Sujet: Jean Anouilh, Antigone, (1944)
Publié le 19/12/2021
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«
Sujet : Jean Anouilh, Antigone , (1944)
« CRÉON, sourdement .
- Eh bien, oui, j'ai peur d'être obligé de te faire tuer si tu
t'obstines.
Et je ne le voudrais pas.
ANTIGONE - Moi, je ne suis pas obligée de faire ce que je ne voudrais pas! Vous
n'auriez pas voulu non plus, peut-être, refuser une tombe à mon frère ? Dites-le donc, que
vous ne l'auriez pas voulu ?
CRÉON - Je te l’ai dit.
ANTIGONE - Et vous l’avez fait tout de même. Et maintenant, vous allez me faire tuer
sans le vouloir.
Et c'est cela, être roi !
CRÉON - Oui, c'est cela !
ANTIGONE - Pauvre Créon ! Avec mes ongles cassés et pleins de terre et les bleus que tes
gardes m'ont fait aux bras, avec ma peur qui me tord le ventre, moi je suis reine .
CRÉON - Alors, aie pitié de moi, vis.
Le cadavre de ton frère qui pourrit sous mes fenêtres,
c'est assez payé pour que l'ordre règne dans Thèbes.
Mon fils t'aime. Ne m'oblige pas à
payer avec toi encore.
J'ai assez payé.
ANTIGONE - Non.
Vous avez dit « oui ».
Vous ne vous arrêterez jamais de payer
maintenant ! CRÉON, la secoue soudain, hors de lui .
- Mais, bon Dieu ! Essaie de
comprendre une minute, toi aussi, petite idiote ! J'ai bien essayé de te comprendre, moi.
Il faut pourtant qu'il y en ait qui disent oui .
Il faut pourtant qu'il y en ait qui mènent
la barque.
Cela prend l'eau de toutes parts, c'est plein de crimes, de bêtise, de misère… Et
le gouvernail est là qui ballotte.
L'équipage ne veut plus rien faire, il ne pense
qu'à piller la cale et les officiers sont déjà en train de se construire un petit radeau
confortable, rien que pour eux, avec toute la provision d'eau douce, pour tirer au
moins leurs os de là.
Et le mât craque, et le vent siffle, et les voiles vont se
déchirer, et toutes ces brutes vont crever toutes ensemble, parce quelles ne
pensent qu'à leur peau, à leur précieuse peau et à leurs petites affaires.
Crois-tu,
alors, qu'on a le temps de faire le raffiné, de savoir s'il faut dire « oui » ou « non
», de se demander s'il ne faudra pas payer trop cher un jour, et si on pourra
encore être un homme après ? On prend le bout de bois, on redresse devant la
montagne d'eau, on gueule un ordre et on tire dans le tas, sur le premier qui
s'avance.
Dans le tas ! Cela n'a pas de nom.
C'est comme la vague qui vient de
s'abattre sur le pont devant vous; le vent qui vous gifle, et la chose qui tombe
devant le groupe n'a pas de nom.
C'était peut-être celui qui t'avait donné du feu
en souriant la veille.
Il n'a plus de nom.
Et toi non plus tu n'as plus de nom,
cramponné à la barre.
Il n'y a plus que le bateau qui ait un nom et la tempête.
Est-ce que tu le comprends, cela ? »
· Rappel
« Créon et Antigone sont seuls l’un en face de l’autre ».Ce passage se trouve
pratiquement au centre du drame composé par Anouilh.
Il s’agit d’une scène principale où
chacun des personnages tentent de raisonner l’autre.
· Introduction
1.
Situation et idée directrice
Créon, roi de Thèbes, va devoir mettre à mort sa nièce Antigone parce qu'elle veut
enfreindre la loi en enterrant son frère Polynice, traître à l'État.
Créon, après avoir tenté
de la dissuader, lui justifie sa décision par les contraintes du métier de roi.
Cette tentative
de dissuasion est motivée par un enjeu multiple.
Certes, Créon cherche à épargner
Antigone, mais il désire également s’assurer une descendance et surtout maintenir la paix
à Thèbes.
2.
Hypothèse de lecture
Au cours de la lecture qui précède cet extrait, le lecteur peut percevoir que
l’intention de Créon est légitime : il souhaite protéger sa nièce contre les autres (par
exemple : les soldats qui surveillent le corps en putréfaction de Polynice) et aussi contre
elle-même.
Il la questionne notamment (près de trois fois) afin de savoir s’il peut encore.
»
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