RESPONSABILITÉ AUTORITÉS DE· TUTELLE C. E. 29 mars 1946, CAISSE DÉPARTEMENTALE D'ASSURANCES SOCIALES DE MEURTHE-ET-MOSELLE C. ÉTAT, Rec. 100
Publié le 27/09/2022
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RESPONSABILITÉ
AUTORITÉS DE· TUTELLE
C.
E.
29 mars 1946,
CAISSE DÉPARTEMENTALE D'ASSURANCES
SOCIALES DE MEURTHE-ET-MOSELLE C.
ÉTAT, Rec.
100
(S.
1947.3.73, note Mathiot;
R.
D.
P.
1946.490, concl.
Lefas, note Jèze)
Cons.
que le préjudice dont la• Caisse départemental� d'assurances
sociales de Meurthe-et-Moselle demande réparation à l'Etat résulte du
non-remboursement par la caisse du Crédit municipal de Bayonne d'un
bon à ordre qu'elle avait souscrit et qui paraîssait émis pour assurer le
fonctionnement de cet établissement public communal; qu'il est conss
tant que ce titre, dont la nullité n'est pas contestée, provient d'émis
sions frauduleuses réalisées par le sieur Stavisky avec la complicité de
l'appréciateur et du directeur-caissier du Crédit municipal; que la caisse
requérante soutient qu'elle est en droit de réclamer directement à l'Etat
la réparation du préjudice subi, par les motifs, d'une part, que le
ministre du travail aurait favorisé le placement des bons dont s'agit et,
d'autre part, que les autorités de tutelle auraient gravement méconnu
les obligations qui leur incombaient;
Cons.
que les lettres du ministre du travail et du directeur général
des assurances sociales, critiquées par la requérante, se bornaient à
indiquer que les bons émis par des caisses de Crédit municipal étaient
rangés par la loi au nombre des valeurs susceptibles de servir de
placement aux caisses d'assurances sociales pour les fonds dont elles
ont la gestion; que, dès lors, elles ne sc:mt pas de nature par
ellesmêmes à justifier la demande d'indemnité formée par la Caisse
départen.entale d'assurances sociales de Meurthe-et-Moselle;
Mais cons.
que les agissements criminels du sieur Stavisky et de ses
complices n'ont été rendus 'possibles que par la faute lourde commise
par le préfet des Bàsses-Pyrénées dans le choix du personnel dirigeant
du Crédit municipal de Bayonne lors de sa création en 1931, et dans le
maintien en fonctions de ce personnel, ainsi que par la négligence
prolongée des différents services de l'État qui sont chargés du contrôle
de ces établissements publics communaux et qui n'ont procédé que
tardivement aux investigations de toute nature que l'ampleur anormale
des opérations du crédit municipal de Bayonne \eur commandait de
faire; que la caisse requérante est fondée � soutenir que ces fautes sont
de nature à engager la responsabilité de l'Etat;
Cons.
qu'il sera fait_ une exacte appréciation de la part de responsa
bilité incombant à ce dernier,.
compte tenu, d'une part, de l'imprudence
commise par la caisse requérante, qui aurait dû montrer plus de
circonspection dans l'acquisition du .bon litigieux, ainsi que des condi
tions irrégulières dans lesquelles elle a décidé cette acquisition, d'autre
part, des fautes commises par la ville de Bayonne, telles qu'elles ont été
reconnues par pne décision du Conseil d'Etat en date de ce jour, en
condamnant l'Etat à payer à la caisse départementale d'assurances
sociales de Meurthe-et-Moselle une indemnité correspondant au quart
du montant du bon litigieux et s'élevant, par suite, à 250 000 F;
Sur les intérêts : Cons.
que ladite somme doit porter intérêts à
compter du 26 n;iars 1934, date de la réception de la demande
d'indemnité par le ministre des finances;
Sur les intérêts des intérêts : Cons.
que la caisse requérante a
demandé la capitalisation des intérêts le l•r déc.
1937; qu'à cette date il
était dû au moins une année d'intérêts; qu'il y a donc lieu, par
application de l'art.
1154 c.
ciy., de faire droit à ses· conclusions; ...
- (Décision en ce sens).
OBSERVATIONS
I.
- Cet arrêt est l'une des nombreuses décisions de justice
relatives à la célèbre affaire Stavisky.
La Caisse de crédit
mµnicipal de �ayonne (vulgairement, Mont-de-Piété) s'était
procuré par voie d'emprunt, sous la forme d'émissions de bons
à ordre, de très importants fonds de roulement.
En fait, ces
émissions étaient frauduleuses (sur le détail de l'opération, v..
les conclusions du commissaire du gouvernement Lefas).
Elles
avaient été réalisées par Stavisky avec la complicité d'agents
municipaux et grâce à la négligence de la municipalité de
Bayonne, chargée par la loi d'exercer une surveillance étroite
sur la gestion financière de la caisse de crédit.
municipal, ainsi
qu'à celle du préfet et des divers services de l'Etat investis d'un
pouvoir de contrôle à l'égard de la caisse.
Les souscripteurs de
bons, dont l'émission atteignait plusieurs centaines de millions
de francs, ne pouvant espérer obtenir une réparation des
coupables eux-mêmes, à raison de leur insolvabilité, s'adressè-.
rent à l'État et à la ville de Bayonne en invoquant les fautes'{
commises par leurs services dans l'exercice de leurs p�uvoirs del
contrôle sur la caisse de crédit n;iunicipal.
C'est sur le recours
formé contre l'État- par une caisse d'assurances sociales qui
avait souscrit à ces bons, que statue l'arrêt rapporté; une
décision du même jour apporte une solution semblable pour le
recours dirigé par le même organisme contre la ville de
Bayonne.
\
\ II.
- L'intérêt juridique de l'arrêt réside dans l'affirmation
� du principe que la responsabilité des autorités de tutelle peut
•i être engagée à l'égard ,des tiers victimes d'une faute de ces
1 autorités; le Conseil d'Etat exige cependant une faute lourde
comme en matière de police (v.
C.E.
10 févr.
1905, Tomaso
Grecco *), pour tenir compte des difficultés P,articulières de
l'exercice des pouvoirs de tutelle.
Le Conseil d'Etat relève que
l'escroquerie de Stavisky et de ses complices n'a été rendue
possible que par la faute lourde commise par le préfet dans le
choix du personnel dirigeant du Mont-de-Piété de Bayonne
, ainsi que « par la négligence prolongée des différents services
de l'État qui sont chargés du contrôle de ces établissements
· publics communaux».
Çompte tenu des autres fautes interve
nues dans l'affaire, l'Etat est condamné à une indemnité
correspondant au quart du préjudice subi par la requérante.
Une décision analogue est prise en ce qui concerne les fautes
lourdes commises par la ville de Bayonne (cf.
C.E.
22 oct.
1954, Ganiayre, Rec.
552).
La jurisprudence est, depuis lors,
bien fixée dans le sens de l'exigence d'une faute lourde (v.
par
ex.
C.E.
10 déc.
1-962, Bouali Salah, Rec.
674).
III.
- Une fois admise à l'égard des tiers, la responsabilité
des services de tutelle n'allait pas tarder à l'être également à
l'égard de la personne morale contrôlée elle-même.
Cette exten
sion, qui consacre le principe de l'indépendance juridique de la
collectivité contrôlée à l'égard de la personne publique investie
du pouvoir de tutelle (à ce sujet, v.
aussi C.E.
18 avr.
1902,
Commune de Néris-les-Bains*) a été réalisée par un arrêt du
27 déc.
1948, Commune de Champigny-sur-Marne (Rec.
493; D.
1949.408, concl.
Guionin).
La ville de Cham,Pigny-sur-Marne a
obtenu, par cet arrêt, la condamnation de l'Etat à lui rembour
ser le quart du préjudice que lui avaient causé d'importants
détournements de son receveur municipal : ces malversations,
qui s'étaient prolongées pendant quinze ans, n'avaient en effet
été rendues possibles que par la carence de l'administration des
finances, qui avait omis d'user des moyens d'investigation dont
elle disposait à l'égard d'un agent soupçonné d'infidélité ainsi
que de ses pouvoirs de répression après la découverte de
nombreuses irrégularités.
S'il ne faut pas attacher une impor
tance particulière à l'emploi, dans cet arrêt, de l'expression
« faute manifeste et d'une particulière gravité», qui était géné
ralement utilisée lorsque l'administration des finances était en
cause, notamment en matière fiscale (C.E.
21 juin 1935,
Bameyrat, Rec.
705; S.
1935.3.89, concl.
Detton; D.
1936.3.65,
concl.
Detton, note Trotabas; - 24 juin 1953, Briançon, Rec.
317), par contre l'arrêt apporte une restriction au principe qu'il
consacre: pour que la responsabilité de l'autorité de tutelle soit
engagée à l'égard de la collectivité sous tutelle, le Conseil
d'État exige que l'étendue des pouvoirs de la première entraîne
une véritable participation de ses agents à la gestion de la
seconde « de telle sorte que les actes ou les abstentions desdits
agents concourent directement et nécessairement à la production
du dommage» que peut éprouver la personne morale sous
tutelle.
Le juge reconnaîtra donc plus difficilement la responsa
bilité de l'autorité de tutelle à l'égard des personnes morales
contrôlées qu'à l'égard des tiers.
Il se bornera fréquemment
pour rejeter la requête, à faire état de l'absence de faute lmrrde
pouvant être relevée à la charge de l'autorité de tutelle (C.E.
6 mars 1953, Ville de Béziers, Rec.
119 : démolition d'immeu
bles privés ordonnée par le comité de Libération et ayant de ce
fait engagé la respgnsabilité de la commune; recours de la
commune contre l'Etat, fondé sur l'insuffisance du contrôle
exercé par les autorités de tutelle et rejeté en l'absence de faute
lourde de ces dernières).
Un bon exemple d'application de cette
jurisprudence est fourni par la décision Commune de Château
neuf-sur-Loire du 20 juin 1973 (Rec.
428; A.
J.
1973.545, concl.
Rougevin-Baville) : les agréments donnés par le ministre de
l'éducation nationale à des projets de constructions scolaires
présentés par une commune ont constitué ou non une faute
lourde selon que le ministre avait disposé ou non d'éléments
suffisants pour apprécier les inconvénients et les dangers des
procédés techniques prévus par ces projets.
IV.
- Les principes consacrés dans les arrêts Caisse dépar
tementale d'assurances sociales de Meurthe-et-Moselle et Com
mune de Champigny-sur-Marne trouvent leur application, dans
des conditions particulières, lorsque la tutelle s'exerce par la
voie de la substitution d'action, c'est-à-dire lorsque l'autorité de �r.
contrôle se substitue, en vertu de la loi, à l'autorité contrôlée\
défaillante (par ex.
L.
5 avr.
1884, art.
85), ou encore lors
qu'elle lui est substituée par la loi elle-même pour une certaine
catégorie d'actes (par ex.
Ord.
29 nov.
1944, art.
3, attribuant
aux préfets la réintégration des _employés municipaux évincés
sous l'occupation).
Le Conseil d'Etat considère que dans ce cas,
l'autorité de tutelle agit pour le compte de la collectivité\
décentralisée (C.E.
1er avr.
1938, Sous-préfet de....
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