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RIMBAUD: Mystique (ILLUMINATIONS - L. et M.)

Publié le 15/05/2020

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« RIMBAUD: Mystique (ILLUMINATIONS - L.

et M.) Sur la pente du talus, les anges tournent leurs robes de laine, dans les herbages d'acier et d'émeraude. Des prés de flammes bondissent jusqu'au sommet du mamelon.

A gauche, le terreau de l'arête est piétiné par tous les homicides et toutes les batailles, ettous les bruits désastreux filent leur courbe.

Derrière l'arête de droite, la ligne des orients, des progrès. Et, tandis que la bande, en haut du tableau, est formée par la rumeur tournante et bondissante des conques des mers et des nuits humaines, La douceur fleurie des étoiles, et du ciel, et du reste descend en face du talus, comme un panier, contre notre face, et fait l'abîme fleurant et bleu là-dessous. Introduction. C'est sans doute dans Une saison en Enfer que Rimbaud a le mieux défini son idéal poétique et dans Illuminations qu'il l'a réalisé le plus parfaitement : « Jem'habituai à l'hallucination simple...

Puis j'expliquai mes sophismes magiques avec l'hallucination des mots ! Je finis par trouver sacré le désordre de monesprit ».

Ainsi dans « Mystique » l'hallucination est présentée sous la forme d'une de ces peintures aux vives couleurs, appelées enluminures, qu'on voitencore dans les vieux livres et où l'artiste représente souvent des paysages, des plantes ou des animaux étranges.

Pour dégager la signification de cepoème, analysons les impressions qu'il peut faire sur nous. 1.

— L'hallucination. « J'ai seul la clef de cette parade sauvage » a dit Rimbaud (Parade).

Voilà qui semble défier tout commentaire.

Toutefois, malgré le caractère halluciné dupoème, entrons en communion avec le rêve du poète : laissons-nous hypnotiser. a) Le délire du rêve.

— Première impression : le délire du rêve.

Le jaillissement des images semble incohérent, comme dans ces rêves traversés de clartésirréelles ou de cauchemars.

L'atmosphère du rêve est accrue par la notation de mouvements circulaires, donnant de doux vertiges (tournant leurs robes delaine) ou d'affreux vertiges (la rumeur tournante, etc.).

Dans les visions de cauchemar, tout est forcené : « des prés de flammes bondissent...

», « la rumeur tournante et bondissante...

» « piétiné...

», « filent leurcourbe...

» Des lignes droites, des arêtes rendent sensibles les courbes ou les mouvements, par contraste.

Enfin il demeure des sensations qu'on ne peutinterpréter (et du reste) ou étranges (la vision de la fin descend jusque « contre notre face »). b) L'hallucination des mots traduit bien l'hallucination du rêve.

Comme dans le rêve, les sensations se confondent, ou sont isolées de leur source.

De là desraccourcis d'expression, des alliances de mots violentes : « les prés de flammes » représentent sans doute l'assaut des armées ; « les bruits désastreuxfilent leur courbe » désignent les projectiles meurtriers qui décrivent une courbe rapide en sifflant.

Le poète donne simultanément « la rumeur tournante etbondissante », « la douceur fleurie », « l'abîme fleurant et bleu ».

Le symbolisme lui offre ses effets troublants : les « conques des mers » sont sur le mêmeplan que les « nuits humaines ». c) Enfin la musique de ces versets vient renforcer les effets obtenus par la hardiesse de l'expression.

Le premier verset est animé d'un doux mouvementtournant : les syllabes se pressent jusqu'à des temps mieux marqués : « ...les anges tournent leurs robes de laine...

Dans le second verset, on entendsurtout la diction forcenée des consonnes initiales « des prés de flammes bondissent...

piétiné...

filent...

».

Le débit se précipite jusqu'au douxralentissement de la dernière phrase du verset.

Le troisième verset mêle les effets du premier (tournoiement) et du second (consonnes forcenées).Quatrième verset : « La douceur fleurie des étoiles, et du ciel, et du reste...

» : douceur des sonorités tandis que la répartition des accents toniques et delégers arrêts semblent peindre une gracieuse descente par paliers.

Puis des virgules isolent les membres de phrases, ce qui favorise une diction ravie dechaque détail. 2.

— Interprétation des impressions. Nous pouvons sans doute éclairer à présent la signification du poème et peut-être remonter au moi profond du poète. a) Mystique.

Il est facile de dégager une opposition très nette entre des visions d'une grande douceur et d'autres d'une sauvagerie déchaînée.

A u premierregistre appartiennent les « anges » (tournant) leurs robes de laine, dans les herbages d'acier et d'émeraude » (pureté inaltérable de ces couleurs limpides),« la ligne des orients, des progrès », le dernier verset.

Au second appartiennent les évocations de la guerre (2e verset) et du désespoir (les nuits humaines opp.

« les orients, les progrès ») Cette opposition violente de douceur et de brutalité parle surtout à la sensibilité.

Elle nous invite à deviner chez le poète — ou dans l'humanité — une grandelassitude de la cruauté et une aspiration profonde à la douceur.

De là le rêve d'un monde de bonté (« les anges », « la ligne des orients, des progrès...

»)monde sans doute senti intensément, de façon privilégiée, mystique, par ceux que la cruauté a atteints ou révoltés. b) Rimbaud.

Peut-être pourrons-nous atteindre, à travers le poème, le poète lui-même.

Si l'hallucination poétique est, comme le rêve, révélatrice du moiprofond, nous sentirons dans Rimbaud la présence d'instincts sauvages, indomptables : « Oh ! que ma quille éclate ! oh ! que j'aille à la mer ! » (Le Bateauivre) mais aussi un besoin impérieux de douceur : « Mais pas une main amie ! et où puiser le secours ? » (fin d'Une saison en Enfer..) Conclusion. Ce poème est peut-être déconcertant au premier abord.

Laissons nous toutefois pénétrer par ses images et sa musique : nous connaîtrons alors desimpressions puissantes et neuves. ...Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau. Dans sa quête aventureuse du nouveau, Rimbaud s'est adressé à l'irrationnel du rêve, à ces images et à cette musique surgies comme spontanément dutréfonds de l'être.

Après tant de siècles d'analyses lucides et d'expression claire, c'était ouvrir l'une des voies le plus souvent suivies par la poésiemoderne.. »

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