Un journaliste du Courrier français écrit en 1828 : « On commence à comprendre que les généralités sont usées sur notre scène. Il faut briser le type de ces héros de convention : c'est à l'observation des individualités que doivent désormais s'attacher nos poètes tragiques. Tout est dit sur les passions générales, leurs effets ont été mille fois présentés sur nos théâtres ; mais les contradictions de l'esprit humain sont innombrables. Les caractères sont aussi variés que les figures.
Publié le 09/12/2021
Extrait du document
xxx ?
«
Introduction
Dans un article publié en 1828 par le Courrier français, journal libéral favorable aux innovations du drame romantique,on peut lire une attaque en règle contre les « héros de convention » du théâtre classique ; et surtout, desprescriptions concernant la création de ces héros que tente de mettre en scène une dramaturgie nouvelle,proclamée, l'année précédente, dans la préface de Cromwell.On peut se demander en quoi réside cette nouveauté des héros du drame romantique : comment les auteursmettent-ils en scène ces « individualités», ces «caractères [...] variés» ? Quelle image de l'homme veulent-ils ainsitraduire ? À quelle nouvelle vision du monde correspondent leurs héros ?
Première idée directrice : la mise en scène des héros en tant qu'« individualités» et «caractères».
La présence en scène des héros des drames romantiques est d'abord d'ordre physique et visuel; elle dépend ausside leur langage et de la peinture de leur caractère.• «Dans le drame [...] le corps joue son rôle comme l'âme» affirme Victor Hugo dans la préface de Cromwell.Vêtements, mais également gestes et attitudes ont donc leur importance.
Ainsi dans Ruy Blas, si l'acte I est dominépar le personnage de Don Salluste, la didascalie initiale indique avec une précision méticuleuse qu'il « est vêtu develours noir, costume de cour du temps de Charles II, la toison d'or au cou»; qu'il porte par-dessus «un richemanteau de velours vert clair, brodé d'or et doublé de satin noir, épée à grande coquille, chapeau à pleinesblanches».
À l'acte II, la main gauche enveloppée de linges ensanglantés de Ruy Blas, le flacon que la reine tire desa poitrine pour lui faire «respirer quelque essence», contribuent puissamment à traduire ce moment où la tensiondramatique atteint son point culminant et laisse éclater la certitude d'un amour partagé.
Dans le registre comique,c'est Don César, à la scène 1 de l'acte IV, tombant tout à coup par un conduit de cheminée.• D'autre part, ces personnages doivent s'exprimer de telle sorte que le spectateur perçoive leur spécificité et leurnaturel.Dans la «Lettre à Lord ***» qui sert de préface à son drame Le More de Venise, Vigny est catégorique : «Faut-ildonc toujours que chaque personnage se serve des mêmes mots, des mêmes images que tous les autres emploientaussi ? Non, il doit être concis ou diffus, négligé ou calculé [...] selon son caractère, son âge, ses penchants».
Onpeut entendre un exemple de cette diversité dans le dialogue, à la scène 6 de l'acte III de Chatterton; le poète,personnage-titre, avec son lyrisme affronte le froid matérialisme du lord-maire Beckford.
Par ailleurs, pour êtrenaturels, ils doivent reproduire les habitudes de la conversation, c'est-à-dire faire se succéder de courtes répliquesen évitant les longues tirades savamment construites.
Et même quand Hugo emploie l'alexandrin, dont il demeure %nfervent défenseur à la scène, il s'ingénie à le disloquer.
À la scène 5 de l'acte II de Ruy Blas, un seul vers se trouveréparti sur six répliques : la reine est toute à la joie de pouvoir, pense-t-elle, empêcher le duel qui pourrait être fatalau «Comte de Garofa».
Certes l'usage du monologue dans le drame romantique paraît aller à l'encontre de cetterecherche du naturel; toutefois, dans les trois actes que contient Ruy Blas on constate que la variété des rythmeset des tons en modère la pesanteur et en assure le mouvement.• Enfin la peinture des caractères est assurée par leur diversité et leur confrontation.
«Si je pouvais être ce monsieur qui passe !» s'exclame le Fantasio de Musset.
Hugo ne nous donne-t-il pas à voir età entendre des êtres — des hommes plus que des femmes comme dans tout drame romantique — que distinguent,nous l'avons vu, l'aspect extérieur et le langage mais aussi l'âge, la condition sociale, les projets, les ambitions.
Lascène est par conséquent nécessairement le lieu où sont confrontées de telles individualités, selon la loi du «contraste » affirmée dans la préface de Cromwell.Ainsi est-il de la rencontre de Don César et de Ruy Blas à l'acte I : au premier, libre, joyeux, insouciant s'oppose lesecond, dont le spectateur commence à percevoir qu'il est un inadapté, la victime d'une suite de fatalités.Ces personnages sont donc nés d'une nouvelle conception de l'art dramatique.
Mais pour mieux les connaîtreencore, il faut analyser en quoi celle-ci correspond à une nouvelle image de l'homme.
Deuxième idée directriceCes héros correspondent à une nouvelle image de l'homme.
Si les Angelo ou les Hernani, les Marie Tudor ou les Antony sont ancrés chacun dans leur époque et dans lesprincipes créateurs de leurs auteurs, ils sont surtout des «enfants du siècle», ceux des jeunes artistes de lapremière moitié du XIXe siècle qui veulent exprimer une perception nouvelle de leur condition.• Ce sont d'abord des êtres d'exception.Ils le sont par leurs origines qui sont loin d'être toujours aussi seigneuriales que celles de Lorenzo : Ruy Blas rappellequ'il est « orphelin, par pitié nourri dans un collège » ; « seul à vingt ans, la vie était amère et triste», avoue Didierdans Marion Delorme.
Par leurs qualités aussi : le courage et le mépris de la mort de Ruy Blas, sa noble ambition,voire son génie qui fait l'admiration de la reine à l'acte III.
Ils se trouvent par là même en marge du monde :marginalité intellectuelle chez Chatterton, sociale chez Hernani.• Ce sont également des êtres contradictoires.Cromwell a séduit Hugo car c'était, dit-il dans sa préface, « un être complexe [...] composé de tous les contraires,mêlé de beaucoup de mal et de beaucoup de bien, plein de génie et de petitesse».
La reine d'Espagne est « un angeet une femme ».
« Fuis-moi ! » crie Hernani à Dona Sol à qui il redoute d'être fatal alors que la passion est à sonparoxysme.
Car ils peuvent être attirants et dangereux, soit par leur passion, soit par leur -destin.
Emportés par unefatalité impérieuse, ils portent malheur à ceux qui éprouvent pour eux affection ou amour : «Je suis un démon.
Fuis.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- « Voilà le fond, dont on eût pu faire, avec un égal succès, une tragédie, une comédie, un drame, un opéra,etc. [...] Le genre d'une pièce, comme celui de toute autre action, dépend moins du fond des choses que des caractères qui les mettent en oeuvre » écrit Beaumarchais. En vous appuyant sur les textes du corpus ainsi que sur les pièces que vous connaissez, vous commenterez et apprécierez cette affirmation.
- « Voilà le fond, dont on eût pu faire, avec un égal succès, une tragédie, une comédie, un drame, un opéra, etc. [...] Le genre d'une pièce, comme celui de toute autre action, dépend moins du fond des choses que des caractères qui les mettent en oeuvre » écrit Beaumarchais. En vous appuyant sur les textes du corpus ainsi que sur les pièces que vous connaissez, vous commenterez et apprécierez cette affirmation ?
- En 1898, après les premières représentations de Lorenzaccio, Jules Lemaître écrit à propos de l'ambiguïté de son héros : « Le personnage de Lorenzaccio est aussi riche de signification qu'un Faust ou qu'un Hamlet ; comme eux, il figure dans une fable particulière, l'homme, l'éternel inquiet et l'éternel déçu, sous un de ses plus larges aspects. Et ce personnage est une créature vivante, il est de chair, de sang, de nerfs et de bile. » Vous commenterez ce jugement, en vous appuyant sur
- Beaucoup de lecteurs pensent que le compte rendu d'une oeuvre par un critique suffit à en donner la connaissance. Or, Alain a écrit, dans ses Propos sur l'esthétique, en 1949 : «Ce que dit l'oeuvre, nul résumé, nulle imitation, nulle amplification ne peut le dire... » Vous examinerez ces deux points de vue opposés, en appuyant votre réflexion sur des exemples précis, empruntés à votre expérience personnelle et à vos lectures.
- Pierre Loti écrit : « Les vrais poètes, dans le sens le plus libre et le plus général du terme, naissent avec deux ou trois chansons qu'il leur faut à tout prix chanter, mais qui sont toujours les mêmes : qu'importe, du reste, s'ils chantent chaque fois avec tout leur coeur. » Vous commenterez et discuterez cette affirmation en vous appuyant sur des exemples empruntés à des auteurs de diverses époques.