TABOU CHEZ LES PSYCHANALYSTES - SUICIDE ET PSYCHANALYSE
Publié le 18/12/2022
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«
TABOU CHEZ
LES PSYCHANALYSTES
Pourquoi les psychanalystes,
à commencer par Freud,
ont-ils si peu parlé du
suicide?
Entretien avec
Élisabeth Roudinesco
Élisabeth Roudinesco est notamment l'auteur d'une
biographie de Théroigne de M éricourt (Le Seuil, 1989)
et d'un Jacques Lacan (Fayard, 1993).
Elle vient de publier une Histoire de la psychanalyse
en France (2 vol., Fayard, 1994).
pas théorisé le suicide en tant que tel, si le
problème n'a pas été abordé de front,
c'est certainement parce qu'il y a eu des
psychanalystes eux-mêmes suicidaires, et
au moins un suicide retentissant, celui de
Viktor Tausk, l'un de ses disciples les
plus proches, en juillet 1919.
Ce suicide a
fait scandale dans la communauté freudienne comme l'a expliqué Paul Roazen
dans Animal, mon frère toi (Payot, 1971).
Ce qui a intéressé Freud, c'est la difféÉusABETH Rouo1NEsco : L'auteur de
rence dans les formes de suicides choisies
cette rupture est Émile Durkheim, qui a par les deux sexes.
Pour lui, cette diffévoulu montrer, à juste titre, que le suicide rence prouve que le symbolisme sexuel
était un phénomène social qui ne dépen- s'étend jusqu'à la mort.
« Le choix d'une
dait ni de la race, ni de l'hérédité, ni de la forme de suicide révèle, dit Freud, cité dans
psychopathologie.
Pour cette raison, il a Les Premiers psychanalystes (Gallimard,
négligé une dimension essentielle du sui- 1978), le symbolisme sexuel le plus primitif:
cide : son aspect psychique.
Ainsi Mme un homme se tue avec un revolver, c'est-àBovary, femme intégrée dans son milieu, dire qu 'il joue avec son pénis, ou bien il se
est le contre-exemple type de la thèse de pend, c'est-à-dire qu'il devient quelque
Durkheim, et pourtant, on le sait, Flaubert chose qui pend de toute sa longueur ; la
avait étudié un cas réel et s'était montré femme connaît trois façons de se suicider,
d'un réalisme total.
Les grands modèles sauter d'une fenêtre, se jeter dans l'eau,
littéraires de suicide font appel à quelque s'empoisonner.
Sauter d'une fenêtre signifie
chose de très profond qui est le désir de accoucher, aller dans l'eau signifie donner
mort, que Durkheim a négligé et dont la naissance, s'empoisonner signifie grossesse,
premièrement parce que la mère souffrant
psychanalyse peut rendre compte.
L'H.
: Freud s'inscrit-il dans la tra- de nausée semble à l'enfant avoir été empoidition psychopathologique du xix• sonnée et deuxièmement parce que l'enfant
siècle ou s'en distingue-t-11 ?
croit qu 'on conçoit les enfants en mangeant
des aliments particuliers.
Ainsi la femme
É.
A.
: Freud est le contemporain de
Durkheim, et son travail s'inscrit dans remplit sa fonction sexuelle même en moul'histoire de la psychopathologie, mais en rant.
» De telles interprétations demanrupture.
Il montre que l'homme est habité dent à être reformulées aujourd'hui parce
que la société a changé.
Freud a égalepar la mort.
ment parlé du suicide des enfants en l'atL'H.
: Com~ent Freud interprètet-il le suicide ?
tribuant à une peur de l'inceste.
D'autre part, la thèse centrale formuÉ.
A.
: En psychanalyse, le suicide ne
fait partie ni des psychoses ni des né- lée par Freud dans Deuil et mélancolie
vroses, mais beaucoup plus du caractère (PUF, 1988), publié en 1917, c'est que
mélancolique.
Ce n'est pas un acte fou le suicide est une forme d'autopunition,
mais une actualisation de la pulsion de un désir de mort dirigé contre autrui
mort.
Toutefois, ce qu'il faut noter, c'est qui se retourne contre soi3.
Ce qui
le silence du milieu psychanalytique sur la confirme les trois grandes tendances du
question.
En effet, la question pour Freud suicide du point de vue psychopatholoet ses disciples, c'était d'essayer de guérir gique : désir de mourir, désir de tuer,
ses patients ; il fallait montrer que la psy- désir d'être tué.
Il s'agit en fait de se tuer
chanalyse était efficace.
Et si Freud n'a pour ne pas tuer l'autre.
L'HISTOIRE : Il semble que bien
avant l'élaboration des théories
freudiennes sur le suicide, une
rupture soit intervenue au cours
du x1x• siècle, sous la pression
conjointe des aliénistes et des sociologues : désormais le suicide
échappe à la condamnation
morale pour devenir un symptôme
que
l'on
étudie
de
façon
scientifique.
L ' HI ST OIRE N '
43
189 JUIN
199 5
L'H.
: Vous évoquiez le tabou du
suicide dans les milieux analytiques.
Qu'en est-li aujourd'hui ?
É.
A.
: La question est toujours ambiguë: si la psychanalyse avoue qu'elle n'arrive pas à guérir les personnes suicidaires,
c'est comme si elle faisait l'aveu de son
échec.
En réalité, il est évident que quand
quelqu'un veut vraiment se suicider, aucune thérapie ne permet de l'en empêcher.
Cependant, on ne sait pas ce que seraient devenus certains patients suicidaires et « rescapés » de ce désir de mort
s'ils n'avaient pas fait d'analyse.
On ne
peut donc pas trancher la question de manière simple.
L'H.
: Aujourd'hui, la dépathologisation du suicide et sa réhabilitation comme choix individuel sont à
la mode.
Que pensez-vous d'un
livre comme ◄e Suicide mode d'emploi ,.
dont l'éditeur, Alain Moreau,
vient d'être condamné à une forte
amende pour réédition d'un ouvrage ◄e provoquant au suicide » ?
É.
A.
: Cet ouvrage n'est pas une réhabilitation du choix individuel, mais un livre
qui milite de façon fanatique pour un hypothétique droit à la mort.
Les auteurs
prônent, au nom d'un anarchisme d'ultragauche, une sorte d'euthanasie joyeuse.
Ils
nient la dimension tragique du suicide, et
en défendant l'idée d'un suicide en douceur, par les médicaments, ils tentent de
nier le caractère héroïque, et forcément
violent et atroce de l'acte suicidaire.
Ils
font disparaître le suicide dans la jouissance d'une mort dite douce.
Dans un ouvrage admirable, La Mort
volontaire au Japon (Gallimard, 1984),
qui est le premier livre freudien sur la
question, Maurice Pinguet montre, à partir du cas japonais, que l'extension du
savoir psychiatrique, à la fin du XIX• siècle,
a entraîné la pathologisation de cet acte
qui auparavant ne l'était pas dans la société féodale des samouraïs et que, du
coup, les formes du suicide sont devenues
progressivement pathologiques.
Mais ce
L
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PREMIERS TITRES PARUS
Christofle
Deux siècles d'aventure
industrielle (179....
»
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