spinoza
Publié le 22/05/2020
Extrait du document
«
Dans son livre, intitulé Cherubinischer Wandersmann, Angelus Silesius a écrit : "La rose est sans
pourquoi, fleurit parce qu'elle fleurit, N'a souci d'elle même, ne désire être vue." Qu'en penser ? Dans
un texte paru dans "Der Satz vom Gründ" en 1957, et qui fut ensuite publié par les éditions Gallimard,
sous le titre "Le Principe de raison" le commentaire de Heidegger est le suivant : "L’homme diffère de
la rose en ce que souvent, du coin de l’œil, il suit avidement les résultats de son action dans son
monde, observe ce que celui-ci pense de lui et attend de lui.
Mais, là même où nous ne lançons pas ce
regard furtif et intéressé, nous ne pouvons pas, nous autres hommes, demeurer des êtres que nous
sommes, sans prêter attention au monde qui nous forme et nous informe et sans par là nous observer
aussi nous-mêmes.
De cette attention, la rose n’a pas besoin.
Disons, pour parler comme Leibniz : La
rose pour fleurir n’a pas besoin qu’on lui fournisse les raisons de sa floraison.
La rose est une rose
sans qu’un reddere rationem , un apport de la raison, soit nécessaire à son être de rose".
(Tel
Gallimard, n° 79, 2013, p.107)
Le commentaire de Heidegger me paraît pourtant peu compatible avec celui de Silesius, puisque ce
dernier ne cherchait pas quelque principe de raison.
Son point de vue, mystique, était en effet inspiré
par un amour divin (naturel) qui englobait tout simplement la floraison d'une rose sans chercher la
consistance, la souveraineté et la perfection de son reddere rationem .
Dans ces conditions, il n'est pas pertinent de penser une floraison en différenciant les relations entre
les réalités humaines et végétales.
Cela implique que le sans pourquoi de Silesius n'a pas vraiment un
sens hors de son propre étonnement pré-philosophique (ou philosophique ?) qui s'inscrit dans le cercle
du parce que .
L'étonnement d'un parce que inexplicable ouvre en effet sur l'infinité des créations de la
Nature en exprimant l'inexplicable certitude de l'incertain (le sans pourquoi ) donc loin de tout possible
reddere rationem .
L'unité du réel, si unité il y a pour Silesius, requiert en fait un mystérieux
panthéisme et une fusion de soi avec Dieu qu'ignorent les catégories de la raison, empiriques ou non,
en tout cas incapables de rendre raison d'elle-même.
u reste, L.
Wittgenstein ( De la certitude , § 148), va dans le même sens que Silesius lorsqu'il refuse de
séparer le végétal, l'animal et l'humain : " Pourquoi ne m'assuré-je pas que j'ai encore deux pieds
lorsque je veux me lever de mon siège ? Il n'y a pas de pourquoi.
Simplement, je ne le fais pas.
C'est
ainsi que j'agis."
En conséquence, pourquoi chercher à penser et parler au nom de la rose ? Sa présence (consciente et
inconsciente, indivisément) nous échappe.
Car il n'y a pas de pourquoi si elle ne sait pas ce qu'elle fait
(son action matérielle).
Du reste, la certitude étrange de l'acte simple de sa floraison exprime peut-être
sa discrète participation aux forces infinies de la Nature.
En tout cas, chaque rose peut fleurir
simplement dans son propre monde qui nous paraît étrange, différent du nôtre ; et elle peut nous
inspirer soit un silence immédiat à son sujet (voire le silence infini d'une contemplation), soit la
répétition de quelques jeux du langage, de quelques balbutiements épars qui ne sauraient ni découvrir
ni créer leurs fondements.
C'est enfin un peu dans cet esprit de l'affirmation simple des fragments vivants du réel que Blanchot
a écrit : "Je me souviens d'un vers de Gertrud Stein : A rose is a rose is a rose is a rose.
Pourquoi nous
trouble-t-il ? C'est qu'il est le lieu d'une contradiction perverse.
D'un côté, il dit de la rose qu'on ne
peut rien dire qu'elle-même et qu'ainsi elle se déclare plus belle que si on la nommait belle ; mais,
d'autre part, par l'emphase de la réitération, il lui retire jusqu'à la dignité du nom unique qui
prétendait la maintenir dans sa beauté de rose essentielle.
La pensée, pensée de rose, résiste bien ici à
tout développement…" ( L'Entretien infini , Gallimard, 1969, p.
503) Mais qui pourrait avoir le dernier
mot au sujet de toute présence éphémère qui ignore le langage des hommes ?.
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