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revenir, comme par degrés, de concepts en concepts aux intuitions d'où ces concepts ont été immédiatement tirés ; c'est-à-dire que nous devons pouvoir appuyer tout concept sur des intuitions qui, par rapport aux abstractions, jouent le rôle d'un modèle.

Publié le 23/10/2012

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revenir, comme par degrés, de concepts en concepts aux intuitions d'où ces concepts ont été immédiatement tirés ; c'est-à-dire que nous devons pouvoir appuyer tout concept sur des intuitions qui, par rapport aux abstractions, jouent le rôle d'un modèle. Ces intuitions représentent donc le contenu réel de notre pensée ; partout où elles manquent, il n'y a plus de concepts, mais des mots... Tandis que tout le monde peut comparer entre eux des concepts, il n'est donné qu'à quelques-uns de confronter ces concepts avec l'intuition. Cette dernière opération exige, suivant qu'elle est plus ou moins parfaite, de l'esprit, du jugement, de la pénétration, du génie. Quant à la première, il n'est jamais besoin, pour s'en acquitter, que de raisonner juste. La substance même de toute vraie connaissance est une intuition ; aussi c'est d'une intuition que procède toute vérité nouvelle. Toute pensée, à l'origine, est une image ; c'est pourquoi l'imagination est un outil si nécessaire de la pensée ; les têtes qui en sont dépourvues ne font jamais rien de grand, sinon en mathématiques. Au contraire, des pensées purement abstraites, qui n'ont pas un noyau intuitif, ressemblent aux jeux des nuages : cela n'a pas de réalité. Un écrit ou un discours, que ce soit une dissertation ou un poème, a pour premier but d'amener le lecteur à l'intuition même d'où l'auteur est parti. Si ce but est manqué, l'ouvrage ne vaut rien. C'est précisément pourquoi l'observation de la réalité, dès qu'elle apporte quelque chose de neuf à l'observateur, est plus instructive que tout ce qu'on peut lire ou entendre. Car, si nous y réfléchissons, nous verrons que toute vérité et toute sagesse sont contenues dans le réel, que dis-je ? nous verrons qu'il renferme le dernier secret des choses. Ce secret ne se trouve que dans le concret, comme l'or dans le minerai. Il ne reste plus qu'à l'en tirer... Dans la plupart des ouvrages, dont le contenu empirique est absolument nul (je ne parle pas de ceux qui sont franchement mauvais), il y a sans doute de la réflexion, mais il n'y a rien de vu. L'auteur est parti du raisonnement, non de l'intuition, pour écrire : et c'est pour cela qu'il est médiocre et ennuyeux. Car tous ses raisonnements, le lecteur avec un peu de peine aurait pu tout au moins les faire à sa place ; ce ne sont que des idées sensées, ou la déduction immédiate de principe contenus implicitement dans le thème adopté. Avec cette méthode, on n'apporte au monde aucune idée vraiment nouvelle ; car il y faudrait l'éclair de l'intuition, l'aperception immédiate d'un nouveau côté des choses. Mais lorsque, au contraire, la pensée d'un auteur repose immédiatement sur l'intuition, c'est comme s'il révélait un pays où le lecteur n'a jamais pénétré ; c'est la nouveauté dans toute sa fraîcheur ; c'est quelque chose qui sort directement de la source même de toute connaissance... C'est ainsi que tous les grands esprits n'ont jamais pensé qu'en présence de l'intuition, et qu'à chacune de leurs pensées, ils y tiennent leurs yeux fermement attachés... On s'en aperçoit à ce qu'il y a de frappant, d'original, d'exactement conforme aux choses elles-mêmes, dans l'expression qu'ils en donnent, c tout cela vient de l'intuition ; on s'en aperçoit encore à la naïveté du style, à la nouveauté des images, à la justesse frappante des comparaisons ; ce sont là, sans exception, les caractères de toutes les grandes oeuvres ; et c'est là aussi ce qui manque à tous les ouvrages médiocres. Aussi les écrivains ordinaires n'ont-ils à leur disposition que des tournures banales et de pauvres images ; jamais ils ne se permettent d'être naïfs, sous peine de révéler au grand jour leur platitude, dans ce qu'elle a de plus lamentable... A le prendre exactement, toute pensée, c'est-à-dire toute combinaison de concepts abstraits, n'a tout au plus pour matière que des souvenirs d'anciennes intuitions. Ou même ce lien de l'intuition et de la pensée peut n'être qu'indirect, en tant que l'intuition est le point d'appui de tous les concepts. Il n'y a en revanche de connaissance réelle, c'est-à-dire immédiate, que la seule intuition, la perception de quelque chose de nouveau. Mais maintenant les concepts, que forme la raison, et que conserve la mémoire, ne peuvent jamais être tous présents à la fois dans la conscience ; il n'y en a qu'un très petit nombre seulement. Au contraire, l'énergie avec laquelle nous synthétisons tout le présent de l'intuition, ce présent dans lequel est contenu virtuellement et se représente toujours l'essence même de toutes choses, cette énergie, dis-je, s'empare de la conscience en un instant, et la remplit de toute sa puissance. Voilà pourquoi l'homme de génie l'emporte infiniment sur l'érudit. Il y a le même rapport entre l'un et l'autre qu'entre le texte d'un ancien classique et son commentaire. En der- nière analyse, toute vérité et toute sagesse résident réellement dans l'intuition... Enrichir le concept par l'intuition, c'est le but constant de la philosophie et de la poésie. (Monde, II, 204-7.) La sagesse et le génie, ces deux branches suprêmes de la connaissance humaine, n'ont pas leurs racines dans la faculté d'abstraction, la faculté discursive, mais bien dans la faculté d'intuition. La sagesse proprement dite est quelque chose d'intuitif et non d'abstrait. Ce n'est pas un ensemble de propositions ou d'idées, résultat de recherches d'autrui ou de réflexions personnelles, qu'on porterait toutes faites dans sa tête ; c'est tout simplement la façon dont le monde se représente dans un cerveau. Et cette représentation varie à ce point, que le sage vit dans un monde tout autre que celui de l'insensé, et que l'homme de génie ne voit pas le même univers que l'imbécile. Si les oeuvres du génie surpassent de si haut les oeuvres ordinaires, c'est que le monde tel qu'il le voit et auquel il emprunte ses créations est plus clair et d'un relief plus saisissant que le monde tel qu'il existe dans les autres têtes, bien que ces deux mondes renferment identiquement les mêmes objets ; il y a entre le premier et le second le même rapport qu'entre un tableau à l'huile fini et une peinture chinoise, sans ombre ni perspective. La matière est la même dans toutes les têtes ; mais c'est le degré de perfection qu'elle revêt en chacune d'elles, qui permet de déterminer les degrés dans les intelligences. Ainsi, il y a une différence dès le principe, dès la synthèse intuitive, bien avant le travail d'abstraction. C'est pourquoi la supériorité intellectuelle se manifeste si facilement en toute occasion ; elle est sentie immédiatement par le vulgaire, et détestée dès qu'elle est sentie. (Monde, II, 208.) Le savant, lui, a sur les autres l'avantage de posséder tout un trésor d'exemples et de faits (connaissances historiques), et de déterminations causales (sciences naturelles) ; les divers éléments de la science s'enchaînent en lui et s'ordonnent admirablement ; mais avec cela il n'a pas une vue suffisamment juste et profonde de ce qui est l'essence même de ces exemples, de ces faits et de ces rapports de causalité. L'ignorant qui a le coup d'oeil vif et pénétrant sait se passer de toutes ces richesses. Un seul cas tiré de sa propre expérience l'instruit plus que mille cas ne peuvent

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