Ubu roi
Publié le 08/12/2021
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Comment l'auteur met-il en scène la folie tyrannique d'un roi bouffon et violent ?
Notre première partie englobe la scène 3 dans son intégralité et constitue l'instauration de la parodie du tyran qui va se mettre en lien avec cette « bouffonnerie sanglante » amenée par l'arrivée du roi Ubu.
Notre deuxième partie s'étend du début de la scène 4 jusqu'à « [...] et je m'en irai. » et constitue un dialogue absurde dans lequel le roi maintient sa posture despotique soutenu par un humour potache.
Notre troisième partie s'étend de « Paysans. Monsieur Ubu, de grâce, [...] » jusqu'à la fin de la scène met en évidence les aspirations financières d'Ubu, figure despotique du rentier.
Nous allons aborder dans un premier temps, l'éruption bouffonne du roi dans la maison de ses sujets.
L'extrait débute par une didascalie qui vient définir l'espace scénique et les personnages intervenants : « Une maison de paysans dans les environs de Varsovie. Plusieurs paysans sont assemblés. » Le décor est planté et cela instaure d'ores et déjà une dimension réaliste avec l'indication de lieu « Varsovie » qui est une ville réelle de Pologne située dans le bassin de la Vistule. Cependant, l'expression « une maison dans les environs », malgré cet ancrage historique, conduit à une imprécision géographique qui semble dès cet instant venir brouiller les pistes. L'apparition des « paysans » vient introduire pour la première fois dans la pièce, le point de vue du peuple sur les évènements qui sont entrain de se produire et notamment la prise de pouvoir d'Ubu. L'arrivée du premier paysan est décrite par la didascalie « entrant », il est celui qui apporte la rumeur concernant la prise de pouvoir du Père Ubu : Dans l'expression impérative « Apprenez la grande nouvelle.» on a une dimension hyperbolique du fait racontée. En effet, l'adjectif hyperbolique « grand » donne toute son importance à l'évènement politique qui a eu lieu. Le paysan poursuit l'explication des faits : « Le roi est mort, les ducs aussi et le jeune Bougrelas s'est sauvé avec sa mère dans les montagnes. » Il se fait ici, le messager répandant la nouvelle concernant la chute du roi. Il semble que le paysan ne ressente aucune émotion face à la mort de son souverain, présentant un bilan bref et informatif de la situation actuelle. On peut se demander si le paysan n'est pas dans la réjouissance de l'effondrement de la famille royale, à travers l'expression « grande nouvelle » qui pourrait être perçue comme positive ? Il poursuit : « De plus, le père Ubu s'est emparé du trône. ». L'expression « le Père Ubu » est une appellation familière qui vient rendre compte d'une probable bienveillance envers ce nouveau roi. Cette dernière réplique provoque l'étonnement du lecteur car le registre de langue du paysan parait soutenu, on le remarque à travers l'outil de liaison « De plus ». On ne s'attend pas à une telle éloquence. Le registre employé ne correspond pas à la position sociale du personnage. Ce jeu d'inversion des registres révèle l'intention de Jarry de jouer avec le langage et le burlesque. Il semble s'amuser à travestir les propos du paysan en les élevant. Puis la rumeur concernant Ubu roi s'alimente d'une nouvelle prise de parole d' « un autre » paysan. Ce personnage est cité sans précision de son nom, on est dans l'indétermination de son identité, il semble que seule ce qu'il a à dire importe comme l'atteste sa réplique : « j'en sais bien d'autres. » Il se présente comme un témoin directe de la passation de pouvoir en expliquant qu'il vient de Cracovie. Cette nouvelle référence à une ville réelle de Pologne proche de Varsovie, semble renforcer le réalisme de l'histoire. Le paysan poursuit : « j'ai vu emporter les corps de plus de trois cents nobles et de cinq cent magistrats qu'on a tué ». Le réalisme prétendu est mise à mal par l'événement raconté qui relève de l'excessif. On est dans la démesure des prises de décisions d'Ubu, le nombres de morts prend une dimension hyperbolique et improbable car on atteint les 800 morts. Et l'expression « de plus de » précédant ces nombres, qui a une valeur de supériorité, participe à montrer l'exubérance de l'acte meurtrier. Cette donnée apporte une dimension terrifiante au Père Ubu qui parait incontrôlable, exterminant tous les gens qui sont sur son passage. La rumeur révèle avant l'heure le roi comme un tyran qui usurpe le pouvoir. Il s'attribue le pouvoir de la justice révélé par le meurtre collectif des « magistrats » et les biens de tous, en commençant par les plus riches c'est-à-dire les « nobles ». Ce despote parait d'autant plus effrayant que l'on perçoit l'inquiétude du paysan dans l'expression « et il parait qu'on va doubler les impôts et que le père Ubu viendra les ramasser lui-même ». Il semble y avoir une incohérence dans les choix d'Ubu, car en doublant les impôts il risque à son tour de se faire renverser par un peuple mécontent. La situation devient absurde puisque le roi ira lui-même faire la récolte des finances. L'avarice du nouveau roi est telle qu'il se rendra dans toutes les maisons. Cette série d'annonces aussi surprenantes les unes que les autres prête à la dérision par son coté outrancier et participe de ce fait à la dimension comique implicite du texte : tous ces vices du roi sont mis en exergue : meurtrier, cruel, avare à l'excès. Il est la caricature parfaite du tyran. L'exclamation à connotation religieuse « Grand Dieu ! » déclamait par l'assemblée de paysans tout entière (« TOUS ») vient renforcer l'idée d'effroi provoqué par cette rumeur. L'interrogation qui s'y rattache : « qu'allons nous devenir ? » participe à la dimension dramatique de leur situation. La peur et le désespoir exprimés par les paysans contribue à constituer la figure tyrannique d'Ubu. La réplique qui suit crée une rupture du ton : « le Père Ubu est un affreux sagouin et sa famille est, dit-on, abominable ». Le terme « sagouin » qui signifie « personne, enfant malpropre, grossier » tiré d'un registre familier semble tourner en ridicule Ubu : il nous est désigné comme un enfant, ce qui atténue son image de roi : cela le décrédibilise. On a l'impression d'être dans la raillerie de l'autorité. Mais seulement est ambigu car l'adjectif « affreux » qui qualifie le terme « sagouin » a lui une dimension sérieuse et beaucoup moins légère. Le roi semble inspirer la répulsion et le dégoût. Ce qui se confirme par l'adjectif qualificatif « abominable » qui crée une redondance. On est dans l'insistance du caractère négatif du roi qui ressort comme un être ignoble. De plus, l'expression verbale « dit-on » nous renvoie encore une fois à la notion de rumeur vu précédemment. Cela participe à créer une attente chez le spectateur qui n'est pas sur de ce qui est dit et qui reste encore dans le doute, sachant que ces paroles ne sont que des paroles entendues, rapportées. Cet aspect terrifiant du roi et de sa famille n'est pas encore tout à fait validé puisque l'on est dans la rumeur. Cela contribue à la montée du suspense concernant le sort des paysans. Puis la question pragmatique d'un des paysans : « ne dirait-on pas qu'on frappe à la porte » fait retomber la tension pseudo-dramatique entretenue jusqu'alors. Et la tournure de phrase du paysan est d'un registre soutenu, ce qui a un coté invraisemblable et burlesque, le ton comique s'insinue de façon implicite dans les répliques. L'information « une voix, au dehors » semble donner un avant -gout du comique qui va suivre. Effectivement, pourquoi Jarry n'a-t-il pas préciser directement qu'il s'agissait d'Ubu ? Il maintient de façon exagéré un suspens qui n'en est pas. Le premier mot prononcé par le roi est totalement incongrue. L'interjection « Cornegidouille » est un néologisme inventé par Jarry qui correspond à une alliance de deux mots chers à Ubu « la corne » pouvant être interprété comme l'image du sexe masculin, et la gidouille terme propre à Jarry qui est une désignation du ventre. Ça apporte une dimension bouffonne à Ubu qui selon son rang, devrait avoir un langage approprié, c'est-à-dire noble. L'ordre d'Ubu qui réclame : « Ouvrez, de par ma merdre, par Saint Jean, Saint Pierre et Saint Nicolas ! » montre le niveau de langue familier qu'utilise le roi, à la différence des paysans qui ont un discours châtié. Les registres de langue se mélange, on est donc au coeur du comique burlesque. A cela s'ajoute la dimension grotesque des paroles d'Ubu qui jure sur sa « merdre » et à la fois sur des saints. Il met sur le même plan le terme « merdre » qui est un jeu verbal récurrent dans l'oeuvre faisant référence à la scatologie et des noms de saints, qui sont en plus des figures tutélaires de la religion : Saint Pierre est par exemple considéré comme le rocher, le fondement de l'église chrétienne, et Saint Nicolas, en allemand Santa Claus, qui est à l'origine du père noël. On comprend alors le jeu de provocation de Jarry qui à travers la bouche d'Ubu subvertit les fondements religieux. On peut supposer que l'évocation des noms des trois saints suggérerait la trinité, ce qui participe à se moquer de la religion. D'ailleurs dans l'oeuvre « La philosophie d'Ubu », l'auteur Daniel Accursi dit que par l'expression (potache) « merdre » Ubu veut signifier à ses concitoyens cet impératif : N'ayez pas honte, déculpabilisez vous, libérez vous de toute cette religiosité qui vous colle à la peau ». Cela est confirmé plus haut dans le texte par l'expression « Grand dieu ! » d'un des paysans. Le seul dieu que possède Ubu serait l'argent. En effet, l'expression impérative « Ouvrez, sabre à finances, corne finances, je viens chercher les impôts » vient illustrer cela. La répétition du terme « finance » et de l'emploi du terme « impôts » montre son appât du gain soutenu par une violence verbale : Il insulte les paysans de façon bouffonne à travers des expressions incompréhensibles « sabre à finances » et « corne finances ». Jarry s'amuse à faire vaciller son personnage entre l'homme autoritaire et despotique d'après la répétition de l'impératif « Ouvrez » et un langage pourvu d'expressions bizarres qui prête à rire. L'expression « corne finance » allie de façon absurde la corne qui peut être interprété comme l'image du sexe masculin et l'argent. On a du mal a comprendre ce qui les unie. Il est difficile de savoir si Jarry à travers de telles expressions à pour but de provoquer le rire, ou s'il soutient une idée sous-jacente : l'expression « sabre à finances » ne veut en soi rien dire mais associe le terme « sabre » qui connote la violence, la guerre, le combat et le terme finance. Peut être qu'à travers ses jeux verbaux, se dessine le portrait caricatural d'Ubu, dont l'existence ne se fonde que sur ses deux valeurs : L'argent et la guerre. La didascalie révèle le caractère violent à l'outrance du roi, dans « la porte est défoncée ». Il exerce son autorité non sur la loi, mais sur la force, cela participe à la subversion de l'image du pouvoir. L'expression « Ubu pénètre suivi d'une légion de grippe-sous » tend à tourner en ridicule l'entrée du roi dans la maison. Le terme « légion » qui correspondait dans l'armée romaine à 6000 hommes donc à un grand nombre de personnes semble ici excessif, totalement déraisonnable comme s'il était nécessaire d'autant de sujets pour récolter les impôts. Enfin l'expression « Grippe-Sous » qui désigne les sujets, représente un groupe d'avares qui font des petits gains sordides. A travers ce terme dépréciatif et familier, on entre pleinement dans une satire du roi : les sujets sont à l'image d'Ubu, l'avarice prône.
Dans cette première partie, on assiste à la construction de l'image d'Ubu au travers du regard des paysans. On voit se mettre en place une parodie burlesque de la figure royale. Tous les vices sont réunis en lui et poussés à leur paroxysme. Dans le seconde partie, le dialogue avec le paysan met en exergue le caractère absurde et dépourvu de toute morale d'Ubu.
Cette seconde partie met en scène deux personnages totalement opposés de par leur rang social.
Les deux premières répliques : « Qui de vous est le plus vieux ? (Un paysan s'avance) Comment te nommes-tu ? » viennent assoir Ubu dans sa posture de roi. Mais la réponse à sa question tourne à la dérision puisque le paysan se nomme « Stanislas Leczinsky », un personnage historique ayant réellement existé : Il est roi de Pologne et beau-père de Louis XV. Jarry joue avec cette référence à la réalité et la parodie : le roi Stanislas est réduit au rang de paysan dans la fiction. On remarque toujours ce rapport complexe à la réalité. Par un jeu de miroir inversé, le paysan est plus proche du roi et le roi Ubu semble plus proche du paysan dans son comportement et sa langue. D'ailleurs la réplique « Et bien, cornegidouille, écoute-moi bien, sinon ces messieurs te couperont les oneilles. » illustre cela avec la présence des deux néologismes « cornegidouille » vu précédemment et « oneilles » renvoyant à la déformation du mot oreilles. Ubu emploi un lexique imaginaire qui le singularise voir le ridiculise : ils inventent des mots et paraît donc enfantin en comparaison avec son statut. Là encore l'aspect grotesque refait surface. Néanmoins, il est toujours accompagné de cette notion inquiétante de bouffonnerie sanglante puisque on est face à l'évocation d'une violence concrète « ces messieurs te couperont les oneilles ». Ubu se place encore une fois dans la posture du tyran qui torture et ne s'en cache pas. Cette affirmation de la violence donne un aspect presque sadique au personnage qui prend plaisir à voir souffrir les gens. L'ordre « Mais, vas-tu m'écouter enfin ? » déstructure encore une fois la cohérence du récit et replonge le spectateur dans la notion d'absurde : il fait preuve d'un abus d'autorité car le paysan n'a encore rien dit. Ce que le paysan ne va pas manquer de lui faire souligner tout en gardant un immense respect : « Mais Votre Excellence n'a encore rien dit. » marquant l'assujettissement forcé de l'homme. Par sa réponse : « Comment, je parle depuis une heure. » Ubu, ayant conscience de sa puissance, en profite pour continuer d'affirmer des absurdités dont le spectateur est témoin (il a bien vu qu'il ne parle pas depuis une heure mais qu'il vient de commencer). La question rhétorique qui suit : « Crois-tu que je vienne ici pour prêcher dans le désert ? » agresse l'interlocuteur. Le personnage despotique paraît d'autant plus inquiétant que son raisonnement est absurde. En effet, on ne comprend pas la réaction du Père Ubu qui narre des faits contraires à la réalité. Il semble y avoir une volonté de la part du roi de culpabiliser son interlocuteur en se positionnant comme ayant un rôle essentiel : celui de porte-parole d'un discours essentiel car le terme « prêcher » signifie enseigner la parole de Dieu. Encore une fois, à travers ce terme fort, on ressent toute la dérision de Jarry qui crée un décalage volontaire entre la dimension pragmatique de la récolte des finances et le geste élevé de transmettre les vérités de la foi. On pourrait éventuellement supposer que l'expression « prêcher dans le désert » est tournée en dérision puisqu'elle fait probablement référence à l'exode dans le désert de Moïse. La question d'Ubu a l'effet voulu puisque Stanislas dans sa réponse : « Loin de moi cette pensée. » fait preuve d'un respect inouï. Cela met en relief une fois encore un langage châtié qui entre en contradiction avec son statut mais également qui contraste nettement avec le langage du roi.
La réplique qui suit : « Je viens donc te dire, t'ordonner et te signifier que tu aies à produire et exhiber promptement ta finance, sinon tu seras massacré. » constitue une gradation crescendo de la part d'Ubu avec les termes « dire », « ordonner » et « signifier ». Il va du simple mot de dire à l'ordre comme si toutes ces paroles étaient sacrées et que tout le monde devait les écouter, les suivre. En effet, le terme « signifier » qui implique l'idée de faire connaître d'une façon ferme et définitive une décision, une volonté vient appuyer de manière presque outrancière la figure autoritaire d'Ubu, autorité qui devient risible de part cette redondance des mots. De plus, ce terme peut également renvoyer au champ lexical de la justice au sens de : « notifier par voie de justice », ce qui provoque encore une fois un décalage entre la posture tyrannique d'Ubu et la justice fondée sur la morale, le respect de ce qui est conforme au droit et qui donc dans le cas présent n'a absolument pas lieu d'être. On ressent encore une fois cette tyrannie du personnage avec la menace qu'il fait au paysan, introduite par la conjonction « sinon : « sinon tu seras massacré ». Il promet donc la mort à l'homme s'il ne « produit et n'exhibe » pas au plus vite sa « finance » c'est-à-dire son argent qui reviendra en grande partie au roi. On n'a là encore la mise en avant de l'argent et de la soif inassouvi du souverain. La figure despotique d'Ubu est renforcé par cette violence physique qu'il laisse transparaître dans l'horreur de ses propos : car ce n'est pas n'importe quel mort qu'il promet si ces sujets ne se soumettent pas : en effet le terme « massacré » implique de tuer sa victime avec sauvagerie, d'une manière particulièrement odieuse. On reconnaît là les méthodes oppressives et violentes qui caractérisent généralement le tyran. Cela s'applique tout particulièrement ici. On ne sait donc comment se placer face à cette oscillation permanente du discours qui varie entre absurde et bouffonnerie sanglante. Ubu se place en despote qui n'a pour seul raison d'être : l'argent. La phrase qui suit : « Allons, messeigneurs les salopins de finance, voiturez ici les voiturins à phynances. » vient une fois encore créée une rupture dans le ton du propos. En effet, l'emploi de néologismes tels que « salopins » qui semble vouloir caractériser de manière dépréciative les sujets d'Ubu remet en place le grotesque en étant rattaché directement au terme de « messeigneurs », créant ainsi un oxymore. Ubu mélange les niveaux de langue créant ainsi une incohérence de ses propos entraînant le rire du spectateur. La répétition provoquée par les termes « voiturez » et « voiturin » vient là encore tourner en ridicule le besoin irrépressible d'argent du Père Ubu. Il semble obnubilé par cela. On remarque tut de même ici, une distinction entre les deux termes finance et phynance. Il faut savoir que d'après Jarry, la phynance représente « les honneurs en face de la satisfaction de soi pour soi seul [...] », c'est-à-dire toutes les satisfactions (gloire, richesse, pouvoir) liées à l'ambition de parvenir et de dominer. « Le voiturin à phynances » - équivalent de la pôche - sert à amasser les honneurs de ce type. Cette expression vient donc appuyer la figure bouffone et despotique d'Ubu qui vient amasser des honneurs qu'il ne mérite pas. Son caractère tyrannique est également mis en relief par la didascalie : « On apporte le voiturin » qui prouve une fois encore l'autorité d'Ubu : il ordonne, on agit. La parole de Stanislas va une fois encore entrer en totale contradiction avec celle d'Ubu : « Sire, nous ne sommes inscrits sur le registre que pour cent cinquante-deux rixdales que nous avons déjà payées, il y aura tantôt six semaines à la Saint-Mathieu. ». Lui, est cohérent dans ses propos, et semble vouloir raisonner le roi par des faits concrets : « nous avons déjà payées ». Il met ainsi en avant l'absurdité de la demande abusive du roi. Le fait qu'il rattache ces faits à « Saint Mathieu » qui était un collecteur d'impôts, apôtre et évangéliste va amplifier d'autant plus la figure tyrannique d'Ubu qui va dénigrer cette précédente collecte alors même qu'elle a été faite sous la direction d'une puissance divine, autorité bien plus grande qu'Ubu. La réplique qui suit va d'ailleurs illustrer cela : « C'est fort possible, mais j'ai changé le gouvernement et j'ai fait mettre dans le journal qu'on paierait deux fois tous les impôts et trois fois ceux qui pourront être désignés ultérieurement. » En effet, on remarque là encore l'aspect grotesque de la situation : la demande du roi est abusive et invraisemblable : « on paierait deux fois tous les impôts et trois fois ceux qui pourront être désignés ultérieurement ». Il va jusqu'à prévoir l'augmentation d'impôts encore inexistants, induisant par la même occasion la création de futures impôts. Il valide son statut de tyran bouffon : « j'ai changé le gouvernement ». Mais cette bouffonnerie dont il fait preuve, frôle l'inquiétant : « Avec ce système, j'aurai vite fait fortune, alors je tuerai tout le monde et je m'en irai. » On remarque la mise en valeur de l'argent contre toutes autres valeurs morales. Ubu exulte dans son rôle de roi tyrannique : « alors je tuerai tout le monde et je m'en irai ». La violence de ses paroles et la désinvolture qui s'en dégage laisse transparaître la cruauté du personnage : l'ironie qu'aurait pu provoquer cette rudesse absurde des propos d'Ubu laisse un goût amer d'un despotisme sanglant.
Ce second mouvement assoit le personnage d'Ubu comme un roi tyrannique mais aussi bouffon. En effet, le dialogue absurde qui sous-tend cette scène, fait hésiter le spectateur entre un rire provoqué par le grotesque de la chose mais aussi un sentiment d'angoisse face à cette bouffonnerie qui apparaît comme sanglante.
Comment l'auteur met-il en scène la folie tyrannique d'un roi bouffon et violent ?
Notre première partie englobe la scène 3 dans son intégralité et constitue l'instauration de la parodie du tyran qui va se mettre en lien avec cette « bouffonnerie sanglante » amenée par l'arrivée du roi Ubu.
Notre deuxième partie s'étend du début de la scène 4 jusqu'à « [...] et je m'en irai. » et constitue un dialogue absurde dans lequel le roi maintient sa posture despotique soutenu par un humour potache.
Notre troisième partie s'étend de « Paysans. Monsieur Ubu, de grâce, [...] » jusqu'à la fin de la scène met en évidence les aspirations financières d'Ubu, figure despotique du rentier.
Nous allons aborder dans un premier temps, l'éruption bouffonne du roi dans la maison de ses sujets.
L'extrait débute par une didascalie qui vient définir l'espace scénique et les personnages intervenants : « Une maison de paysans dans les environs de Varsovie. Plusieurs paysans sont assemblés. » Le décor est planté et cela instaure d'ores et déjà une dimension réaliste avec l'indication de lieu « Varsovie » qui est une ville réelle de Pologne située dans le bassin de la Vistule. Cependant, l'expression « une maison dans les environs », malgré cet ancrage historique, conduit à une imprécision géographique qui semble dès cet instant venir brouiller les pistes. L'apparition des « paysans » vient introduire pour la première fois dans la pièce, le point de vue du peuple sur les évènements qui sont entrain de se produire et notamment la prise de pouvoir d'Ubu. L'arrivée du premier paysan est décrite par la didascalie « entrant », il est celui qui apporte la rumeur concernant la prise de pouvoir du Père Ubu : Dans l'expression impérative « Apprenez la grande nouvelle.» on a une dimension hyperbolique du fait racontée. En effet, l'adjectif hyperbolique « grand » donne toute son importance à l'évènement politique qui a eu lieu. Le paysan poursuit l'explication des faits : « Le roi est mort, les ducs aussi et le jeune Bougrelas s'est sauvé avec sa mère dans les montagnes. » Il se fait ici, le messager répandant la nouvelle concernant la chute du roi. Il semble que le paysan ne ressente aucune émotion face à la mort de son souverain, présentant un bilan bref et informatif de la situation actuelle. On peut se demander si le paysan n'est pas dans la réjouissance de l'effondrement de la famille royale, à travers l'expression « grande nouvelle » qui pourrait être perçue comme positive ? Il poursuit : « De plus, le père Ubu s'est emparé du trône. ». L'expression « le Père Ubu » est une appellation familière qui vient rendre compte d'une probable bienveillance envers ce nouveau roi. Cette dernière réplique provoque l'étonnement du lecteur car le registre de langue du paysan parait soutenu, on le remarque à travers l'outil de liaison « De plus ». On ne s'attend pas à une telle éloquence. Le registre employé ne correspond pas à la position sociale du personnage. Ce jeu d'inversion des registres révèle l'intention de Jarry de jouer avec le langage et le burlesque. Il semble s'amuser à travestir les propos du paysan en les élevant. Puis la rumeur concernant Ubu roi s'alimente d'une nouvelle prise de parole d' « un autre » paysan. Ce personnage est cité sans précision de son nom, on est dans l'indétermination de son identité, il semble que seule ce qu'il a à dire importe comme l'atteste sa réplique : « j'en sais bien d'autres. » Il se présente comme un témoin directe de la passation de pouvoir en expliquant qu'il vient de Cracovie. Cette nouvelle référence à une ville réelle de Pologne proche de Varsovie, semble renforcer le réalisme de l'histoire. Le paysan poursuit : « j'ai vu emporter les corps de plus de trois cents nobles et de cinq cent magistrats qu'on a tué ». Le réalisme prétendu est mise à mal par l'événement raconté qui relève de l'excessif. On est dans la démesure des prises de décisions d'Ubu, le nombres de morts prend une dimension hyperbolique et improbable car on atteint les 800 morts. Et l'expression « de plus de » précédant ces nombres, qui a une valeur de supériorité, participe à montrer l'exubérance de l'acte meurtrier. Cette donnée apporte une dimension terrifiante au Père Ubu qui parait incontrôlable, exterminant tous les gens qui sont sur son passage. La rumeur révèle avant l'heure le roi comme un tyran qui usurpe le pouvoir. Il s'attribue le pouvoir de la justice révélé par le meurtre collectif des « magistrats » et les biens de tous, en commençant par les plus riches c'est-à-dire les « nobles ». Ce despote parait d'autant plus effrayant que l'on perçoit l'inquiétude du paysan dans l'expression « et il parait qu'on va doubler les impôts et que le père Ubu viendra les ramasser lui-même ». Il semble y avoir une incohérence dans les choix d'Ubu, car en doublant les impôts il risque à son tour de se faire renverser par un peuple mécontent. La situation devient absurde puisque le roi ira lui-même faire la récolte des finances. L'avarice du nouveau roi est telle qu'il se rendra dans toutes les maisons. Cette série d'annonces aussi surprenantes les unes que les autres prête à la dérision par son coté outrancier et participe de ce fait à la dimension comique implicite du texte : tous ces vices du roi sont mis en exergue : meurtrier, cruel, avare à l'excès. Il est la caricature parfaite du tyran. L'exclamation à connotation religieuse « Grand Dieu ! » déclamait par l'assemblée de paysans tout entière (« TOUS ») vient renforcer l'idée d'effroi provoqué par cette rumeur. L'interrogation qui s'y rattache : « qu'allons nous devenir ? » participe à la dimension dramatique de leur situation. La peur et le désespoir exprimés par les paysans contribue à constituer la figure tyrannique d'Ubu. La réplique qui suit crée une rupture du ton : « le Père Ubu est un affreux sagouin et sa famille est, dit-on, abominable ». Le terme « sagouin » qui signifie « personne, enfant malpropre, grossier » tiré d'un registre familier semble tourner en ridicule Ubu : il nous est désigné comme un enfant, ce qui atténue son image de roi : cela le décrédibilise. On a l'impression d'être dans la raillerie de l'autorité. Mais seulement est ambigu car l'adjectif « affreux » qui qualifie le terme « sagouin » a lui une dimension sérieuse et beaucoup moins légère. Le roi semble inspirer la répulsion et le dégoût. Ce qui se confirme par l'adjectif qualificatif « abominable » qui crée une redondance. On est dans l'insistance du caractère négatif du roi qui ressort comme un être ignoble. De plus, l'expression verbale « dit-on » nous renvoie encore une fois à la notion de rumeur vu précédemment. Cela participe à créer une attente chez le spectateur qui n'est pas sur de ce qui est dit et qui reste encore dans le doute, sachant que ces paroles ne sont que des paroles entendues, rapportées. Cet aspect terrifiant du roi et de sa famille n'est pas encore tout à fait validé puisque l'on est dans la rumeur. Cela contribue à la montée du suspense concernant le sort des paysans. Puis la question pragmatique d'un des paysans : « ne dirait-on pas qu'on frappe à la porte » fait retomber la tension pseudo-dramatique entretenue jusqu'alors. Et la tournure de phrase du paysan est d'un registre soutenu, ce qui a un coté invraisemblable et burlesque, le ton comique s'insinue de façon implicite dans les répliques. L'information « une voix, au dehors » semble donner un avant -gout du comique qui va suivre. Effectivement, pourquoi Jarry n'a-t-il pas préciser directement qu'il s'agissait d'Ubu ? Il maintient de façon exagéré un suspens qui n'en est pas. Le premier mot prononcé par le roi est totalement incongrue. L'interjection « Cornegidouille » est un néologisme inventé par Jarry qui correspond à une alliance de deux mots chers à Ubu « la corne » pouvant être interprété comme l'image du sexe masculin, et la gidouille terme propre à Jarry qui est une désignation du ventre. Ça apporte une dimension bouffonne à Ubu qui selon son rang, devrait avoir un langage approprié, c'est-à-dire noble. L'ordre d'Ubu qui réclame : « Ouvrez, de par ma merdre, par Saint Jean, Saint Pierre et Saint Nicolas ! » montre le niveau de langue familier qu'utilise le roi, à la différence des paysans qui ont un discours châtié. Les registres de langue se mélange, on est donc au coeur du comique burlesque. A cela s'ajoute la dimension grotesque des paroles d'Ubu qui jure sur sa « merdre » et à la fois sur des saints. Il met sur le même plan le terme « merdre » qui est un jeu verbal récurrent dans l'oeuvre faisant référence à la scatologie et des noms de saints, qui sont en plus des figures tutélaires de la religion : Saint Pierre est par exemple considéré comme le rocher, le fondement de l'église chrétienne, et Saint Nicolas, en allemand Santa Claus, qui est à l'origine du père noël. On comprend alors le jeu de provocation de Jarry qui à travers la bouche d'Ubu subvertit les fondements religieux. On peut supposer que l'évocation des noms des trois saints suggérerait la trinité, ce qui participe à se moquer de la religion. D'ailleurs dans l'oeuvre « La philosophie d'Ubu », l'auteur Daniel Accursi dit que par l'expression (potache) « merdre » Ubu veut signifier à ses concitoyens cet impératif : N'ayez pas honte, déculpabilisez vous, libérez vous de toute cette religiosité qui vous colle à la peau ». Cela est confirmé plus haut dans le texte par l'expression « Grand dieu ! » d'un des paysans. Le seul dieu que possède Ubu serait l'argent. En effet, l'expression impérative « Ouvrez, sabre à finances, corne finances, je viens chercher les impôts » vient illustrer cela. La répétition du terme « finance » et de l'emploi du terme « impôts » montre son appât du gain soutenu par une violence verbale : Il insulte les paysans de façon bouffonne à travers des expressions incompréhensibles « sabre à finances » et « corne finances ». Jarry s'amuse à faire vaciller son personnage entre l'homme autoritaire et despotique d'après la répétition de l'impératif « Ouvrez » et un langage pourvu d'expressions bizarres qui prête à rire. L'expression « corne finance » allie de façon absurde la corne qui peut être interprété comme l'image du sexe masculin et l'argent. On a du mal a comprendre ce qui les unie. Il est difficile de savoir si Jarry à travers de telles expressions à pour but de provoquer le rire, ou s'il soutient une idée sous-jacente : l'expression « sabre à finances » ne veut en soi rien dire mais associe le terme « sabre » qui connote la violence, la guerre, le combat et le terme finance. Peut être qu'à travers ses jeux verbaux, se dessine le portrait caricatural d'Ubu, dont l'existence ne se fonde que sur ses deux valeurs : L'argent et la guerre. La didascalie révèle le caractère violent à l'outrance du roi, dans « la porte est défoncée ». Il exerce son autorité non sur la loi, mais sur la force, cela participe à la subversion de l'image du pouvoir. L'expression « Ubu pénètre suivi d'une légion de grippe-sous » tend à tourner en ridicule l'entrée du roi dans la maison. Le terme « légion » qui correspondait dans l'armée romaine à 6000 hommes donc à un grand nombre de personnes semble ici excessif, totalement déraisonnable comme s'il était nécessaire d'autant de sujets pour récolter les impôts. Enfin l'expression « Grippe-Sous » qui désigne les sujets, représente un groupe d'avares qui font des petits gains sordides. A travers ce terme dépréciatif et familier, on entre pleinement dans une satire du roi : les sujets sont à l'image d'Ubu, l'avarice prône.
Dans cette première partie, on assiste à la construction de l'image d'Ubu au travers du regard des paysans. On voit se mettre en place une parodie burlesque de la figure royale. Tous les vices sont réunis en lui et poussés à leur paroxysme. Dans le seconde partie, le dialogue avec le paysan met en exergue le caractère absurde et dépourvu de toute morale d'Ubu.
Cette seconde partie met en scène deux personnages totalement opposés de par leur rang social.
Les deux premières répliques : « Qui de vous est le plus vieux ? (Un paysan s'avance) Comment te nommes-tu ? » viennent assoir Ubu dans sa posture de roi. Mais la réponse à sa question tourne à la dérision puisque le paysan se nomme « Stanislas Leczinsky », un personnage historique ayant réellement existé : Il est roi de Pologne et beau-père de Louis XV. Jarry joue avec cette référence à la réalité et la parodie : le roi Stanislas est réduit au rang de paysan dans la fiction. On remarque toujours ce rapport complexe à la réalité. Par un jeu de miroir inversé, le paysan est plus proche du roi et le roi Ubu semble plus proche du paysan dans son comportement et sa langue. D'ailleurs la réplique « Et bien, cornegidouille, écoute-moi bien, sinon ces messieurs te couperont les oneilles. » illustre cela avec la présence des deux néologismes « cornegidouille » vu précédemment et « oneilles » renvoyant à la déformation du mot oreilles. Ubu emploi un lexique imaginaire qui le singularise voir le ridiculise : ils inventent des mots et paraît donc enfantin en comparaison avec son statut. Là encore l'aspect grotesque refait surface. Néanmoins, il est toujours accompagné de cette notion inquiétante de bouffonnerie sanglante puisque on est face à l'évocation d'une violence concrète « ces messieurs te couperont les oneilles ». Ubu se place encore une fois dans la posture du tyran qui torture et ne s'en cache pas. Cette affirmation de la violence donne un aspect presque sadique au personnage qui prend plaisir à voir souffrir les gens. L'ordre « Mais, vas-tu m'écouter enfin ? » déstructure encore une fois la cohérence du récit et replonge le spectateur dans la notion d'absurde : il fait preuve d'un abus d'autorité car le paysan n'a encore rien dit. Ce que le paysan ne va pas manquer de lui faire souligner tout en gardant un immense respect : « Mais Votre Excellence n'a encore rien dit. » marquant l'assujettissement forcé de l'homme. Par sa réponse : « Comment, je parle depuis une heure. » Ubu, ayant conscience de sa puissance, en profite pour continuer d'affirmer des absurdités dont le spectateur est témoin (il a bien vu qu'il ne parle pas depuis une heure mais qu'il vient de commencer). La question rhétorique qui suit : « Crois-tu que je vienne ici pour prêcher dans le désert ? » agresse l'interlocuteur. Le personnage despotique paraît d'autant plus inquiétant que son raisonnement est absurde. En effet, on ne comprend pas la réaction du Père Ubu qui narre des faits contraires à la réalité. Il semble y avoir une volonté de la part du roi de culpabiliser son interlocuteur en se positionnant comme ayant un rôle essentiel : celui de porte-parole d'un discours essentiel car le terme « prêcher » signifie enseigner la parole de Dieu. Encore une fois, à travers ce terme fort, on ressent toute la dérision de Jarry qui crée un décalage volontaire entre la dimension pragmatique de la récolte des finances et le geste élevé de transmettre les vérités de la foi. On pourrait éventuellement supposer que l'expression « prêcher dans le désert » est tournée en dérision puisqu'elle fait probablement référence à l'exode dans le désert de Moïse. La question d'Ubu a l'effet voulu puisque Stanislas dans sa réponse : « Loin de moi cette pensée. » fait preuve d'un respect inouï. Cela met en relief une fois encore un langage châtié qui entre en contradiction avec son statut mais également qui contraste nettement avec le langage du roi.
La réplique qui suit : « Je viens donc te dire, t'ordonner et te signifier que tu aies à produire et exhiber promptement ta finance, sinon tu seras massacré. » constitue une gradation crescendo de la part d'Ubu avec les termes « dire », « ordonner » et « signifier ». Il va du simple mot de dire à l'ordre comme si toutes ces paroles étaient sacrées et que tout le monde devait les écouter, les suivre. En effet, le terme « signifier » qui implique l'idée de faire connaître d'une façon ferme et définitive une décision, une volonté vient appuyer de manière presque outrancière la figure autoritaire d'Ubu, autorité qui devient risible de part cette redondance des mots. De plus, ce terme peut également renvoyer au champ lexical de la justice au sens de : « notifier par voie de justice », ce qui provoque encore une fois un décalage entre la posture tyrannique d'Ubu et la justice fondée sur la morale, le respect de ce qui est conforme au droit et qui donc dans le cas présent n'a absolument pas lieu d'être. On ressent encore une fois cette tyrannie du personnage avec la menace qu'il fait au paysan, introduite par la conjonction « sinon : « sinon tu seras massacré ». Il promet donc la mort à l'homme s'il ne « produit et n'exhibe » pas au plus vite sa « finance » c'est-à-dire son argent qui reviendra en grande partie au roi. On n'a là encore la mise en avant de l'argent et de la soif inassouvi du souverain. La figure despotique d'Ubu est renforcé par cette violence physique qu'il laisse transparaître dans l'horreur de ses propos : car ce n'est pas n'importe quel mort qu'il promet si ces sujets ne se soumettent pas : en effet le terme « massacré » implique de tuer sa victime avec sauvagerie, d'une manière particulièrement odieuse. On reconnaît là les méthodes oppressives et violentes qui caractérisent généralement le tyran. Cela s'applique tout particulièrement ici. On ne sait donc comment se placer face à cette oscillation permanente du discours qui varie entre absurde et bouffonnerie sanglante. Ubu se place en despote qui n'a pour seul raison d'être : l'argent. La phrase qui suit : « Allons, messeigneurs les salopins de finance, voiturez ici les voiturins à phynances. » vient une fois encore créée une rupture dans le ton du propos. En effet, l'emploi de néologismes tels que « salopins » qui semble vouloir caractériser de manière dépréciative les sujets d'Ubu remet en place le grotesque en étant rattaché directement au terme de « messeigneurs », créant ainsi un oxymore. Ubu mélange les niveaux de langue créant ainsi une incohérence de ses propos entraînant le rire du spectateur. La répétition provoquée par les termes « voiturez » et « voiturin » vient là encore tourner en ridicule le besoin irrépressible d'argent du Père Ubu. Il semble obnubilé par cela. On remarque tut de même ici, une distinction entre les deux termes finance et phynance. Il faut savoir que d'après Jarry, la phynance représente « les honneurs en face de la satisfaction de soi pour soi seul [...] », c'est-à-dire toutes les satisfactions (gloire, richesse, pouvoir) liées à l'ambition de parvenir et de dominer. « Le voiturin à phynances » - équivalent de la pôche - sert à amasser les honneurs de ce type. Cette expression vient donc appuyer la figure bouffone et despotique d'Ubu qui vient amasser des honneurs qu'il ne mérite pas. Son caractère tyrannique est également mis en relief par la didascalie : « On apporte le voiturin » qui prouve une fois encore l'autorité d'Ubu : il ordonne, on agit. La parole de Stanislas va une fois encore entrer en totale contradiction avec celle d'Ubu : « Sire, nous ne sommes inscrits sur le registre que pour cent cinquante-deux rixdales que nous avons déjà payées, il y aura tantôt six semaines à la Saint-Mathieu. ». Lui, est cohérent dans ses propos, et semble vouloir raisonner le roi par des faits concrets : « nous avons déjà payées ». Il met ainsi en avant l'absurdité de la demande abusive du roi. Le fait qu'il rattache ces faits à « Saint Mathieu » qui était un collecteur d'impôts, apôtre et évangéliste va amplifier d'autant plus la figure tyrannique d'Ubu qui va dénigrer cette précédente collecte alors même qu'elle a été faite sous la direction d'une puissance divine, autorité bien plus grande qu'Ubu. La réplique qui suit va d'ailleurs illustrer cela : « C'est fort possible, mais j'ai changé le gouvernement et j'ai fait mettre dans le journal qu'on paierait deux fois tous les impôts et trois fois ceux qui pourront être désignés ultérieurement. » En effet, on remarque là encore l'aspect grotesque de la situation : la demande du roi est abusive et invraisemblable : « on paierait deux fois tous les impôts et trois fois ceux qui pourront être désignés ultérieurement ». Il va jusqu'à prévoir l'augmentation d'impôts encore inexistants, induisant par la même occasion la création de futures impôts. Il valide son statut de tyran bouffon : « j'ai changé le gouvernement ». Mais cette bouffonnerie dont il fait preuve, frôle l'inquiétant : « Avec ce système, j'aurai vite fait fortune, alors je tuerai tout le monde et je m'en irai. » On remarque la mise en valeur de l'argent contre toutes autres valeurs morales. Ubu exulte dans son rôle de roi tyrannique : « alors je tuerai tout le monde et je m'en irai ». La violence de ses paroles et la désinvolture qui s'en dégage laisse transparaître la cruauté du personnage : l'ironie qu'aurait pu provoquer cette rudesse absurde des propos d'Ubu laisse un goût amer d'un despotisme sanglant.
Ce second mouvement assoit le personnage d'Ubu comme un roi tyrannique mais aussi bouffon. En effet, le dialogue absurde qui sous-tend cette scène, fait hésiter le spectateur entre un rire provoqué par le grotesque de la chose mais aussi un sentiment d'angoisse face à cette bouffonnerie qui apparaît comme sanglante.
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