Un critique écrit: Les personnages de Malraux ne se commentent guère; ils s'affrontent et de leur lutte naît quelque lumière, ou beaucoup de nuit. Qu'en pensez-vous ?
Publié le 09/12/2021
Extrait du document
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[Introduction]
Malraux est connu pour avoir donné à ses personnages un caractère engagé dans les luttes de leur temps et une conscience presque tragique de lacondition humaine.
C'est sans doute ce qui a permis à un critique d'écrire : « Les personnages de Malraux ne se commentent guère : ils s'affrontent, et deleur lutte naît quelque lumière, ou beaucoup de nuit.
» Toutefois, on peut voir dans L'Espoir que la « lumière », annoncée dans le titre, tient plus de place quel'on veut bien le dire dans ce roman, ainsi que le commentaire des personnages sur eux-mêmes, ou du narrateur sur eux.
Aussi verrons-nous dans unpremier temps que si ce sont des personnages en « lutte », cette lutte se veut un combat de « lumière » ; puis nous examinerons le côté sombre de leuraffrontement, avant de montrer que L'Espoir n'est pas seulement un roman d'action mais aussi un roman de « commentaire » et d'analyse.
[Des personnages en lutte pour la lumière]
En premier lieu, il faut noter que les personnages importants de L'Espoir mènent un combat dont les buts sont plus que louables et ramènent quelquelumière dans le monde.Les personnages de L'Espoir sont plongés au cœur d'une guerre qui a marqué notre siècle et annoncé la Seconde Guerre mondiale.
Il s'agit de la guerred'Espagne qui fut déclenchée en 1936 par le putsch nationaliste ; l'Europe envoya des « brigades internationales » à leur secours : les personnagesessentiels du roman sont les Espagnols, Ramos par exemple, et les étrangers, engagés dans la lutte contre les nationalistes.
Les enjeux idéologiques sontdonc ceux des idéaux républicains et communistes ou anarcho-syndicalistes, contre le fascisme qui gagne l'Europe à cette époque.
C es idéaux sontgénéreux et populaires, la lutte est menée au nom de la « lumière ».
De plus, nombreux sont les intellectuels engagés dans l'action, de même que lespersonnages puérils et romantiques : « Il y a une chose que j'aime ici, dit Shade : les hommes sont comme les gosses.
» Le transport de la dynamite parRamos et Manuel, au premier chapitre du roman, témoigne également de l'état d'esprit qu'A ndré Malraux a voulu dépeindre ; les deux militants semblentêtre dans un état second, et ne pas ressentir le danger.
En effet, l'accident de voiture permet à M anuel de découvrir et d'éteindre le mégot d'une cigarettefumée par son compagnon, entouré de dynamite, « ses grenades farouchement serrées sur son ventre » ! M ais la lumière la plus belle vient de la découvertede la fraternité dans la lutte.
Les compagnons de lutte ne sont pas anonymes, bien au contraire ; au chapitre II de la première partie, le narrateur écrit àpropos du chef d'un petit groupe d'anarchistes : « Le Négus revint vers ses copains », puis à propos de Puig : « Il partit avec cinq copains ; / Le Négus etles siens avancèrent.
» L'insistance sur les liens qui unissent les combattants de la liberté souligne la justesse de leur cause, et les valeurs positives néesde leur engagement commun dans la lutte.
Un peu plus loin, toujours dans le chapitre II, Puig, l'anarchiste, se retrouve à bavarder avec le colonel de lagarde civile de Barcelone, Ximénès.
Il déclare à propos des combats : « En prison, je n'imaginais pas qu'il y aurait tant de fraternité.
» Le narrateurcommente leur rencontre en ces termes : « Pour Ximénès comme pour P uig, le courage aussi était une patrie.
»Nous pouvons donc dire que l'affrontement que connaissent les personnages baigne dans une lumière qui s'oppose aux forces obscures, et franchit mêmeparfois les frontières idéologiques.
[« Beaucoup de nuit »]
Il y a beaucoup de nuit aussi, autour des personnages.
Deux sombres adversaires du peuple espagnol ont pour emblème le noir : l'Église et le fascisme.Cela va plus loin que la symbolique vestimentaire de la prêtrise et des chemises brunes.
La noirceur est morale.
Pour les anarchistes, le catéchisme et leclergé sont des ennemis.
A u chapitre II de la première partie du roman, Puig s'exprime ainsi à propos du catéchisme : « on n'enseigne pas à tendre l'autrejoue à des gens qui depuis deux mille ans n'ont reçu que des gifles ».
Il reprend son discours en parlant du clergé : « d'abord, je n'aime pas les gens quiparlent et qui ne font rien.
[...] On n'enseigne pas aux ouvriers à accepter la répression des Asturies.
[...] Des églises où on a approuvé les trente millearrestations, les tortures et le reste, qu'elles brûlent, c'est bien ».
C ette citation montre bien la double noirceur reprochée à l'Église : l'aveuglement desmasses pauvres, et la collusion avec l'oppresseur.
Une autre forme de la « nuit », c'est celle des combats eux-mêmes.
Ils se déroulent souvent dans la nuit,comme beaucoup d'autres actions des personnages.
La première phrase du roman choisit ce cadre symbolique : « Un chahut de camions chargés de fusilscouvrait Madrid dans la nuit d'été.
» Dans le chapitre II, c'est « Barcelone nocturne » qui est évoquée, « pleine de chants, de cris et de coups de fusils ».Nuit et lumière sont donc indissociables : « Barcelone cette nuit brûlait de toutes ses églises.
»Le dernier, et non le moindre, des côtés particulièrement sombres de l'œuvre est l'omniprésence de la mort, soit comme une menace, soit à travers lestueries.
Dans le chapitre premier de la deuxième partie du roman, Manuel harangue ainsi ses camarades : « Nous avons pris les armes contre le fascisme.Nous savions tous que nous pouvions mourir.
Si nous avions été tués à Somosierra, nous aurions trouvé que c'était régulier.
» La dernière précision permetde souligner que, même face à la mort, l'homme peut éviter le néant en se battant pour une cause : il lui donne ainsi un sens de « lumière », malgré la nuitqui l'entoure.
Mais les aspects les plus atroces de la guerre civile sont aussi évoqués.
A u chapitre V de la deuxième partie, Garcia apprend quel fut l'objectifatteint précisément par douze bombes, c'est-à-dire lancées par un homme qui a vu ses cibles : « les douze dans le but : femmes devant les épiceries,gosses au square de la porte de Tolède ».
Il ne s'agit pas, en effet, pour Malraux, de faire l'apologie de la guerre...
Les personnages du roman sont doncplongés dans la nuit, mais elle ne les renvoie pas totalement au néant, ne serait-ce qu'à travers le sens qu'elle les oblige à donner à leur vie et à leur mort.
[Le commentaire dans le roman]
Or ce sens est longuement explicité par les personnages eux-mêmes, et par le narrateur.L'analyse des personnages est l'occasion, pour le narrateur, de nombreuses pauses dans le déroulement de l'action.
Mieux, en plein cœur de l'action, iladjoint systématiquement à la narration de leurs actes un adjectif qui qualifie leur état d'esprit : Ramos est « perplexe », Manuel, « tendu ».
À un autremoment le narrateur nous montre Ximénès en train de se signer devant l'incendie des églises : « Non pas ostensiblement, comme s'il eût tenu à confessersa foi : comme s'il eût été seul.
» La plupart des actions sont ainsi commentées, plus ou moins longuement.
De plus, les personnages se commentent eux-mêmes dans leurs discours direct ou indirect libre.
Les dialogues sont nombreux, où un personnage explique à l'autre ses pensées, ou les raisons de sonaction.
On a déjà pu voir comment Puig dévoilait ses positions anarchistes sur l'Église à Ximénès.
Dans le chapitre V de la partie appelée « Être et faire »,Garcia, qui vient d'apprendre « le massacre » de civils, « femmes », « vieillards », « enfants », « rest(e) seul ».
S'amorce alors un long discours intérieur : «Il avait eu à lutter, non sans succès, contre les autos-fantômes, ces voitures fascistes qui se lançaient la nuit à travers M adrid, armées de mitrailleuses ;contre ceux qui, à l'aube, tiraient à travers les volets sur les miliciens ; et contre tout ce que représente la guerre civile.
Mais tout cela était encore laguerre, le tir d'un aveugle contre un inconnu.
Cette fois, chaque ennemi, avant de lancer sa bombe, avait regardé la queue des femmes devant l'épicerie, lesvieillards et les enfants dans le square.
» L'analyse de la situation et des sentiments par les personnages tient donc une grande place dans L'Espoir.
Enfin,on peut également considérer que le critique se trompe en niant l'importance du commentaire dans la construction des personnages, car leur évolutionpsychologique et métaphysique est un fil conducteur essentiel du roman.
A insi, le roman débute et s'achève sur un passage mettant en scène le personnagede Manuel.
Entre les deux, le personnage a fait du chemin, ce que souligne la fin du roman : « Un jour [,..] Manuel deviendrait un autre homme, inconnu delui-même, comme le combattant d'aujourd'hui avait été inconnu de celui qui avait acheté une petite bagnole pour faire du ski dans la Sierra.
[...] A utrefois,Manuel se connaissait en réfléchissant sur lui-même ; aujourd'hui, quand un hasard l'arrachait à l'action pour lui jeter son passé à la face.
Et comme lui, [...]l'Espagne exsangue prenait enfin conscience d'elle-même.
» Le commentaire a donc une place fondamentale, tant pour la construction des personnages quepour celle de la symbolique du roman.
[Conclusion]
Il ne faut pas oublier, quand on parle de L'Espoir, que ce roman est né de la double expérience d'André Malraux : à la fois comme intellectuel engagé etcommandant d'une escadrille pendant les combats.
Son propos n'est donc pas seulement de décrire l'action, mais de montrer en quoi celle-ci peut modifierle sens de la vie d'un homme, et celui de l'histoire d'un peuple..
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