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Toute communication est-elle indirecte ?

Publié le 11/01/2004

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Les existentialistes dont Sartre principalement ont souligné et ont mis en évidence la mauvaise foi, la difficulté d'être sincère, authentique, honnête dans nos rapports à autrui. Car autrui est à la fois ce qu'il est de plus proche mais aussi de plus dangereux, de plus mortel pour ma conscience; déjà Hegel dans sa dialectique du Maître et de l'Esclave rappelait que toute conscience vise la mort de l'autre (la conscience est alors le Moi paranoïde, fonction de défense et de méconnaissance dont parle Jacques Lacan dans ses Écrits). Souvent les philosophes ont beaucoup plus insisté sur la rupture, la discontinuité entre les êtres, la division, la séparation initiale que rien ne vient à combler ou à suturer, car autrui est radicalement autre, que sur la possibilité et l'espoir toujours renouvelés, toujours recommencés d'approcher l'autre, mon prochain, et de communiquer avec lui. L'autre apparaît comme une blessure, la plaie vive de la conscience qui n'est plus ce lien fort du même et de l'identité, qui n'est plus l'unique, mais qui doit « s'arranger » avec l'altérité, la différence, « l'hétérogène ». Cette difficulté de communiquer avec autrui, d'où vient-elle ? S'il est vrai que toute communication est indirecte, sommes-nous alors condamnés à n'avoir de rapports à autrui que toujours faussés,aliénés, piégés ? N'y a-t-il pas de relation franche directe possible? Faut-il recourir à un « Tiers », le langage ou n'importe quel système signifiant, pour faire entendre à l'autre ce que je veux lui dire, lui faire signifier, lui communiquer. Il convient de nous arrêter un peu, pour nous demander si « toute communication est indirecte ». Communiquer avec autrui demande d'abord de vouloir communiquer, il faut tendre vers autrui, être porté vers lui; soutenir une relation suppose toujours l'intention de communiquer, d'échanger, de raffermir un lien, une entente, il y a un « vouloir dire » originel qui préside à la communication et qui est comme la tension et l'influx qui dirige et qui supporte le vecteur, le lien qui me destine à autrui.

« Parler? Si la communication ne se ramène et ne se résume pas à la parole, à l'usage de la langue, de la parole vive, elle enemprunte pourtant beaucoup; j'ai à dire quelque chose, à faire signifier à quelqu'un, à lui communiquer une idée ou unenouvelle, je vais donc lui parler.

Mais le plus souvent le langage est impropre à exprimer ma joie ou ma douleur, monbonheur ou ma peine.

S'il peut communiquer des concepts, des entités, des abstractions, il ne peut exprimer quedifficilement les sentiments, il ne peut rendre compte qu'imparfaitement du vécu concret, emmêlé, paradoxal,contradictoire.

La communication à ce niveau-là apparaît plus pauvre, car elle est indirecte.

Il y a bien l'autre là, présent àma parole et qui m'écoute (ou réciproquement à qui je « fais passer » du sens, des significations, des mots à qui jetransmets quelque chose) mais il y a aussi tous les mots manquants, perdus ou oubliés, impossibles à dire, à énoncer car ilfaudrait les crier et qu'ils n'existent pas.

Autrui pris à ce circuit où le message revient à l'émetteur ou locuteur (que d'autresappellent souvent le moulin à paroles) après avoir été bien reçu et bien entendu par le récepteur n'est plus alors que ledestinataire d'un message.

Et si le sujet parle à l'adresse de quelqu'un, il doit d'abord passer par le « défilé des signifiants», la «chaîne signifiante », la langue pour que le sens advienne.

Il faut recourir à la langue comme à un instrument ou unmoyen d'expression.

Même si des linguistes ou des analystes dont Jacques Lacan critiquent cette conceptioninstrumentaliste du langage, il n'en demeure pas moins ici vrai qu'à la langue (à « lalangue » alors que l'écrit J.

Lacan dansEncore) il faut un support, un code, le code que représente le consensus social accordé à la langue; au message il faut unmédium et un code.

Le langage est ce lieu de médiation, ce « tiers » par quoi il faut passer pour communiquer.

Et lacommunication est alors toujours indirecte, elle renvoie au stock lexical, à la sédimentation du vocabulaire qui fige et fixeles mots, aux règles syntaxiques et grammaticales qui distribuent les fonctions, à l'encodage de la langue qui la rend «pertinente », apte et propre à communiquer.

La communication renvoie au langage qui délivre le sens et qui est le lieu demédiation, « le lieu de l'autre » (à lire du grand Autre), le lieu du « trésor des signifiants » (Jacques Lacan : Écrits).

Il en estainsi de la langue comme de tout système signifiant langage du corps, des gestes, mimiques et qui relèvent tous d'unapprentissage, de l'acquis d'une culture.

Pourtant n'y a-t-il pas de communication directe possible? Il existe bien une espèce d'accord immédiat où la proximité, lachaleur, l'intimité s'instaurent entre deux êtres, dans « la réciprocité des consciences ».

Malgré ou à côté de la distanceque creuse le langage dont j'use, il y a une sorte de rapport, de contact pur où autrui s'offre à moi immédiatement,directement.

C'est une ouverture large et totale qui ne puise qu'à cette parole incréée, initiale, originelle et originaire, quiparticipe du sentiment, de la sensation, de l'émotion.

Bien sûr cette ouverture est évasive, fuyante, mais je touche autrui,je l'atteins directement.

La communication tend alors vers l'ineffable, l'indicible où un simple regard, l'oeil qui brille, un seulgeste donne à penser.

La communication opère presque magiquement car la « sympathie » (cf.

Max Scheler) qui est union,presque fusion, la fait devenir communion.

Nous sommes transparents l'un à l'autre, et la communication est alors unpartage qui crie l'évidence, et l'accomplissement immédiat de la communication.

La communication participe à la fois d'un rapport où domine la distance, la dissymétrie, l'altérité radicale mais toujours souscette communication indirecte subsiste une relation directe immédiate qui pousse à l'effusion.

L'amour en est le « cogitoexistentiel ». CITATIONS : Socrate conçoit la pensée comme : « Un discours que l'âme se tient à elle-même sur les objets qu'elle examine.

»Platon, Théétète, Ive s.

av.

J.-C. « Les sons émis par la voix sont les symboles des états de l'âme, et les mots écrits les symboles des mots émis par lavoix.

» Aristote, De l'Interprétation, Ive s.

av.

J.-C. « Selon que notre idée est plus ou moins obscure, L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.

Ce que l'on conçoitbien s'énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément.

» Boileau, L'Art poétique, 1674. « On croit ordinairement [...] que ce qu'il y a de plus haut, c'est l'ineffable.

Mais c'est là une opinion superficielle et sansfondement; car, en réalité, l'ineffable, c'est la pensée obscure, la pensée à l'état de fermentation, et qui ne devient claireque lorsqu'elle trouve le mot juste.

» Hegel, La Phénoménologie de l'Esprit, 1807. Pour Hegel, il n'y a pas de pensée véritable hors du langage.

« C'est dans les mots que nous pensons », dit-il plus haut ;par les mots, le sujet pensant objective en quelque sorte ses pensées et les rend accessibles à sa propre conscience. « La langue est [...] comparable à une feuille de papier : la pensée est le recto et le son le verso; on ne peut découperle recto sans découper en même temps le verso.

» Saussure, Cours de linguistique générale, 1916 (posth.) « Nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent: la pensée demeure incommensurable avec lelangage.

» Bergson, Sur les données immédiates de la conscience, 1889. « La pensée n'est rien d'intérieur, elle n'existe pas hors du monde et des mots.

» Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, 1945. « Le signe n'est pas l'enveloppe qu'un pur hasard attribuerait à la pensée, mais son organe nécessaire et essentiel.

»Ernst Cassirer, La Philosophie des formes symboliques.. »

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