Stéphane Mallarmé
Publié le 09/12/2021
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Stéphane Mallarmé Fils et petit-fils de fonctionnaire, élevé par une regrettable grand-mère, Mallarmé sent croître en lui de bonne heure une révolte qui ne trouve pas son point d'application. La société, la Nature, la famille, il conteste tout, jusqu'au pauvre enfant pâle qu'il aperçoit dans la glace. Mais l'efficacité de la contestation est en raison inverse de son étendue. Bien sûr, il faut faire sauter le monde : mais comment y parvenir sans se salir les mains. Une bombe est une chose au même titre qu'un fauteuil empire : un peu plus méchante, voilà tout ; que d'intrigues et de compromissions pour pouvoir la placer où il faut. Mallarmé n'est pas, ne sera pas anarchiste : il refuse toute action singulière ; sa violence je le dis sans ironie est si entière et si désespérée qu'elle se change en calme idée de violence. Non, il ne fera pas sauter le monde : il le mettra entre parenthèses. Il choisit le terrorisme de la politesse ; avec les choses, avec les hommes, avec lui-même, il conserve toujours une imperceptible distance. C'est cette distance qu'il veut exprimer d'abord dans ses vers. Au temps des premiers poèmes, l'acte poétique de Mallarmé est d'abord une recréation. Il s'agit de s'assurer qu'on est bien là où l'on doit être. Mallarmé déteste sa naissance : il écrit pour l'effacer. Comme le dit Blanchot, l'univers de la prose se suffit et il ne faut pas compter qu'il nous fournira de lui-même les raisons de le dépasser. Si le poète peut isoler un objet poétique dans le monde, c est qu'il est déjà soumis aux exigences de la Poésie ; en un mot il est engendré par elle. Mallarmé a toujours conçu cette "vocation" comme un impératif catégorique. Ce qui le pousse, ce n'est pas l'urgence des impressions, leur richesse ni la violence des sentiments. C'est un ordre : "Tu manifesteras par ton oeuvre que tu tiens l'univers à distance." Et ses premiers vers, en effet, n'ont d'autre sujet que la Poésie elle-même. On a fait remarquer que l'Idéal dont il est sans cesse question dans les poèmes reste une abstraction, le travestissement poétique d'une simple négation : c'est la région indéterminée dont il faut bien se rapprocher quand on s'éloigne de la réalité. Elle servira d'alibi : on dissimulera le ressentiment et la haine qui incitent à s'absenter de l'être en prétendant qu'on s'éloigne pour rejoindre l'idéal.
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Stéphane Mallarmé
Fils et petit-fils de fonctionnaire, élevé par une regrettable grand-mère, Mallarmé sent croître en lui de bonne heureune révolte qui ne trouve pas son point d'application.
La société, la Nature, la famille, il conteste tout, jusqu'aupauvre enfant pâle qu'il aperçoit dans la glace.
Mais l'efficacité de la contestation est en raison inverse de sonétendue.
Bien sûr, il faut faire sauter le monde : mais comment y parvenir sans se salir les mains.
Une bombe estune chose au même titre qu'un fauteuil empire : un peu plus méchante, voilà tout ; que d'intrigues et decompromissions pour pouvoir la placer où il faut.
Mallarmé n'est pas, ne sera pas anarchiste : il refuse toute actionsingulière ; sa violence je le dis sans ironie est si entière et si désespérée qu'elle se change en calme idée deviolence.
Non, il ne fera pas sauter le monde : il le mettra entre parenthèses.
Il choisit le terrorisme de la politesse ;avec les choses, avec les hommes, avec lui-même, il conserve toujours une imperceptible distance.
C'est cettedistance qu'il veut exprimer d'abord dans ses vers.
Au temps des premiers poèmes, l'acte poétique de Mallarmé est d'abord une recréation.
Il s'agit de s'assurer qu'onest bien là où l'on doit être.
Mallarmé déteste sa naissance : il écrit pour l'effacer.
Comme le dit Blanchot, l'universde la prose se suffit et il ne faut pas compter qu'il nous fournira de lui-même les raisons de le dépasser.
Si le poètepeut isoler un objet poétique dans le monde, c est qu'il est déjà soumis aux exigences de la Poésie ; en un mot il estengendré par elle.
Mallarmé a toujours conçu cette "vocation" comme un impératif catégorique.
Ce qui le pousse, cen'est pas l'urgence des impressions, leur richesse ni la violence des sentiments.
C'est un ordre : "Tu manifesteraspar ton oeuvre que tu tiens l'univers à distance." Et ses premiers vers, en effet, n'ont d'autre sujet que la Poésieelle-même.
On a fait remarquer que l'Idéal dont il est sans cesse question dans les poèmes reste une abstraction, letravestissement poétique d'une simple négation : c'est la région indéterminée dont il faut bien se rapprocher quandon s'éloigne de la réalité.
Elle servira d'alibi : on dissimulera le ressentiment et la haine qui incitent à s'absenter del'être en prétendant qu'on s'éloigne pour rejoindre l'idéal.
Mais il eût fallu croire en Dieu : Dieu garantit la Poésie.
Les poètes de la génération précédente étaient desprophètes mineurs : par leur bouche, Dieu parlait.
Mallarmé ne croit plus en Dieu.
Or les idéologies ruinées nes'effondrent pas d'un seul coup, elles laissent des pans de murs dans les esprits.
Après avoir tué Dieu de ses propresmains, Mallarmé voulait encore une caution divine ; il fallait que la Poésie demeurât transcendante bien qu'il eûtsupprimé la source de toute transcendance : Dieu mort, l'inspiration ne pouvait naître que de sources crapuleuses.Et sur quoi fonder l'exigence poétique.
Mallarmé entendait encore la voix de Dieu mais il y discernait les clameursvagues de la nature.
Ainsi, le soir, quelqu'un chuchote dans la chambre et c'est le vent.
Le vent ou les ancêtres : ilreste vrai que la prose du monde n'inspire pas de poèmes ; il reste vrai que le vers exige d'avoir existé déjà ; il restevrai qu'on l'entend chanter en soi avant de l'écrire.
Mais c'est par une mystification : car le vers neuf qui va naître,c'est en fait un vers ancien qui veut ressusciter.
Ainsi les poèmes qui prétendent monter de notre coeur à noslèvres, remontent, en vérité, de notre mémoire.
L'inspiration ? Des réminiscences, un point c'est tout.
Mallarméentrevoit dans l'avenir une jeune image de lui-même qui lui fait signe ; il s'approche : c'était son père.
Sans doute letemps est-il une illusion : le futur n'est que l'aspect aberrant que prend le passé aux yeux de l'homme.
Ce désespoir(que Mallarmé nommait alors son impuissance, car il l'inclinait à refuser toutes les sources d'inspiration et tous lesthèmes poétiques qui ne fussent pas le concept abstrait et formel de Poésie) l'incite à postuler toute unemétaphysique, c'est-à-dire une sorte de matérialisme analytique et vaguement spinoziste.
Rien n'existe que lamatière, éternel clapotis de l'être, espace "pareil à soi qu'il s'accroisse ou se nie".
L'apparition de l'homme transformepour celui-ci l'éternel en temporalité et l'infini en hasard.
En elle-même en effet la série infinie et éternelle descauses est tout ce qu'elle peut être ; un entendement tout connaissant en saisirait peut-être l'absolue nécessité.Mais pour un mode fini le monde apparaît comme une perpétuelle rencontre, une absurde succession de hasards.
Sicela est vrai, les raisons de notre raison sont aussi folles que les raisons de notre coeur, les principes de notrepensée et les catégories de notre action sont des leurres : l'homme est un rêve impossible.
Ainsi l'impuissance duPoète symbolise l'impossibilité d'être homme.
Il n'y a qu'une tragédie, toujours la même "et qui est résolue tout desuite, le temps d'en montrer la défaite qui se déroule fulguramment".
Cette tragédie : "Il jette les dés...
Qui créa seretrouve la matière, les blocs, les dés." n'avait les dés, il y a les dés ; il y avait les mots, il y a les mots.
L'homme :l'illusion volatile qui voltige au-dessus des mouvements de la matière.
Mallarmé, créature de pure matière, veutproduire un ordre supérieur à la matière.
Son impuissance est théologique : la mort de Dieu créait au poète le devoirde le remplacer ; il échoue.
L'homme de Mallarmé comme celui de Pascal s'exprime en termes de drame et non entermes d'essence : "Seigneur latent qui ne peut devenir", il se définit par son impossibilité.
"C'est ce jeu insenséd'écrire, s'arroger en vertu d'un doute quelque devoir de tout recréer avec des réminiscences." Mais "la Nature alieu, on n'y ajoutera pas".
Aux époques sans avenirs, barrées par la volumineuse stature d'un roi ou parl'incontestable triomphe d'une classe, l'invention semble une pure réminiscence : tout est dit, l'on vient trop tard.Ribot fera bientôt la théorie de cette impuissance en composant nos images mentales avec des souvenirs.
Onentrevoit chez Mallarmé, une métaphysique pessimiste : il y aurait dans la matière, informe infinité, une sorted'appétit obscur de revenir sur soi pour se connaître : pour éclairer son obscure infinité elle produirait ces lambeauxde pensées qu'on appelle des hommes, ces flammes déchirées.
Mais la dispersion infinie arrache et disperse l'Idée.L'homme et le hasard naissent en même temps et l'un par l'autre.
L'homme est un raté, un "loup" parmi les "loups".Sa grandeur est de vivre son défaut de fabrication jusqu'à l'explosion finale.
N'est-il pas temps d'exploser ? Mallarmé, à Tournon, à Besançon, à Avignon, a très sérieusement envisagé le suicide.D'abord c'est la conclusion qui s'impose : si l'homme est impossible, il faut manifester cette impossibilité en lapoussant jusqu'au point où elle se détruit elle-même.
Pour une fois la cause de notre action ne saurait être la.
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