Selon Xavier Marton auteur d’une étude sur La Bruyère « la comédie sociale que dévoilent et dénoncent Les Caractères contraint chacun à se mettre en scène ».
Publié le 01/04/2024
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«
Sujet : Selon Xavier Marton auteur d’une étude sur La Bruyère « la comédie
sociale que dévoilent et dénoncent Les Caractères contraint chacun à se
mettre en scène ».
« Dans cent ans, le monde subsistera encore en son entier : ce sera le
même théâtre et les mêmes acteurs[…] tous auront disparu de la scène.
Il
s’avance déjà sur le théâtre d’autres hommes qui vont jouer dans une même
pièce les mêmes rôles.
[…] ils s’évanouiront à leur tour […] de nouveaux
acteurs (auront) pris leur place [...] (Chaque homme est) un personnage de
comédie».
La Bruyère au XVIIème siècle dénonce le théâtre joué par les êtres
humains et introduit l’idée du theatrum mundi dans ce passage du chapitre
« De la cour » de son œuvre Les Caractères.
La Bruyère va utiliser cette
métaphore filée du théâtre jusqu’à désigner les Hommes de « personnages de
comédie » .
Ainsi, les Hommes sont les acteurs d’une comédie, de la comédie
sociale qui met en scène ces personnages dans le décor de leur vie
quotidienne avec leurs préoccupations, leurs faiblesses, leurs ridicules.
Cette
comédie sociale décrite par La Bruyère dans Les Caractères est-elle une
dénonciation ? La Bruyère ne forcerait-il pas les traits de caractères de ses
personnages en les mettant en scène : selon Xavier Marton « la comédie
sociale que dévoilent et dénoncent Les Caractères contraint chacun à se
mettre en scène ».
Mais qu’est-ce-que cette mise en scène et comment elle
s’opère ? Une personne qui se met en scène a conscience d’un public, et elle
adapte son comportement en fonction de ce public, elle joue la comédie pour
plaire ou déplaire.
Nous nous demanderons donc si dans Les Caractères, La
Bruyère contraint tous ses personnages à cette mise en scène.
Nous verrons
dans un premier temps que les caractères ne se mettent pas tous en scène,
puis nous étudierons dans un second temps la majorité d’entre eux qui
adoptent des comportements d’acteurs du jeu social.
Enfin, les procédés
littéraires de théâtralisation seront analysés.
Dans les caractères, le peuple est exclu de la comédie sociale qui se joue
à la cour, il ne se met pas en scène et consacre tout son temps à nourrir la
cour et essayer de subsister.
Comme le peuple ne peut se consacrer qu’à sa
survie, il n’est pas inclus dans les enjeux de réputation ou d’argent qui font
que la cour se transforme en théâtre.
Dans son texte « de l’homme », La
Bruyère décrit les conditions des paysans : « L’on voit certains animaux
farouches, des mâles, et des femelles, répandus par la campagne, noirs,
livides, et tout brûlés de soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent et qu’ils
remuent avec une opiniâtreté invincible ».
Cette animalisation des paysans les
distingue de l’artificialité de la cour, nature contre artifice.
Plusieurs passages
du chapitre « Des Grands » : « ce dernier (le peuple) me paraît content du
nécessaire », « L’un (le peuple) ne se forme et ne s’exerce que dans les
choses qui sont utiles » ; « Là se montre ingénument la grossièreté et la
franchise » nous décrivent le comportement du peuple et son caractère utile et
franc, qui est opposé aux comportements des nobles.
Dans le dernier
passage du chapitre, les mots : « franchise », « ingénument » sont utilisés
pour appuyer sur le fait que le peuple en aucun cas ne cherche à jouer un
rôle, qu’il fait tout sans prendre en compte un potentiel public.
Tous ces
exemples montrent bien que le peuple ne se met pas en scène, parce qu’il est
trop occupé à survivre et qu’il doit se montrer utile et franc pour survivre : le
peuple est même hors de la comédie sociale.
Vis-à-vis du peuple la position
de La Bruyère est claire, même s’il les animalise, il est avec le peuple.
Il fait au
cours des Caractères, l’éloge de celui-ci, car La Bruyère, qui critique tant la
comédie sociale de la cour, a mis le peuple hors de la comédie sociale, en
contre-exemple.
Le peuple n’est cependant pas le seul à ne pas se mettre en scène.
La
Bruyère nous peint dans le caractère de Gnathon, un bourgeois égoïste
égocentrique.
Dans ce caractère, Gnathon fait bien partie de la société
dominante contrairement au peuple, mais il est isolé, inapte, incapable de
jouer un rôle.
Il représente l’être humain de type égocentrique qui ne pense
qu’à lui.
Dès la première phrase, le moraliste nous fait comprendre le défaut
principal de Gnathon : « Gnathon ne vit que pour soi ».
Durant tout le chapitre
qui lui est consacré, il se comporte comme s’il était seul au monde, étant
concentré sur lui.
Il va jusqu’à en oublier les autres : « tous les hommes
ensemble sont à son égard comme s’il n’étaient point ».
Le comportement
asocial de Gnathon est pourtant paradoxal, en oubliant que les autres vivent, il
va oublier tous les codes sociaux et devenir malpoli, notamment à table : « il
manie les viandes, […] le jus et les sauces lui dégouttent du menton et de la
barbe, […] il écure ses dents ».
Alors qu’on pourrait penser que cet égoïsme
le ferait passer inaperçu, à l’inverse, il se fait remarquer en étant dégouttant et
malpoli.
Gnathon se met donc en scène, mais d’une manière différente des
autres caractères, il se transforme en acteur qui oublie son public, il est
inconscient de l’effet qu’il a sur les autres.
On pourrait plutôt penser que ce
sont les gens autour de lui qui lui font jouer une scène.
S’il était seul, il aurait
sûrement le même comportement et le fait qu’il soit entouré ne le fait pas
évoluer, ce qui est contraire aux moeurs du XVIIème siècle qui valorise la
prise en compte des autres.
Nous avons donc montré à travers les exemples
du peuple et du caractère de Gnathon que tous les caractères de La Bruyère
ne se mettent pas tous en scène, mais Les Caractères sont principalement
une critique de la société de cour du XVII dans laquelle la plupart des
courtisans se mettent en scène, notamment pour plaire au roi.
Dans ses caractères, La Bruyère nous dévoile un monde aristocratique,
inégalitaire, hostile au peuple, et rempli de codes sociaux.
Dans ce monde
aristocratique, la majorité des personnages se mettent en scène, en se faisant
passer pour ce qu’ils ne sont pas.
La comédie sociale jouée par les nobles,
est une comédie qui n’est accessible qu’aux personnes qui ont les moyens de
la jouer.
En dénonçant la cour, le moraliste souligne les défauts de celle-ci,
comme l’égoïsme de certaines personnes ou leur hypocrisie.
Si certains
Caractères ne sont pas contraints à se mettre en scène comme celui de
Gnathon, la plupart des caractères de l’œuvre de La Bruyère sont des
personnages qui, pour plaire, se mettent en scène.
Alors que la société du
XVIIème siècle est dominée par la noblesse, et quand le prestige et la
réputation sont fondamentaux pour réussir à se hisser dans les milieux les
plus élevés, l’esprit et la culture sont deux des qualités les plus importantes
pour réussir.
La Bruyère dans ses caractères décrit le monde aristocratique en
se moquant de l’hypocrisie et l’apparence des conversations mondaines du
XVIIème siècle.
Dans les salons décris par le moraliste, la comédie sociale est
omniprésente, les personnages hypocrites mentent sur leur savoir pour
impressionner.
L’auteur dénonce l’artifice des salons et de la conversation
mondaine, pour cela il met en scène les personnages qui agissent comme s’ils
s’adressaient à un public et s’adaptent en fonction des personnes avec qui ils
parlent.
Le portrait d’Arrias illustre bien la comédie sociale jouée.
La mise en
scène du personnage par La Bruyère apparait dès la première phrase :
« Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi » : le verbe persuader
indique qu’Arrias prend en compte son public et qu’il n’agit que pour
convaincre les gens autour de lui.
De plus dans la suite de la phrase « c’est un
homme universel, et il se donne pour tel », l’utilisation de la locution verbale,
« il se donne pour tel », souligne la vanité du personnage qui n’est intéressé
que par l’opinion des autres sur son savoir.
Il veut impressionner et être
admiré.
Arrias continue à se mettre en scène en monopolisant la parole dans
une longue logorrhée, toute l’attention est portée sur lui et La Bruyère va
durant tout le chapitre, pour faire ressortir le caractère pédant du personnage,
accentuer ses défauts.
Le caractère d’Arrias est une dénonciation de la
comédie sociale, car La Bruyère raconte comment en mentant sur sa culture,
son savoir du monde, et en essayant de se faire passer pour quelqu’un qu’il
n’est pas, Arrias ne fait que se ridiculiser.
Ainsi, Arrias fait croire avoir vu un
ambassadeur, ce qui est faux, or, l’ambassadeur est présent à l’endroit où il
raconte ses exploits.
Le lecteur peut donc supposer que la supercherie
d’Arrias va être révélée à son public.
Et Arrias....
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