Rousseau, Les Confessions, Livre IV. Commentaire
Publié le 19/12/2021
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«
Rousseau, Les Confessions , Livre IV .
Un jour entre autres, m'étant à dessein détourné
pour voir de près un lieu qui me parut admirable, je
m'y plus si fort et j'y fis tant de tours, que je me
perdis enfin tout à fait.
Après plusieurs heures de
course inutile, las et mourant de soif et de faim,
j'entrai chez un paysan dont la maison n'avait pas
belle apparence; mais c'était la seule que je visse aux
environs.
Je croyais que c'était comme à Genève ou
en Suisse, où tous les habitants à leur aise sont en
état d'exercer l'hospitalité.
Je priai celui-ci de me
donner à dîner en payant.
Il m'offrit du lait écrémé et
de gros pain d'orge, en me disant que c'était tout ce
qu'il avait.
Je buvais ce lait avec délices et je
mangeais ce pain, paille et tout; mais cela n'était pas
fort restaurant pour un homme épuisé de fatigue.
Ce paysan, qui m'examinait, jugea de la
vérité de mon histoire par celle de mon appétit.
Tout de suite, après m'avoir dit qu'il voyait
bien que j'étais un bon jeune honnête homme qui n'était pas là pour le vendre, il ouvrit
une petite trappe à côté de sa cuisine, descendit, et revint un moment après avec un bon
pain bis de pur froment, un jambon très appétissant, quoique entamé, et une bouteille de
vin dont l'aspect me réjouit le c œur plus que tout le reste; on joignit à cela une omelette
assez épaisse, et je fis un dîner tel qu'autre qu'un piéton n'en connut jamais.
Quand ce
vint à payer, voilà son inquiétude et ses craintes qui le reprennent; il ne voulait point de
mon argent, il le repoussait avec un trouble extraordinaire; et ce qu'il y avait de plaisant
était que je ne pouvais imaginer de quoi il avait peur.
Enfin, il prononça en frémissant ces
mots terribles de commis et de rats de cave.
Il me fit entendre qu'il cachait son vin à cause
des aides, qu'il cachait son pain à cause de la taille, et qu'il serait un homme perdu si l'on
pouvait se douter qu'il ne mourût pas de faim.
Tout ce qu'il me dit à ce sujet, et dont je
n'avais pas la moindre idée, me fit une impression qui ne s'effacera jamais.
Ce fut là le
germe de cette haine inextinguible qui se développa depuis dans mon c œur contre les
vexations qu'éprouve le malheureux peuple, et contre ses oppresseurs.
Cet homme,
quoique aisé, n'osait manger le pain qu'il avait gagné à la sueur de son front, et ne pouvait
éviter sa ruine qu'en montrant la même misère qui régnait autour de lui.
Je sortis de sa
maison aussi indigné qu'attendri, et déplorant le sort de ces belles contrées, à qui la nature
n'a prodigué ses dons que pour en faire la proie des barbares publicains.
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