Texte Bac Le Retour au désert (1988), scène 2, Bernard-Marie Koltès
Publié le 11/06/2024
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Texte Bac Le Retour au désert (1988), scène 2, Bernard-Marie Koltès
Eléments d’introduction :
Présentation générale :
L’auteur :
Bernard-Marie Koltès (1948 – 1989) ; mort à 41 ans du SIDA, tout comme Lagarce ; enfance
bourgeoise ; adolescence tumultueuse ; vocation théâtrale à 20 ans en voyant Maria Casarès
dans Médée ; nombreux voyages ; rencontre avec le metteur en scène Patrice Chéreau.
Le théâtre de Koltès est à la fois :
•
•
Très terre à terre, car il puise ses sujets dans la noirceur du monde (itinéraire du tueur
en série Roberto Succo dans la pièce Roberto Zucco, vie dans les chantiers en Afrique
dans CNC, les banlieues dans La Nuit juste avant les forêts, etc.)
Très profond et poétique, car il porte sur des sujets universels, qui préoccupent les
hommes depuis l’Antiquité, dans les tragédies dont s’inspire Koltès (les liens ou les
obstacles entre les hommes, la question du langage et de l’incommunicabilité, la quête
de soi, etc.)
Présentation de l’œuvre et de l’extrait :
Sujet de l’œuvre :
La pièce se déroule au début des années 60, dans une petite ville de l'Est de la France.
Accompagnée de ses enfants, Édouard et Fatima, Mathilde, après quinze années passées en
Algérie, revient dans la demeure familiale.
Elle y retrouve son frère Adrien Serpenoise, son
neveu Mathieu et sa belle-soeur Marthe.
Mathilde vient habiter la maison qu’elle a hérité jadis
de son père tandis qu'Adrien recevait l'usine désormais au bord de la faillite.
Présentation du texte : Nous avons ici la scène 2 de la pièce.
Il s’agit de l’accueil de Mathilde
par son frère.
Commence alors un échange verbal qui se transforme peu à peu en affrontement.
Lecture
Problématique : En quoi peut-on dire que dans ce texte, la crise se dévoile progressivement
entre le frère et la sœur ?
Annonce du plan linéaire :
I) Ligne 1 à 13 : Une conversation hypocrite (de la didascalie initiale « Entre Adrien… » à «
…dans la sécurité de cette maison »).
II) Ligne 14 à 24 : Une joute verbale qui s’intensifie (de « Mes racines ? Quelles racines ? » à
« … nous préparerons ton départ).
III) Ligne 25 à la fin : Le cœur du problème (de « Mais je ne suis pas venue… » à la fin).
Analyse linéaire du texte
Ligne 1 à 13 : Une conversation hypocrite (de la didascalie initiale « Entre Adrien… » à «
…dans la sécurité de cette maison »).
Première réplique d’Adrien
Avec la didascalie initiale « Entre Adrien, en haut de l’escalier », la position d’Adrien, dès le
début de la scène, introduit déjà une différence entre le frère et la sœur.
Adrien surplombe sa
sœur, s’inscrit dans une forme de verticalité, de rapport hiérarchique.
La répétition de « bonne ville » / « bonnes intentions » doublé d’un parallélisme de construction,
montre qu’Adrien met ses paroles sous le signe de la paix, cependant, notamment par
l’insistance de la répétition, et par le côté argumentatif de la question rhétorique « Es-tu venue
avec de bonnes intentions ? », on sent qu’il cherche presque à imposer cette vision pacifiste de
la situation à sa sœur.
On donc y voir une sorte de gentillesse forcée, contrainte, qui dissimule
des intentions bien moins pacifiques, comme vont le suggérer les répliques suivantes.
La phrase « maintenant que l’âge nous a calmés un peu » évoque des conflits anciens, des
querelles vives dans le passé, par le biais d’une allégorie de l’âge, sous les traits d’une figure
pacificatrice.
Avec le complément circonstanciel «pendant le court temps de ton séjour », Adrien évoque,
l’air de rien, la brièveté du séjour de sa sœur comme quelque chose de déjà décidé, d’entendu
entre les deux.
Dès cette première réplique, qui devrait accueillir sa sœur qu’il n’a pas vue
depuis si longtemps, il évoque non pas son arrivée, mais son départ qu’il souhaite rapide.
Le ton un peu humoristique de la tournure de phrase « J’ai pris l’habitude de ne plus me
chamailler pendant les quinze années de ton absence, et ce serait dur de s’y remettre.
» permet
de formuler une sorte de menace : Adrien estime vivre en paix, et a acquis des habitudes.
Il met
en garde sa sœur contre un éventuel bouleversement de la situation.
La première réplique d’Adrien montre qu’il semble essayer, par des paroles positives et
joyeuses, d’établir un dialogue pacifique et apaisé avec sa sœur.
Cependant, en filigrane on sent
la présence d’anciennes querelles, l’agacement face au retour de Mathilde, qui risque de raviver
des conflits anciens.
Il n’est pas question de bienvenue dans cette première réplique.
Première réplique de Mathilde
Par ces premiers mots, « Adrien, mon frère mes intentions sont excellentes », Mathilde entre
dans la joute verbale avec son frère sans bonjour.
On remarque un parallélisme avec les
premiers mots d’Adrien : « Mathilde, ma sœur ».
On sent une forme d’acidité lorsqu’elle
reprend la question rhétorique d’Adrien, qui n’attendait pas de réponse.
Elle a entendu
l’implicite de la première réplique de son frère et y répond en transformant le « bonnes » en «
excellentes ».
Elle manifeste par cela sa compréhension de la dynamique mise en place par les
paroles d’Adrien, et les retourne contre lui.
On comprend ici qu’elle n’est pas dupe de sa fausse
politesse.
Par l’expression « le très long temps », qui est un antonyme du « court temps » évoqué par
Adrien dans la réplique précédente, elle informe son frère qu’elle est de retour pour de bon.
La
manière dont elle glisse cette information, en répondant du tac au tac à son frère, instille une
forme d’agressivité qui contraste avec l’expression des « intentions … excellentes ».
Le rythme croissant (2/2/6/6) de la phrase « Car moi, l’âge, au lieu de me calmer, m’a beaucoup
énervée » accompagne l’arrivée de la colère, et lui donne aussi un aspect saccadé.
Enfin, on
note une pointe d’humour plutôt acide avec « Entre ton calme et mon énervement, tout devrait
bien se passer » et l’on remarque une antithèse qui nous permet d’affirmer que Mathilde fait de
l’ironie.
On constate que la première réplique de Mathilde est construite sur la même structure que celle
de son frère, dont elle reprend point à point le contenu : prénom + lien de parenté + intentions
+ durée du séjour + évocation humoristique, voire sarcastique de disputes anciennes,
d’énervements.
Adrien évoque les motivations du retour de Mathilde.
Pour rappel : il craint qu’elle ne vienne
récupérer la maison qu’elle possède, et dans laquelle il habite.
Or, il évoque ici une tout autre
cause : se mettre provisoirement à l’abri.
Or, comme il le souligne, «Tu as voulu fuir la guerre,
tout naturellement » si sa présence est liée à la guerre, la fin de la guerre verra le départ de
Mathilde.
L’emploi de l’adverbe « naturellement » est ici hypocrite, car il souligne la légitimité
de la présence de Mathilde, à la condition qu’elle soit provisoire.
Or, selon lui, la présence de
sa sœur est justement tout sauf légitime.
Adrien, en disant que sa sœur a pris la bonne décision « tu as bien fait », se pose comme un «
validateur », quelqu’un qui donne son approbation.
C’est encore une étape dans la lutte de
pouvoir qui a commencé : il se pose comme hiérarchiquement supérieur à Mathilde en émettant
un jugement.
Il insiste ensuite sur le pays où il voudrait voir sa sœur «tu pourras retourner en Algérie, au bon
soleil de l’Algérie » avec la répétition du nom propre « Algérie ».
On peut s’interroger sur
l’emploi de l’adjectif « bon » : « bon » pour qui, pour sa sœur et son bien-être, ou pour luimême, débarrassé de Mathilde ?
« la maison de tes racines » est une manière poétique, idéalisée d’évoquer le retour de Mathilde,
à l’aide de la métaphore des « racines », qui correspond assez mal avec les enjeux de la scène.
Dans la phrase « Et ce temps d’incertitude dans lequel nous sommes tous, tu l’auras traversé
ici, dans la sécurité de cette maison.
», la proposition subordonnée relative « dans lequel nous
sommes tous » évoque une forme d’unité, de solidarité, qui ne correspond pas du tout à la
division qui est à l’œuvre dans ce passage.
Il est à noter que lorsque Adrien désigne le cœur de
la querelle, il utilise le déterminant démonstratif « cette », et non pas « ta » maison.
C’est une
manière de ne pas concéder à Mathilde le droit de posséder cette maison.
On voit donc que les retrouvailles de Mathilde et d’Adrien, sous des apparences de
bienveillance, d’unité et d’accueil, sont en fait le moyen de montrer les dents à l’autre.
L’agressivité se masque à peine sous des tournures polies et bien choisies, chez l’un comme
chez l’autre.
On remarque néanmoins que dans ce jeu de dupes, Mathilde semble un peu plus
franche qu’Adrien, qui fait preuve de beaucoup d’hypocrisie.
Ligne 14 à 24....
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