stupeurs et tremblements Nothomb
Publié le 03/11/2021
Extrait du document
Une scène de folie: Amélie passe par tous les états: la régression: elle redevient enfant • je délaçai/ je dispersai/ je fis le poirier/ sur les mains je parcourus/ Je bondis = verbes d'actions qui se succèdent avec vivacité = la vivacité de l'enfant qui s'ébroue sans aucune retenue, perte de maitise qui caractérise l'adulte • culbute parfaite = l'adjectif = qui commente et valorise son acrobatie, fierté enfantine totalement décalée avec le lieu et son statut d'employée • moi qui n'en avais jamais été capable = le commentaire ressemble à celui de l'enfant, fier de sa réusiite • cris de joie = même effet comique et incongruité de la situation ou le travestissement: une scène burlesque, farcesque • les acrobaties = on peut y voir la figure du clown • sauter de bureau en bureau = elle occupe tout l'espace, le bureau devient plateau de théâtre • oeuvre d'art: cette mention en fin de texte nous ramène vers l'art du spectacle et confirme cette impression de théâtralisation • je fus nue = la nudité ridiculise et renvoie au burlesque, cela peut aussi inquiéter car suggère la folie
«
Je me retrouvai seule.
C'était ma troisième nuit blanche d'affilée, dans le bureau géant.
Je tapotais
sur la calculette et notais des résultats de plus en plus incongrus.
Il m'arriva alors une chose fabuleuse : mon esprit passa de l'autre côté.
Soudain, je ne fus plus amarrée.
Je me levai.
J'étais libre.
Jamais je n'avais été aussi libre.
Je
marchai jusqu'à la baie vitrée.
La ville illuminée était très loin au-dessous de moi.
Je dominais le
monde.
J'étais Dieu.
Je défenestrai mon corps pour en être quitte.
J'éteignis les néons.
Les lointaines lumières de la cité suffisaient à y voir clair.
J'allai à la
cuisine chercher un Coca que je bus d'un trait.
De retour à la section comptabilité, je délaçai mes
souliers et les envoyai promener.
Je sautai sur un bureau, puis de bureau en bureau, en poussant des
cris de joie.
J'étais si légère que les vêtements m'accablaient.
Je les enlevai un à un et les dispersai autour
de moi.
Quand je fus nue, je fis le poirier, moi qui de ma vie n'en avais jamais été capable.
Sur les
mains, je parcourus les bureaux adjacents.
Ensuite, après une culbute parfaite, je bondis et me
retrouvai assise à la place de ma supérieure.
Fubuki, je suis Dieu.
Même si tu ne crois pas en moi, je suis Dieu.
Tu commandes, ce qui
n'est pas grand-chose.
Moi, je règne.
La puissance ne m'intéresse pas.
Régner, c'est tellement plus
beau.
Tu n'as pas idée de ma gloire.
C'est bon, la gloire.
C'est de la trompette jouée par les anges en
mon honneur.
Jamais je n'ai été aussi glorieuse que cette nuit.
C'est grâce à toi.
Si tu savais que tu
travailles à ma gloire !
Ponce Pilate ne savait pas non plus qu'il oeuvrait pour le triomphe du Christ.
Il y a eu
le Christ aux oliviers, moi je suis le Christ aux ordinateurs.
Dans l'obscurité qui m'entoure se
hérisse la forêt des ordinateurs de haute futaie.
Je regarde ton ordinateur, Fubuki.
Il est grand et magnifique.
Les ténèbres lui donnent
l'apparence d'une statue de l'île de Pâques.
Minuit est passé : c'est aujourd'hui vendredi, mon
vendredi saint, jour de Vénus en français, jour de l'or en Japonais, et je vois mal quelle cohérence je
pourrais trouver entre cette souffrance judéo-chrétienne, cette volupté latine et cette adoration
nippone du métal incorruptible.
Depuis que j'ai quitté le monde séculier pour entrer dans les ordres, le temps a perdu toute
consistance et s'est mué en une calculette sur laquelle je pianote des nombres bourrés d'erreurs.
Je
crois que c'est Pâques.
Du haut de ma tour de Babel, je regarde vers le parc d'Ueno et je vois des
arbres enneigés : des cerisiers en fleur, oui, ce doit être Pâques.
Autant Noël me déprime, autant Pâques me réjouit.
Un Dieu qui devient un bébé, c'est
consternant.
Un pauvre type qui devient Dieu, c'est quand même autre chose.
J'enlace l'ordinateur
de Fubuki et le couvre de baisers.
Moi aussi, je suis une pauvre crucifiée.
Ce que j'aime, dans la
crucifixion, c'est que c'est la fin.
Je vais enfin cesser de souffrir.
Ils m'ont martelé le corps de tant de
nombres qu'il n'y a plus place pour la moindre décimale.
Ils me trancheront la tête avec un sabre et
je ne sentirai plus rien.
C'est une grande chose que de savoir quand on va mourir.
On peut s'organiser et faire de son
dernier jour une oeuvre d'art.
Au matin, mes bourreaux arriveront et je leur dirai : "J'ai failli !
Tuez-moi.
Accomplissez mon ultime volonté : que ce soit Fubuki qui me donne la mort.
Qu'elle me dévisse le crâne comme à un poivrier.
Mon sang coulera et ce sera du poivre noir.
Prenez et mangez, car ceci est mon poivre qui sera versé pour vous et pour la multitude, le
poivre de l'alliance nouvelle et éternelle.
Vous éternuerez en mémoire de moi".
Soudain, le froid s'empare de moi.
J'ai beau serrer l'ordinateur dans mes bras, ça ne réchauffe
pas.
Je remets mes vêtements.
Comme je claque toujours des dents, je me couche par terre et je
renverse sur moi le contenu de la poubelle.
Je perds connaissance.
Théâtralisation ou préparation?
• j'éteignis les néons = symbolique levée de rideau qui entame le jeu de scène de l'artiste.
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