Serghei Witte
Publié le 16/05/2020
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Serghei Witte - 1849-1915Serghei I.
Witte fut l'homme d'État le plus éminent et le plus discuté des dernières décennies de la Russie tsariste, incarnant l'effort decelle-ci pour se transformer d'un pays agricole arriéré en un État industriel moderne.
Il exerça son influence la plus profonde commeministre des Finances de 1892 à 1903.
Lors des négociations de Portsmouth, en 1905, pour conclure la paix avec le Japon, il obtint desconditions favorables pour la Russie vaincue.
La Révolution de 1905 lui donna une chance de devenir pour la Russie l'homme du destin.Président du Conseil des ministres, il chercha à poser les bases d'un ordre nouveau, sauvegardant les positions de la monarchie tout ensatisfaisant l'opinion publique.
Bien que son œuvre, durant six mois seulement, ait été étonnante, il ne réussit ni à conquérir la confiancede l'opinion, ni à s'assurer la compréhension et l'appui du tsar.
En 1906, il fut "autorisé à démissionner", après qu'il eut obtenu un prêtinternational d'un montant sans précédent, qui selon son expression "sauva la Russie", mais qui, aux yeux de l'intelligentsia, "étrangla laRévolution".S.
I.
Witte était né à Tiflis, en Géorgie.
Son père, de souche germano-balte protestante, était chef du département de l'Agriculture augouvernement général du Caucase.
Sa carrière commença dans le secteur privé, comme "cadre supérieur" d'une compagnie de cheminsde fer en "Nouvelle Russie".
Witte y trouva un cosmopolitisme des affaires, indifférent aux appartenances nationales, religieuses ousociales, et qui jugeait les hommes d'après leurs capacités.
Il y fit son apprentissage pour une carrière ministérielle de style nouveau.En 1889, Witte abandonna les affaires pour un poste au ministère des Finances, avec mission d'y créer un département des Chemins defer.
Sa réussite fut telle qu'il fut nommé ministre des Communications en 1892 et peu après ministre des Finances — poste-clef dont lacompétence s'étendait pratiquement à tous les domaines de la vie du pays, et que Witte élargit encore, au point qu'on parla d'"État dansl'État".
Le gouvernement russe n'ayant pas de cabinet coordonnant les politiques des divers ministères, on ne peut pas vraiment parlerd'une politique d'industrialisation du gouvernement, au temps de Witte.
La vigueur d'une politique donnée dépendait largement del'énergie du ministre intéressé, de sa capacité à imposer ses vues à ses collègues, et surtout à gagner et conserver le soutien du tsar.
Surce plan, Witte réussit fort bien au temps d'Alexandre III, mais il se heurta à des difficultés croissantes au temps de Nicolas II.Les années du ministère de Witte furent celles du démarrage industriel de la Russie, avec des taux de croissance de l'industriecomparables aux plus élevés atteints par d'autres pays européens, et qui ne furent dépassés en Russie qu'à l'époque des plansquinquennaux de Staline.
Il y eut incontestablement un lien de cause à effet entre l'injection massive de capitaux dans l'économie, queles politiques suivies par Witte facilitèrent, et cette expansion industrielle rapide.
Ces politiques se développèrent sous Witte en unensemble habilement coordonné de mesures concernant le budget, le crédit, le tarif douanier, la monnaie, le système bancaire et laconstruction de chemins de fer, mesures qui visaient à mobiliser les ressources nécessaires aux investissements et à créer des conditionsfavorables à l'industrialisation.Il est vrai que les divers éléments de ce qu'on appela le "système Witte" étaient apparus empiriquement au cours des décenniesprécédentes et que Witte lui-même, fondamentalement pragmatiste, n'était pas lié dès le départ à une stratégie donnée.
Mais, bientôt, ilen vint à considérer la réforme monétaire et l'institution de l'étalon-or comme un élément essentiel de la politique visant à attirer descapitaux (notamment étrangers) pour qu'ils s'investissent dans l'industrie russe.
L'autre pilier de sa politique était le systèmeprotectionniste de droits élevés sur les importations.
Ces deux politiques se renforçaient mutuellement et stimulaient la productionnationale d'articles manufacturés auparavant importés.
Mais le protectionnisme avait aussi des objectifs en matière de balance despaiements et de fiscalité.
En effet, en raison du boom de l'industrie, la balance des paiements était constamment menacée par la haussedes importations et l'afflux de capitaux étrangers fut le seul moyen de l'équilibrer.Malgré le pragmatisme de Witte, toute son activité fut sous-tendue par une vision de l'avenir.
Il croyait ardemment que la Russie étaitvouée, nature et par l'histoire, à la grandeur mais que son avenir pouvait être compromis si elle n'était pas renforcée par le progrèséconomique, pour lequel son potentiel était pratiquement illimité.
Pour que la Russie soit capable de tenir son rang parmi les grandespuissances, elle devait s'industrialiser, et rapidement.L'accent mis sur la vitesse et le coût élevé de la mise en valeur d'un empire aussi vaste donnèrent la priorité aux mesures destinées àattirer les capitaux étrangers, par l'émission d'emprunts d'État, d'obligations de chemin de fer et d'actions, et à maintenir le crédit de laRussie à l'extérieur.
Lors de ses incursions dans la diplomatie, Witte se montra souvent tortueux, brutal et même dépourvu de scrupules.La politique de Witte réussit dans l'ensemble à mobiliser les ressources nécessaires et à les diriger vers l'investissement productif, soitdirectement par les recettes budgétaires et les emprunts de l'État, soit indirectement en encourageant l'épargne privée et les importationsde capitaux étrangers ; la stabilisation de la monnaie en 1894 et l'introduction de la convertibilité du rouble en or en 1897 jouèrent sur cedernier plan un rôle décisif.
Si l'investissement direct par l'État dans l'industrie resta limité, les dépenses du gouvernement pour laconstruction de nouvelles lignes de chemins de fer, qui allongèrent le réseau de 25 000 verstes, et l'augmentation globale du budgetordinaire qui fit plus que doubler entre 1892 et 1903, et atteignit 30 % du produit national brut, furent très importantes.
D'ailleurs, lesdépenses en capital financées directement par le budget se comparaient favorablement aux investissements des sociétés par actions,elles étaient plus élevées que jamais auparavant et elles se poursuivirent pendant dix ans.
Certes, bien des politiques suivies par Witten'étaient pas nouvelles, mais leur influence durant les années 1890 résulta du poids cumulatif des encouragements à la croissancequ'elles apportaient, s'ajoutant aux progrès économiques antérieurs, qui intégraient de plus en plus la population dans l'économie demarché, de la paix dont la Russie bénéficia alors, et surtout de la conjonction sans précédent de toutes ces politiques dans les diversdomaines, ainsi que de la vigueur et de la persévérance avec lesquelles elles furent menées.Si la politique du gouvernement influença l'activité économique, celle-ci à son tour contribua beaucoup au succès des mesures financières,en particulier grâce à l'augmentation des recettes fiscales, due non seulement aux taux plus élevés des impôts, mais aussi à unedemande accrue pour les marchandises et services qui étaient taxés.
L'accroissement de la population, et surtout de la population urbainedont la demande avait une structure nouvelle, joua aussi son rôle.Witte imposait la confiance et le respect aux hommes d'affaires et financiers étrangers.
Mais, parmi ses compatriotes, ceux quiredoutaient et repoussaient ses principes étaient la majorité.
Il se heurtait à beaucoup d'hostilité au sein du gouvernement, ainsi quedans la famille et l'entourage du tsar qui, attachés avant tout à la stabilité, redoutaient les effets perturbateurs du changementéconomique.
Beaucoup de gens s'alarmaient de l'emprise croissante des étrangers sur les richesses de la Russie et sommaient le tsar d'ymettre fin.
Les grands propriétaires nobles accusaient Witte de favoriser les intérêts industriels et d'être absolument insensible à leurspropres difficultés.
La majorité de l'intelligentsia, orientée vers le populisme agrarien, jugeait la politique de Witte du point de vue du sortdes paysans et soutenait que le coût des réalisations contestables du ministre dans les domaines financier et industriel était payé par lapaysannerie russe en tant que contribuable et consommatrice.
On affirmait que Witte avait édifié une façade brillante de prospéritéfinancière sur la base branlante de la pauvreté des agriculteurs.
Quand une crise économique éclata au tournant du siècle, elle semblal'effet inévitable de "l'affaiblissement de la base".Quand Witte fut renvoyé par le tsar en 1903, la Russie restait un pays agricole arriéré ; cependant, l'empreinte des changements survenussous son administration était indiscutable et indélébile : un secteur industriel de plus de 38 000 usines, employant près de 2 400 000personnes et assurant une production estimée à 3 439 millions de roubles, ainsi qu'une infrastructure assez développée.
Ni la dépressionprolongée due à la guerre russo-japonaise et à la Révolution de 1905, ni la Première Guerre mondiale, ni la Révolution de 1917 et lesexpériences du communisme de guerre ne purent effacer les réalisations fondamentales de la période de Witte..
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