ouvre donc sur le chant du cor.
Suivi du verbe s'afflige », ce cor prend un
aspect humain ; cela met en relief la tristesse et la rend plus vibrante — mais déjà nous
sommes pénétrés par ces premières impressions auditives et nous écoutons s'éloigner le
son du cor qui se dirige vers les bois : première intervention de la nature.
L'enjambement prolonge ce chant et détache du deuxième vers le mot « douleur », que
suit presque immédiatement l'adjectif insolite « orpheline, ».
Ainsi qualifiée, cette
douleur devient de plus en plus humaine.
Nous en comprenons la solitude que
symbolisent les orphelins.
Ce thème d'ailleurs fut souvent exploité en littérature (voir
Coppée, Rimbaud et ses « étrennes des orphelins » et même Verlaine avec son «Gaspard
Hauser ») mais il prend ici une tout autre résonance par le fait même de son emploi.
Notons au passage le ton volontairement inhabituel, maladroit humble de ce « on veut
croire », dont la simplicité chantante est une des caractéristiques de Verlaine (par
exemple dans le poème sur Charleroi où il parle des Kobolds).
Et le quatrain s'achève sur.
»
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