Un critique écrit au sujet des Confessions: « On y voit, plus que l'autoportrait d'un homme tourmenté, le récit rétrospectif d'une destinée malheureuse, tracé par un écrivain pathétique à force de crier son excellent naturel, malade de ses contradictions, avide de s'attirer la sympathie du lecteur. »Commentez cette réflexion d'après votre lecture des quatre premiers livres des Confessions de Rousseau.
Publié le 15/05/2020
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[Introduction]Rousseau ouvre les Confessions en annonçant qu'il veut avant tout se montrer aux autres hommes tel qu'il est, sans fard, avec ses qualités et ses défauts, dans toute la vérité de son être.
Cette autobiographie est sans doute l'une des plus importantes du genre.
Mais, surtout, l'oeuvre dépasse cette dimension.C'est en tout cas le point de vue de certains critiques, pour lesquels l'oeuvre se distingue avant tout par sa mise en scène d'une « destinée malheureuse »,établie par un être avide de perfection mais « malade de ses contradictions » : il aspire à la perfection mais a commis de nombreuses actions dont il chercheà être absous.
C 'est la raison pour laquelle tantôt ilse présente en victime, tantôt il s'accable de fautes, de culpabilité.
P ar ce moyen en effet, il cherche à gagner la sympathie du lecteur.Nous étudierons dans un premier temps le récit tracé par Rousseau de sa « destinée malheureuse».
Nous verrons ensuite que le portrait qu'il dresse de lui-même est très contradictoire.
Enfin, nous verrons qu'il éprouve le besoin d'être compris — et pardonné.[Le récit d'une destinée malheureuse]L'une des premières remarques qui viennent à la lecture des Confessions est que l'auteur a subi beaucoup de souffrances.
On a en effet l'impression que le destin s'acharne sur son sort.
Un sentiment d'injustice apparaît enfin, clairement exprimé par l'auteur.La vie de Rousseau semble dès le départ placée sous le sceau du malheur : sa naissance est en effet marquée par la mort de sa mère, dont il semble porterla responsabilité.
Suit une série d'événements malheureux : il quitte la pension de M lle Lambercier, où il fut si heureux, sans avoir pu éclaircir un incidentdont il fut accusé à tort : un des peignes de celle-ci fut en effet retrouvé cassé alors qu'on l'avait posé dans une pièce où seul le narrateur se trouvait.
Il neput jamais prouver son innocence.
Placé chez un mauvais maître, il prit la fuite, ce qui, selon lui, changea le cours de sa destinée : « encore enfant, quittermon pays, mes parents [...] ; me livrer aux horreurs de la misère sans voir aucun moyen d'en sortir; dans l'âge de la faiblesse et de l'innocence, m'exposer àtoutes les tentations du vice et du désespoir; chercher au loin les maux, les erreurs, les pièges, l'esclavage et la mort ».
O n voit que l'accent est mis sur lafaiblesse du personnage (« enfant », (( innocence»), les termes désignant son destin sont très forts, hyperboliques, et insistent sur le malheur à venir.On ressent en outre un intense sentiment d'injustice, exprimé avec beaucoup de force dans le récit et l'analyse de l'épisode du peigne de M lle Lambercier :« qu'on se figure [...] un enfant [...] qui n'avait pas même l'idée de l'injustice, et qui, pour la première fois, en éprouve une si terrible de la part précisémentdes gens qu'il chérit et respecte le plus : quel renversement d'idées ! Quel désordre de sentiments ! » Les tournures au superlatif ainsi que la tonalitéexclamative insistent sur la violence de ce premier contact avec t'injustice.C'est sans doute pour cette raison que Rousseau donne de lui une image si complexe.[Un être plein de contradictions]Il se dépeint en effet de façon tout à fait contradictoire, toujours victime, se sentant toujours coupable, mais néanmoins personnage incomparable.Il semble parfois atteint d'une manie de la persécution, tant tous et tout se liguèrent contre lui.
Il fut d'abord victime d'une injustice, sentie comme unetrahison, chez les Lambercier : mais cette injustice lui permit d'être « moins honteux de mal faire ».
Il fut également, bien évidemment, victime de sacondition et des mauvais traitements que son maître lui faisait subir : « La tyrannie de mon maître finit par me rendre insupportable le travail que j'auraisaimé, et par me donner des vices que j'aurais haïs, tels que le mensonge, la tyrannie, le vol ».
C 'est donc malgré lui que Jean-Jacques s'est corrompu: il futvictime de sa condition et de son maître, Victime, il le fut encore, écarté du testament de la comtesse V ercellis par ses héritiers, qui l'éloignèrent d'elle aumoment où elle le rédigea.Mais, de façon paradoxale, il s'accable de reproches et se présente comme coupable.
Il emploie un lexique violent, hyperbolique pour se mortifier, s'accuse,pratique en quelque sorte l'autoflagellation.
Dans l'épisode du ruban volé, au cours duquel il fit accuser M arion, il emploie pour qualifier cet acte le terme de « crime ».
Son premier « crime » remonte d'ailleurs à sa naissance, et il se sent responsable de la mort de sa mère : « je coûtai la vie à ma mère ».
M ais neserait-ce pas pour s'attirer la sympathie du lecteur qu'il s'accable ainsi ? Car s'il emploie des termes très forts, il minimise bien souvent ses fautes, enéternelle victime, nous l'avons vu.
En fait, il donne l'impression de s'accabler, employant un ton pathétique, pour s'entendre dire que ce n'est pas si grave que cela...Enfin, il se dépeint comme un être à part, exceptionnel, il ne ressemble à « aucun de ceux qui existent », et personne ne peut se targuer de dire à son sujet :« je fus meilleur que cet homme-là ».
C ette supériorité, ce sentiment d'unicité, provient avant tout du fait que Rousseau se met à nu.
Lui seul accepte de se dévoiler tel qu'il est, ce projet « n'eut jamais d'exemple ».
À ce titre, il se doit d'être honnête jusque dans ses contradictions, en les exprimant comme ellesexistent.[L'objectif des Confessions: s'attirer la sympathie du lecteur] Le lecteur des Confessions doit éprouver de la sympathie pour son auteur, c'est-à-dire qu'il doit partager ses souffrances.
Mais il faut également qu'il le comprenne, pour, en quelque sorte, l'absoudre.Le lecteur doit d'abord partager tous les sentiments de Rousseau, toutes ses souffrances, de ses amours malheureuses à la culpabilité qu'il peut ressentirface à ses fautes.
P our cela, il faut tout dire, se « montrer tout entier au public », auquel il faut que rien ne « demeure obscur ou caché ».
C e lecteur doit luiêtre acquis : lorsque Rousseau se remémore la scène du vol du ruban, et de l'injuste accusation dont il accabla Marion, il témoigne du plus profond repentir, qui ne l'a pas quitté depuis lors...
En effet, il dit en avoir emporté « les longs souvenirs du crime et l'insupportable poidsdes remords dont au bout de quarante ans [sa] conscience est encore chargée ».
Pour que le lecteur éprouve de la sympathie pour lui, il faut donc avant toutqu'il le plaigne, ce qui explique l'emploi de termes fortement marqués tels que « crime », « insupportable poids ».
Sa souffrance s'exprime ainsi de manière hyperbolique et le lecteur ne peut que compatir.Pour cela, il faut aussi, absolument, qu'il comprenne : « je voudrais [dit-il] pouvoir rendre mon âme transparente aux yeux du lecteur, et pour cela je chercheà la lui montrer sous tous les points de vue, à l'éclairer par tous les jours, à faire en sorte qu'il ne s'y passe pas un mouvement qu'il n'aperçoive, afin dejuger lui-même du principe qui les produit ».
Si le lecteur comprend toutes les contradictions de cet homme, toute la souffrance qu'elles produisent, dans lamesure où il ne peut parvenir à la perfection à laquelle il aspire, il pourra lui pardonner ses erreurs.Pour Rousseau, en effet, être compris est le seul moyen de se sentir pardonné, et donc aimé.
En effet, s'il est difficile d'admettre un acte que l'on ne conçoitpas, on absout plus facilement une action que l'on peut comprendre, ou envisager.
C 'est pour cela que l'auteur va entrer dans le moindre détail de sa vie,même infime, afin que « rien de [lui] ne lui demeure obscur ou caché; qu'il [le] suive dans tous les égarements de [son] coeur; dans tous les recoins de [sa]vie » pour être convaincu qu'il ne peut « l'induire en erreur ».
Voilà donc des Confessions complètes, et l'objectif visé est déjà exprimé dans le titre : ne se confesse-t-on pas pour être pardonné?[Conclusion]C'est donc un peu de chaleur humaine, de compréhension, de sympathie finalement, que Rousseau cherche à obtenir à travers le récit de sa vie.
S'il veut sepeindre sans tricher, c'est pour mettre à jour ses contradictions qui le font souffrir : avide de perfection, il se trouve sans cesse en butte à ses limites et àses défauts.
Il va alors accentuer les malheurs de sa vie, se rendre pitoyable, afin de s'attirer cette sympathie tant désirée..
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- L'écrivain Michel Leiris, dans la préface de son autobiographie L'Âge d'homme, écrit qu'il essaie de trouver dans le lecteur « moins un juge qu'un complice».Pensez-vous que Rousseau cherche à établir, dans les quatre premiers livres des Confessions, le même type de relation avec son lecteur ?
- Un critique contemporain écrit : « Les Confessions n'ont pas seulement pour fonction d'être une justification et un témoignage : pour un Rousseau meurtri, elles sont [...] une consolation, une chanson qui berce la misère humaine. » Vous direz dans quelle mesure cette phrase peut servir de définition aux quatre premiers livres des Confessions.
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