Un critique écrit au sujet des Confessions : « On y voit, plus que l'autorportrait d'un homme tourmenté, le récit rétrospectif d'une destinée malheureuse, tracé par un écrivain pathétique à force de crier son excellent naturel, malade de ses contradictions, avide de s'attirer la sympathie du lecteur. » Commentez cette réflexion d'après votre lecture des quatre premiers livres des Confessions de Rousseau.
Publié le 09/12/2021
Extrait du document
I). Il insiste sur la simplicité de ses goûts, sur son amour de la liberté, sur son respect pour les femmes. Combien de fois ne marque-t-il pas sa différence avec les autres hommes ? Le récit de l'idylle de Toune donne un exemple célèbre de cette retenue : « Enfin ma modestie, d'autres diront ma sottise, fut telle que la plus grande privauté qui m'échappa fut de baiser une seule fois la main de Mlle Galley » (L. IV). Quand il reconnaît avoir fait le mal, il prend soin de distinguer les intentions des actes. Il assure que même si sa conduite a parfois été critiquable, ses intentions étaient restées pures. Il se définit enfin comme un homme assoiffé de vérité et de justice. Le spectacle de l'injustice le révolte et le souvenir des injustices subies plonge son âme dans une agitation indescriptible. Indéniablement, une telle insistance est pathétique, parce qu'elle trahit une blessure intérieure, profonde et ancienne, dont l'adulte n'est pas guéri.
«
[Introduction]
Les jugements les plus contradictoires ont été portés sur Rousseau : un bienfaiteur de l'humanité, un sage, voire unsaint homme pour les uns, un homme excessif, un fou, un guide dangereux pour les autres.
Il en va de même pourses livres.
C'est ainsi qu'un critique écrit au sujet des Confessions : « On y voit, plus que l'autoportrait d'un hommetourmenté, le récit rétrospectif d'une destinée malheureuse, tracé par un écrivain pathétique à force de crier sonexcellent naturel, malade de ses contradictions, avide de s'attirer la sympathie du lecteur.
» Cette phrase contientune définition des Confessions et un jugement sur l'homme et l'écrivain.
Mais ce jugement n'est-il pas tendancieux ?Son auteur n'a-t-il pas une vision trop négative des Confessions ?
[I.
Commentaire]
[1.
Une définition des Confessions]Notre critique refuse de voir dans les Confessions l'autoportrait d'un homme tourmenté, définition qui a pourtant étésouvent avancée.
Ces tourments proviendraient aussi bien des accusations portées contre Jean-Jacques par sesennemis et calomniateurs que de sa propre conscience, qui lui reproche d'avoir injustement accusé de vol, quaranteans plus tôt, la servante Marion et d'avoir abandonné M.
Le Maître, son professeur de musique.
Il est vrai qu'aprèsavoir longtemps hésité sur la forme qu'il donnerait à son autobiographie, soit un autoportrait prolongeant lesesquisses que sont les Lettres à M.
de Malesherbes, soit un récit rétrospectif de sa vie, Rousseau finit par opterpour la deuxième solution.
Le livre I commence par le récit de sa naissance et l'ensemble formé par les quatrepremiers livres mène Rousseau jusqu'à sa vingtième année.
Il est vrai également que Rousseau présente sa viecomme une succession ininterrompue de malheurs qu'il impute à la fatalité (L.
I) : « Je naquis infirme et malade ; jecoûtai la vie à ma mère, et ma naissance fut le premier de mes malheurs.
» Enfant privé de la tendresse maternelleet dont le père, inconsolable de la mort de sa femme, a l'humeur trop fantasque pour s'occuper sérieusement del'éducation de son cadet, Jean-Jacques sera également un adolescent malheureux : rebuté, dans l'apprentissaged'un métier, par son maître, le brutal Ducommun ; désolé de devoir renier sa foi protestante ; humilié de devoirronger son frein dans des emplois de domestique pour lesquels il ne se sent pas fait.
[2.
Un jugement sur l'homme et l'écrivain]
[a.
« Un écrivain pathétique à force de crier son excellent naturel »] Jean-Jacques veut prouver la fausseté desaccusations portées contre lui en démontrant l'excellence de son naturel.
Pour y parvenir, il estime que le meilleurmoyen est de mettre en pleine lumière ses sentiments et la conduite de sa vie.
Il se présente comme un hommedont la jeunesse, quoique vagabonde, fut très vertueuse.
Il explique que sa bonté naturelle ne s'est jamaiscorrompue : « les enfants des rois ne sauraient être soignés avec plus de zèle que je le fus durant mes premiersans, idolâtré de tout ce qui m'environnait, et toujours, ce qui est bien plus rare, traité en enfant chéri, jamais enenfant gâté » (L.
I).
Il insiste sur la simplicité de ses goûts, sur son amour de la liberté, sur son respect pour lesfemmes.
Combien de fois ne marque-t-il pas sa différence avec les autres hommes ? Le récit de l'idylle de Tounedonne un exemple célèbre de cette retenue : « Enfin ma modestie, d'autres diront ma sottise, fut telle que la plusgrande privauté qui m'échappa fut de baiser une seule fois la main de Mlle Galley » (L.
IV).
Quand il reconnaît avoirfait le mal, il prend soin de distinguer les intentions des actes.
Il assure que même si sa conduite a parfois étécritiquable, ses intentions étaient restées pures.
Il se définit enfin comme un homme assoiffé de vérité et de justice.Le spectacle de l'injustice le révolte et le souvenir des injustices subies plonge son âme dans une agitationindescriptible.
Indéniablement, une telle insistance est pathétique, parce qu'elle trahit une blessure intérieure,profonde et ancienne, dont l'adulte n'est pas guéri.
[b.
« Malade de ses contradictions »]Il est vrai également que, dès l'enfance, Rousseau souffre des contradictions de son caractère : « Qu'on se figureun enfant timide et docile dans la vie ordinaire, mais ardent, fier, indomptable dans les passions » (L.
I).
Il lessignale à plusieurs occasions, mais c'est dans l'autoportrait du livre III qu'il explique par la singularité de soncaractère les jugements défavorables que ses contemporains ont portés sur lui.
« Deux choses presque inalliabless'unissent en moi sans que j'en puisse concevoir la manière : un tempérament très ardent, des passions vives,impétueuses, et des idées lentes à naître, embarrassées, et qui ne se présentent qu'après coup.
On dirait que moncœur et mon esprit n'appartiennent pas au même individu » (L.
III).
Ce que révèle ici Jean-Jacques de ses difficultésaide à comprendre son inadaptation à la vie de société par sa singularité dans une société brillante, pour laquelle letrait d'esprit est la première des qualités mondaines.
[c.
« Avide de s'attirer la sympathie du lecteur »]L'autobiographie est une entreprise difficile : il faut retenir l'intérêt du lecteur, lui plaire, si possible le séduire SiJean-Jacques cherche à capter la sympathie du lecteur, c'est d'abord pour se faire comprendre, mais surtout pourse faire absoudre.
Il se confesse par souci passionné de justification.
Tantôt il charme le lecteur par la poésie desévocations de l'enfance, de la nature ou du pays des chimères.
Tantôt il s'assure sa complicité en le mettant de soncôté par un trait malicieux : « Je me souviens pourtant d'avoir une fois pissé dans la marmite d'une de nos voisines,appelée Mme Clot, tandis qu'elle était au prêche » (L.
I).
Mais l'une des pièces maîtresses de la démonstration deson innocence est le lien qu'il établit entre l'homme et l'enfant.
S'il n'y a pas de solution de continuité entre l'adulteRousseau et le jeune Jean-Jacques dont il nous peint les émois, les rêves et les aventures, le lecteur, dont il a sisouvent cherché à susciter la réaction par des clins d'œil de connivence, va absoudre l'adulte parce qu'il a été émupar l'enfant..
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- L'écrivain Michel Leiris, dans la préface de son autobiographie L'Âge d'homme, écrit qu'il essaie de trouver dans le lecteur « moins un juge qu'un complice».Pensez-vous que Rousseau cherche à établir, dans les quatre premiers livres des Confessions, le même type de relation avec son lecteur ?
- Un critique contemporain écrit : « Les Confessions n'ont pas seulement pour fonction d'être une justification et un témoignage : pour un Rousseau meurtri, elles sont [...] une consolation, une chanson qui berce la misère humaine. » Vous direz dans quelle mesure cette phrase peut servir de définition aux quatre premiers livres des Confessions.
- Un critique contemporain écrit : « Les Confessions n'ont pas seu-lement pour fonction d'être une justification et un témoignage : pour un Rousseau meurtri, elles sont [...] une consolation, une chanson qui berce la misère humaine».Vous direz dans quelle mesure cette phrase peut servir de définition aux quatre premiers livres des Confessions.