Roger Ikor, dans son livre Je porte plainte : « L'école doit certes ouvrir sur la vie, mais l'ouvrir à la vie est une ineptie destructrice. »
Publié le 21/12/2021
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«
La fonction de l'école, et la position qu'elle doit adopter par rapport au monde extérieur
représentent un sujet souvent débattu par les hommes politiques, la presse, les
enseignants, les parents et les élèves eux-mêmes.
Roger Ikor, dans son livre Je porte
plainte, donne sa position à ce propos : « L'école doit certes ouvrir sur la vie, mais
l'ouvrir à la vie est une ineptie destructrice.
»
La formulation un peu surprenante de cette phrase ne doit pas faire oublier qu'elle
présente un point de vue largement justifié malgré son caractère excessif.
Il faut « ouvrir l'école sur la vie », mais se garder de P « ouvrir à la vie ».
Pour
comprendre cette opposition, il est bon de préciser la différence entre ces deux
expressions.
« Ouvrir l'école sur la vie », c'est offrir une vision du monde extérieur, une
fenêtre sur le monde sans le laisser entrer; c'est le contempler de haut et de loin sans s'y
mêler.
Au contraire, « ouvrir l'école à la vie », c'est mettre l'école dans la vie, dans le
concret, loin de l'abstrait ; c'est laisser pénétrer le monde extérieur dans l'école sans
barrière, sans contrôle.
Pour « ouvrir sur la vie », l'école doit analyser la vie, la regarder de loin et de haut pour
mieux la dominer.
C'est ainsi qu'étudier La Princesse de Clèves ou Le Rouge et le Noir
apporte des éléments pour mieux comprendre la vie, la psychologie des femmes et des
hommes, les mécanismes de la société.
La culture est une valeur durable qui permet de mieux se situer par rapport à la vie, de
mieux l'appréhender.
Jacqueline de Romilly, dans L'enseignement en détresse, montre
toutes les implications actuelles de la culture grecque ancienne : on voit ainsi comment
une langue moderne évolue, s'enrichit ou s'appauvrit, et cette connaissance permet de
comprendre la situation de notre propre langage à partir d'une langue ancienne.
Cette culture acquise à l'école procure d'abord un plaisir esthétique ou affectif : comment
apprécier l'Italie sans connaître son art et son histoire : on ne verra alors que les plages
et les restaurants ! Elle apporte d'autre part une force sur le plan professionnel, en
permettant la reconversion par l'art de dominer les problèmes.
« Ouvrir l'école à la vie » apparaît au contraire comme une ineptie destructrice.
C'est en
effet donner un savoir utilitaire et immédiat non reconvertible : les difficultés rencontrées
par les informaticiens-programmeurs entraînés seulement à un travail particulier
montrent bien les dangers d'une formation trop positive et trop partielle dans un monde
et un savoir en mouvement.
Suivre cette voie, c'est supprimer aussi toute capacité d'abstraction, toute clef pour
comprendre le monde qui devient opaque.
On tombe ainsi sur l'écueil que heurtèrent les
frères Goncourt lorsqu'ils voulurent faire du roman réaliste une photographie absolue de
la réalité, sans aucune interprétation et sans aucun choix entre les divers éléments : la
réalité devenait alors incompréhensible, ou au mieux, le lecteur n'en percevait qu'une
faible apparence.
Adhérer à cette tendance, c'est aussi supprimer tout esprit critique par
l'absence de la connaissance et de la réflexion : comment juger une évolution historique
ou politique, comment comprendre la Révolution française si l'on place Louis XVI au xviie
siècle, et si l'on n'a jamais entendu parler de l'analyse des différents régimes politiques
que fait Montesquieu dans L'Esprit des Lois!
On rejoint ainsi un certain nombre d'expériences pédagogiques du type de celles décrites
dans un livre récent Le Poisson Rouge dans le Perrier, dont on commence à constater les
inconvénients : ce type d'enseignement, déjà prôné par Rousseau dans l'Emile au xviiie
siècle, partait du monde et des désirs de l'enfant pour lui apporter des connaissances ou
les lui faire trouver.
Mais on voit aisément que passer un trimestre sur la confection des
crêpes ou sur une enquête chez le boulanger ouvre peut-être l'enfant à la vie, mais lui
apporte des connaissances limitées, peu d'esprit critique, et une culture bien spécialisée.
L'affirmation de Roger Ikor présente cependant quelques aspects discutables par son
caractère absolu.
En effet, on ne peut pas nier tout bienfait de l'ouverture à la vie.
Éveiller une curiosité
intéressée peut être une bonne motivation chez de jeunes enfants ; une ouverture
ponctuelle permet parfois de rappeler l'attention distraite des plus âgés.
De plus, la
connaissance de certains savoir-faire est utile et même indispensable, dans
l'enseignement général et technique.
Et il faut enfin reconnaître que certains esprits ne
sont pas tournés vers l'abstraction, et qu'on l'est d'ailleurs plus ou moins selon son âge.
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