SCÈNE DERNIÈRE du TARTUFFE DE MOLIEREUne ultime explication
Publié le 16/05/2020
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SCÈNE DERNIÈRE du TARTUFFE DE MOLIEREUne ultime explicationTartuffe garde dans cette circonstance le même ton de componction dévote.
Il s'efface devant la tâche supérieure de servir son Prince et les intérêts duCiel.
Il se pose même en victime face aux reproches dont l'accable O rgon.Un moment particulièrement intéressant est la sublimité de sa réplique à l'accusation d'ingratitude.
Quand Orgon lui rappelle qu'il l'a tiré d'un « état misérable», il répond :«Oui, je sais quels secours j'en al pu recevoir;Mais l'intérêt du Prince est mon premier devoir;De ce devoir sacré la juste violenceEtouffe dans mon coeur toute reconnaissance,Et je sacrifierais à de si puissants noeudsAmi, femme, parents, et moi-même avec eux.» Orgon a pu reconnaître dans ces paroles le même héroïque renoncement qu'il avait lui-même tant de fois exprimé lorsqu'il était sous l'emprise del'hypocrite.
Lui-même n'avait-il pas alors avec une sorte de volupté cruelle déclaré qu'il était prêt à sacrifier à T artuffe toute sa famille ?Sans doute est-ce la raison de son silence devant un discours qui lui rappelle son propre égarement.Cléante tient alors, à son accoutumé, un raisonnement destiné à démontrer la malignité de l'imposteur : Tartuffe lui-même s'est rendu complice d'Orgon engardant si longtemps le silence sur le secret de la cassette.
Il ne s'est préoccupé de l'honneur du P rince que lorsque ce « devoir» a coïncidé avec ses intérêts.
Mais Tartuffe, pareil à lui-même, l'interrompt en ordonnant à l'Exempt : « Délivrez-moi, Monsieur, de la criaillerieEt daignez accomplir votre ordre, je vous prie.» On remarquera le ton dominateur de T artuffe.
L'imposteur change de masque et de langage selon la circonstance.
Onctueux, papelard quand il lui fautdonner l'image d'un saint homme, il abandonne toute rhétorique inutile quand il se croit maître de la situation.
Le laconisme froid et tranchant qu'il saitadopter traduit le fond de sa nature, celle d'un aventurier qui ne tient compte que des rapports de force.Un coup de théâtreMais l'Exempt déclare qu'il a reçu l'ordre d'arrêter non O rgon mais Tartuffe.
La pièce s'achève sur ce coup de théâtre dont un long discours du représentantdu pouvoir tente de donner l'explication.Le Prince, terme qui désigne Louis XIV, alerté par la démarche de Tartuffe contre son bienfaiteur, a deviné qu'il avait affaire à un imposteur.
A yant ordonnéune enquête sur l'identité et les agissements de ce personnage il a découvert que sous le nom de Tartuffe se cachait «un fourbe renommé». En raison des services rendus jadis par Orgon, pendant la Fronde, le Prince annule la donation sans autre forme de procès et il pardonne « l'offense secrète» commise.
en protégeant un criminel d'Etat.L'Exempt ajoute que c'est pour mieux confondre l'hypocrite que le Prince a ordonné de donner le change jusqu'au bout.
Il a voulu que l'escroc soit démasquéen présence de celui qu'il avait trompé et spolié.
Ainsi, d'une part, l'hypocrite se voit infligé un traitement semblable à celui qu'il faisait subir à ses victimes.D'autre part, la comédie se termine par une mise en scène qui introduit le théâtre dans le théâtre.
La dénonciation de l'imposture concourt à mener à sonterme une fable qui n'a pas seulement une signification politique mais qui est aussi une métaphore de l'illusion théâtrale.Un dénouement romanesqueLa plupart des comédies de Molière s'achèvent sur un dénouement qui cumule le coup de théâtre et l'invraisemblance romanesque.Le Tartuffe ne fait pas exception à la règle.
Certes, l'hommage éclatant à la sagesse et à la justice de Louis le Grand témoigne de l'habileté de Molière.
Les exigences de la dramaturgie se concilient ici avec la flatterie du courtisan.Orgon recouvre ses biens, reçoit le pardon généreux du P rince magnanime, Valère épousera Mariane et T artuffe ira au bagne.Mais la leçon que contient cet épilogue heureux qui voit les justes récompensés et les méchants punis est conforme à l'idéologie développée tout au long decette pièce de combat.Molière savait que dans ses démêlés avec la cabale des dévots, il pouvait compter sur l'appui d'abord secret, puis ouvert du Roi.Une leçon de réalisme politiqueOn peut tirer des péripéties du dernier acte une conclusion plus générale et plus subtile.
La force de Tartuffe réside dans son appartenance à une confrériequi crée un véritable contre-pouvoir face au pouvoir royal qui se veut « absolu ».
Molière s'efforce de montrer que le droit trouve son meilleur garant dans latoute-puissance d'un monarque qui a les moyens de trancher en faveur de la justice et du bien et de châtier les coupables, en dépit de toutes lesprécautions que ceux-ci peuvent prendre.
Les lois peuvent être détournées, utilisées à des fins partisanes, les fonctionnaires peuvent être corrompus, maisla parole du Roi est un ultime recours pour l'innocence persécutée.A l'époque où certains théoriciens politiques, tels que Hobbes tentaient de justifier l'institution monarchique, Molière se livrait à une démonstrationanalogue par le biais de la fiction théâtrale.Hobbes, le plus célèbre de ces philosophes, substituait à la légitimité du droit divin une rationalisation des rapports sociaux fondée sur le pacte desoumission.
Dans Tartuffe, Molière n'est pas très éloigné de ce point de vue.
En accusant l'antagonisme croissant entre l'Eglise et l'Etat, il magnifie les vertus d'un pouvoir personnel, seul arbitre du Bien et du Mal.
L'exercice de la justice est indissociable d'un pouvoir fort, d'un pouvoir unique..
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