René (extrait)François-René de ChateaubriandLa solitude absolue, le spectacle de la nature, me plongèrent bientôt dans un étatpresque impossible à décrire.
Publié le 22/05/2020
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«
René (extrait)
François-René de Chateaubriand
La solitude absolue, le spectacle de la nature, me plongèrent bientôt dans un état
presque impossible à décrire.
Sans parents, sans amis, pour ainsi dire seul sur la terre,
n'ayant point encore aimé, j'étais accablé d'une surabondance de vie.
Quelquefois je
rougissais subitement, et je sentais couler dans mon c œur, comme des ruisseaux d'une
lave ardente ; quelquefois je poussais des cris involontaires, et la nuit était également
troublée de mes songes et de mes veilles.
Il me manquait quelque chose pour remplir
l'abîme de mon existence : je descendais dans la vallée, je m'élevais sur la montagne,
appelant de toute la force de mes désirs l'idéal objet d'une flamme future ; je
l'embrassais dans les vents ; je croyais l'entendre dans les gémissements du fleuve ; tout
était ce fantôme imaginaire, et les astres dans les cieux, et le principe même de vie dans
l'univers.
Toutefois cet état de calme et de trouble, d'indigence et de richesse, n'était pas sans
quelques charmes : un jour je m'étais amusé à effeuiller une branche de saule sur un
ruisseau, et à attacher une idée à chaque feuille que le courant entraînait.
Un roi qui
craint de perdre sa couronne par une révolution subite, ne ressent pas des angoisses
plus vives que les miennes, à chaque accident qui menaçait les débris de mon rameau.
Ô faiblesse des mortels ! Ô enfance du c œur humain qui ne vieillit jamais ! Voilà donc à
quel degré de puérilité notre superbe raison peut descendre ! Et encore est-il vrai que
bien des hommes attachent leur destinée à des choses d'aussi peu de valeur que mes
feuilles de saule.
Mais comment exprimer cette foule de sensations fugitives, que j'éprouvais dans mes
promenades ? Les sons que rendent les passions dans le vide d'un c œur solitaire
ressemblent au murmure que les vents et les eaux font entendre dans le silence d'un
désert : on en jouit, mais on ne peut les peindre.
L'automne me surprit au milieu de ces incertitudes : j'entrai avec ravissement dans les
mois des tempêtes.
Tantôt j'aurais voulu être un de ces guerriers errant au milieu des
vents, des nuages et des fantômes ; tantôt j'enviais jusqu'au sort du pâtre que je voyais
réchauffer ses mains à l'humble feu de broussailles qu'il avait allumé au coin d'un bois.
J'écoutais ses chants mélancoliques, qui me rappelaient que dans tout pays, le chant
naturel de l'homme est triste, lors même qu'il exprime le bonheur.
Notre c œur est un
instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes, et où nous sommes forcés de
rendre les accents de la joie sur le ton consacré aux soupirs.
Le jour, je m'égarais sur de grandes bruyères terminées par des forêts.
Qu'il fallait peu
de chose à ma rêverie ! Une feuille séchée que le vent chassait devant moi, une cabane
dont la fumée s'élevait dans la cime dépouillée des arbres, la mousse qui tremblait au
souffle du nord sur le tronc d'un chêne, une roche écartée, un étang désert où le jonc
flétri murmurait ! Le clocher solitaire s'élevant au loin dans la vallée, a souvent attiré
mes regards ; souvent j'ai suivi des yeux les oiseaux de passage qui volaient au-dessus
de ma tête.
Je me figurais les bords ignorés, les climats lointains où ils se rendent ;
j'aurais voulu être sur leurs ailes.
Un secret instinct me tourmentait ; je sentais que je.
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