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RUTEBEUF

Publié le 18/05/2020

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« RUTEBEUF ? - 1285? L'uN des points culminants de notre Histoire : tandis que nos architectes répandent d'une extrémité à l'autre du monde connu, d'Upsal en Suède à Famagouste en Chypre, l'art français, opus francigenum, que l'on parle notre langue sur les marchés de Nijni-Novgorod comme sur les rives de la Tamise, un prince de France se prépare à ceindre la couronne de roi de Jérusalem : Il a nom le roi Charles, il faut des Rolands.

C'est encore l'époque des grands passages outre-mer, où retentissent les appels à la croisade : Voici le temps, Dieu vous vient querre, /Bras étendus, de son sang teint.

D'autres appétits se sont éveillés avec le temps; la bourgeoisie, maîtresse des cités, ne pense qu'au gain d'argent : Riches bourgeois d'autrui substance,/ Qy,i faites Dieu de votre panse ...

/ Du blé aimez la grand vendue ...

/ Vil acheter et vendre cher/ Et usurer et gens tricher.

Que servira à ces commerçants rapaces leur fièvre de spéculation? Je vois aucun riche homme faire maisonnement : /Quand il l'a achevé du tout entièrement, / Lui en fait-on un autre, de petit coûtement.

Le mal a gagné jusqu'à l'Eglise : Plus est bon clerc qui plus est riche/ Et qui plus a est le plus chiche ...

Une exception pourtant, parmi les clercs : les « écoliers » : Hors écoliers, autre clergé/ Sont tous d'avarice vergés.

Ces « écoliers » ne sont pas les moins agités dans un monde en effervescence.

Moines et séculiers se disputent l'enseignement, et toute l'Université prend fait et cause pour les uns ou pour les autres; en 1250, grèves et troubles éclatent; ils dureront sept ans.

Rimer me faut d'une discorde/ Qu'à Paris a semé Envie/ Entre gens qui miséricorde/ Sermonnent et honnête vie.

L'un pourtant de ces Jacobins cause du désordre, maître Thomas, d'Aquino en Italie, fera parler de lui, et cette époque qui voit foisonner les ordres religieux est aussi celle des grandes cathé­ drales : sur le portail de Reims, pour la première fois, apparaît la Vierge couronnée, vers laquelle se tourne la piété des foules : Violette non violée/ Courtil tout enceint à clôture ...

/ Tu es ancre, nef et rivage/ Tu es fleur de l'humain lignage ...

CE xme siècle gonflé de vie, l'œuvre d'un seul poète suffit à l'évoquer pour nous.

Et jamais sans doute poète n'aura mieux incarné son temps : le temps des Sommes et des cathédrales, celui qui voit à la fois l'apogée de la chevalerie et la montée de l'esprit bourgeois, on pourrait le reconstituer avec les seuls poèmes de Rutebeuf, avec ses chansons de croisade, avec ses dits et ses fabliaux, ses vies de saints et son Miracle de Théophile.

Et cette œuvre nous apporte de plus ce qu'on trouve si rarement dans une œuvre littéraire, soit, dépouillé de toute littérature, un contact direct avec le peuple : avec les petites gens qui se bousculent, dans la cohue des foires, pour écouter le Dit de l' Herberie, les boniments des bateleurs, - avec tous ceux qui aiment rire aux fabliaux et s'émerveiller des récits de miracles - avec les va-nu-pieds qu'épouvante la venue de l'hiver, les pauvres hères qui hantent tavernes et tripots et que le jeu défeuille comme l'ente - au premier gel.

S'il nous en apprend beaucoup sur son siècle, Rutebeuf ne nous en dit guère sur sa vie.

Des événements qui le concernent, il ne nous livre qu'une seule date : 2 janvier 1261 - celle de son mariage.

Rien à voir avec les romans d'amour et autres fleurs de «courtoisie» : Tel(le) femme ai prise/ Que nul hors moi n'aime ni prise ...

/ Et si n'est pas gente ni belle/ Cinquante ans a en son écuelle/ Est maigre et sèche .... »

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