Tout dire: « Sous ses saisons... son espoir et son sang son histoire et sa peine ». Commentaire
Publié le 19/12/2021
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«
Tout dire
Le tout est de tout dire, et je manque de mots
Et je manque de temps, et je manque d'audace
Je rêve et je dévide au hasard mes images
J'ai mal vécu, et mal appris à parler clair.
Tout dire les roches, la route et les pavés
Les rues et leurs passants les champs et les bergers
Le duvet du printemps la rouille de l'hiver
Le froid et la chaleur composant un seul fruit
Je veux montrer la foule et chaque homme en détail
Avec ce qui l'anime et qui le désespère
Et sous ses saisons d'homme tout ce qui l'éclaire
Son espoir et son sang son histoire et sa peine
Je veux montrer la foule immense divisée
La foule cloisonnée comme un cimetière
Et la foule plus forte que son ombre impure
Ayant rompu ses murs ayant vaincu ses maîtres
La famille des mains, la famille des feuilles
Et l'animal errant sans personnalité
Le fleuve et la rosée fécondants et fertiles
La justice debout le pouvoir bien planté
_ La structure du poème ici étudié peut sembler déconcertante : si l’organisation
d’alexandrins au sein de strophes régulières peut faire croire à un respect de la forme
classique, une lecture plus attentive a tôt fait de détromper le lecteur.
Non seulement la
succession de cinq quatrains ne correspond à aucune forme connue, mais les vers ne sont
rimés qu’en deux endroits, et par des rimes pauvres.
Le sens même du texte répond à la
même étrangeté : chaque phrase est claire en soi, mais leur succession semble être un
amalgame décousu.
Une étude rigoureuse se doit donc d’explorer le poème non pas à
travers ce qu’il signifie, mais en fonction de ses apparentes contradictions internes.
I Un poème pour tout dire
_ La figure la plus visible du poème est celle de la répétition, très marquée dans la troisième
strophe par la longue allitération en « s » : « Sou ssessaison s... son e spoir et son sang
son hi stoire et sa peine ».
Le procédé produit ici un effet d’accumulation, qui tend à donner
à l’énumération une apparence d’exhaustivité.
Le poème d’Eluard, comme le suggère son
titre « Tout dire », est un poème sans thème déterminé, ou plutôt un poème dont
l’ambition dépasse l’univers lexical qu’il met en place.
A ce titre, la première affirmation du
poème, « Le tout est de tout dire », joue des différentes natures grammaticales d’un même
mot, pour établir une correspondance entre le monde et son expression.
En effet, le
premier « tout » est un substantif, le second un adjectif numéral.
La phrase réduite à sa
pure articulation logique, revient à dire « tout = tout dire ».
Ainsi, Eluard reprend à son
compte la célèbre affirmation de Saint Jean « Au commencement était le verbe » pour lui
donner un contenu littéraire.
Le poème n’est rien d’autre que sa propre expression, il a
donc le devoir de tout énoncer du réel.
_ Une telle exigence est évidemment impossible à satisfaire totalement, puisque le poème
est un système sémantique, c’est-à-dire une configuration de terme particuliers désignant
des réalités particulières.
Par conséquent, il convient d’analyser les situations concrètes
décrites dans le poème, comme si nous avions affaire à n’importe quel texte en prose, afin
d’en déduire ce qui ne sera plus seulement une description, mais une qualité de regard.
Deux champs lexicaux apparemment fort étranger l’un à l’autre coexistent dans ce texte :
l’image du printemps, du renouveau naturel fait l’objet de la deuxième et de la cinquième.
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