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Un Provençal à Paris. Jean GIONO, Les vraies richesses.

Publié le 30/06/2020

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« Un Provençal à Paris. ... Voilà la rue de Belleville qui monte et peu à peu me débarrasse des manteaux de feu. La frange de néon multicolore qui éblouissait mes yeux s'affaisse et retombe dans l'ombre. Le long de la rue, les épiceries et les magasins de légumes ne sont plus éclairés que par les lampes d'intérieur. Les commis rentrent les étalages. Les barriques d'anchois salés, avec l'alignement rayonnant de leurs petits poissons métalliques, les grappes de stocked-fish (1), les sacs de riz, de sucre, de fèves, les caisses de pâtes alimentaires. Au bord du trottoir dorment quelques voitures dévastées de marchandes des quatre-saisons engluées d'épluchures pendantes, de queues de poireaux, de feuilles de choux, de salades. La rue sent la saumure et le jardin potager, et quelquefois l'épice — un parfum aigu et qui bouleverse tout l'équilibre d'un homme — et quelquefois le drap, le cuir ou le fer-blanc. Il n'y a toujours dans la rue que cette lueur rouge qui sort des boutiques et, de loin en loin, les becs de gaz. Devant certains magasins déjà fermés on passe dans une zone d'ombre. II y a presque toujours à ces endroits-là quelqu'un assis sur le trottoir, avec un journal sous les fesses. De temps en temps, je m'arrête, je tourne la tête et je regarde vers le bas de la rue où Paris s'entasse : des foyers éclatants et des taches de ténèbres piquetées de points d'or. Des flammes blanches ou rouges flambent d'en bas comme d'une vallée nocturne où s'est arrêtée la caravane des nomades. Et le bruit : bruit de fleuve ou de foule. Mais les flammes sont fausses et froides comme celles de l'enfer. En bas, dans un de ces parages sombres est ma rue du Dragon, mon hôtel du Dragon. Quel ordre sournois, le soir déjà lointain de ma première arrivée, m'a fait mystérieusement choisir cette rue, cet hôtel au nom dévorant et. enflammé? Il me serait facile, d'ici, d'imaginer le monstre aux écailles de feu. Je pourrais en voir la tête et la fumée de narine, et la languedorée dardée vers le ciel, et les pustules, — et sentir sa puanteur intestinale. Mais je vois plus noir et plus vrai ; cette ville de misère physique et spirituelle, cette ville de pauvreté et de médiocrité, cette ville d'erreur et d'amour de l'erreur. Jean GIONO, Les vraies richesses. Grasset, 1937, pp. 12-13. « J'ai toujours détesté la foule. J'aime les déserts, les prisons, les couvents. » (Voyage en Italie). A cause d'elle, une grande ville est rumeur incessante et apprêtée. ? Enfin laideur et banalité accompagnent fatalement l'urbanisme. C'est donc le contraire de la paix et de la beauté rurales, le contraire de la joie et du repos. ? De plus, c'est Paris, particulièrement, la capitale, qu'il n'aime pas. «Paris s'entasse» : la ville est présentée comme un être vivant qui agit. ? Rapport étroit entre les aspects physiques de Paris (1er paragraphe) et sa vision monstrueuse, véritable transposition morale (2e paragraphe). ? La présentation de Giono est fort différente de celle de Zola qui laisse, malgré d'âpres critiques contré la cité, transparaître une véritable affection (L'Œuvre) ou de celle d'Aragon qui garde pour Paris une vraie tendresse (Le Paysan de Paris). ? Il est vrai que Giono n'y a jamais vraiment habité, mais il trace d'elle une image qui n'est ni panoramique, ni majestueuse. ...»

« Un Provençal à Paris .

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Voilà la rue de Belleville qui monte et peu à peu me débarrasse des manteaux de feu.

La frange de néon mul­ ticolore qui éblouissait mes yeux s'affaisse et retombe dans l'ombre.

Le long de la rue, les épiceries et les maga­ sins de· légumes ne sont plus éclairés �v2 par les lampes d'intérieur.

Les commis rentrent les étalages.

Les barri­ ques d'anchois salés, avec l'alignement rayonnant de leurs petits poissons métalliques, les grappes de stocked­ fish (1), les sacs de riz, de sucre, de fèves, les caisses de pâtes alimentaires.

Au bord du trottoir dorment quel­ ques voitures dévastées de marchandes des quatre­ saisons engluées d'épluchures pendantes, de queues de poireaux, de feuilles de choux, de salades.

La rue sent la saumure et le jar"in potager, et quelquefois l'épice -un parfum aigu et qui bouleverse tout l'équilibre d'un homme -et quelquefois le drap, le cuir ou le fer-blanc.

Il n'y a toujours dans la rue que cette lueur rouge qui sort des boutiques et, de loin en loin, les becs de gaz ..

Devant.

certains magasins déjà fermés on passe dans une zone d'ombre ..

II y a presque toujours à ces endroits•là quelqu'un assis sur le trottoir, avec un journa l sous les fesses.

De temps en temps, je m'arrête, je tourne la tête et je regarde vers le bas de la rue où Paris s'entasse : des.

(]) Stockedfish : morue séchée à l'air; poisson salé et séché.. »

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